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merite plus qu'on m'appelle votre fils: traitez-moi comme l'un de vos valets. Il partit donc & s'en alla trouver fon pere. Comme il étoit encore éloigné, fon pere l'apperçut; & touché de compaffion, il courut à lui, Pembraffa, & le baifa. Mon pere, lui dit fon fils, je fuis coupable envers le Ciel & à vos yeux ; je ne merite plus qu'on m'appelle votre fils. Alors le pere dit à fes Serviteurs: Apportez promptement fa premiere robbe, & l'en revête mettez-lui un anneau au doigt, & donnez-lui des fouliers. Amenez le veau gras & tuezle; mangeons & faifons grand-chere: car mon fils, que voici, étoit mort, & il est reffufcité; il étoit perdu, & il eft retrouvé. Et ils fe mirent à faire grand-chere. Cependant le fils aîné étoit dans les champs, revenant & approchant de la maison, il entendit qu'on chantoit &qu'on danfoit. Il appella auffi tôt un de fes ferviteurs, & s'informa de ce que c'étoit. C'eft, lui dit le ferviteur, que votre frere eft de retour, & votre pere a fait tuer le veau gras; parce qu'il l'a recouvré fain & fauf. Il en conçut de l'indignation, & il ne vouloit point entrer. Si bien que fon pere fortit & fe mit à le prier. Mais il répondit à fon pere: Il y a tant d'années que je vous fers fans vous avoir jamais defobéi: neanmoins vous ne m'avez jamais donné un chevreau pour regaler mes amis. Mais votre fils que voilà qui a mangé fon bien avec des femmes débauchées, à peine a-t-il été de retour, que vous avez fait tuer le veau gras pour lui. Mon fils, lui dit fon pere, vous êtes toûjours avec moi, & tout ce que j'ai est à vous. Mais il falloit bien faire un feftin & fe réjouir: parce que votre frere, que voïci, étoit mort, & il est reffufcité; il étoit perdu,& il est retrouvé.

que

Telle eft la Parabole que Jefus-Chrift fit à fes Difciples, & dont la fimple expofition a quelque chofe de fi touchant, qu'il faut être bien infenfible, pour n'en être pas attendri. En effet tous ces fentimens de douleur, d'indignation, de compaffion & de tendreffe, qui font de fi grandes impreffions fur le theatre, y font maniez avec autant de force de délicateffe; & je ne fçai même fi on peut imaginer rien de plus capable de tirer les larmes que l'empreffement vif & tendre avec lequel le pere va fe jetter au cou de fon fils, dans le moment que ce fils repentant vient embraffer les pieds de fon pere, & les mouiller de fes pleurs. Ce fujet m'a toûjours paru fi propre à être mis fur le theatre, que j'ai été fouvent furpris qu'on ne l'y eût point encore traité. Mais je me fuis imaginé que ce qui avoit pu empêcher bien des gens de l'entreprendre, étoit la difficulté qu'il y avoit à l'ajufter aux regles du theatre. Il y avoit en effet à cela quelque difficulté mais non pas telle qu'elle fût infurmontable; & la beauté du fujet me paroiffoit valoir bien la peine qu'on fît quelque effort pour la furmonter. Voici donc comment je m'y fuis pris, dans cette idée, pour arranger la piéce.

J'ai donc fuppofé que le pere avoit appris par des bruits publics quelque chofe des débauches & de la ruïne de ce fils qui l'avoit abandonné longtemps auparavant. Que dans l'alarme que ces bruits lui avoient caufée, il avoit fait partir en diligence un de fes gens, domeftique affidé, pour aller

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Telle eft la Parabole que Jefus-Chrift fit à fes Difciples, & dont la fimple expofition a quelque chofe de fi touchant, qu'il faut être bien infenfible, pour n'en être pas attendri. En effet tous ces fentimens de douleur, d'indignation, de compaffion & de tendreffe, qui font de fi grandes impreffions fur le theatre, y font maniez avec autant de force que de délicateffe, & je ne fçai même fi on peut imaginer rien de plus capable de tirer les larmes que l'empreffement vif & tendre avec lequel le pere va fe jetter au cou de fon fils, dans le moment que ce fils repentant vient embraffer les pieds de fon pere, & les mouiller de fes pleurs. Ce fujet m'a toujours paru fi propre à être mis fur le theatre, que j'ai éré fouvent furpris qu'on ne l'y eût point encore traité. Mais je me fuis imaginé que ce qui avont pú empêcher bien des gens de l'entreprendre, érve la difficulté qu'il y avoit à l'ajufter aux regles di thentre. Il y avoit en effet à cela quelque difhculté mais non pas telle qu'elle fit infurmontable; & la beauté du sujet me paroiffoit valoir bien la peine qu'on fît quelque effort pour la furmonter. Voici donc comment je m'y fuis pris, dans cette idée, pour arranger la pièce.

J'ai donc fuppofé que le pere avole appris Baz des bruits publics quelque chofe des débauches de la ruïne de ce fils qui l'avoir abandonné longe temps auparavant. Que dans l'alarme anes bruits lui avoient caufée, il avoit fait muren r gence un de fes gens, domeftique affice, sour=

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ble, à la maison paternelle. Il y avoit déja du temps que ce domestique étoit parti; & felon le compte du pere, il auroit dû déja être de retour. Cependant il n'en apprenoit point de nouvelles, ce qui le jettoit dans de mortelles inquiétudes & dans une impatience extrême. Voilà l'instant où j'ouvre la Scene en fuppofant tout ce qui a précedé, comme le départ, les déreg'emens & la déroute de l'Enfant prodigue, tous faits qui ne pouvoient quadrer avec l'unité du jour. Cependant comme il n'étoit pas permis de fupprimer des faits fi effentiels au fujet, il a fallu ménager une fituation, qui donnât lieu d'en faire naturellement l'expofé dans une narration qui n'eût rien de mendié, ni de forcé. J'ai feint pour cela qu'un Gentilhomme qui avoit acheté depuis très-peu de temps une terre dans le voifinage du pere de l'Enfant prodigue, furpris de le voir dans l'affliction où il étoit, lui en demande la raifon, & avec tant d'inftance, qu'enfin il arrache du pere le narré de tout ce qui s'étoit paffé entre lui & fon fils. J'avoue que le perfonnage de ce Gentilhomme n'eft pas de mon invention, & que je l'ai emprunté de l'Heautontimorumenos de Terence; mais je m'en fçais d'autant moins mauvais gré, qu'il m'eft d'un grand fecours dans le troifiéme Acte pour ménager le raccommodement qui fe fait entre le pere & le fils aîné.

J'ai fuppofé en fecond lieu, que ce fils aîné n'avoit rien encore appris de la déroute de fon frere, ni de l'impreffion que cette nouvelle avoit faite fur pere; & j'ai été d'autant plus maître de faire

fon

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