L'ENFANT PRODIGUE.
ELIAB, voisin & ami du pere. PHARE'S, confident du pere,
La Scene eft dans un bois voifin de la maifon du pere de famille.
HARE's tarde long-temps! cruelle in
Helas toûjours en proye à mon inquić- tude,
Depuis qu'il eft parti, chaque jour je l'attens; Je compte chaque jour les heures, les inftans, Rien ne paroît encor, quel defaftre funefte, Retarde fi long-temps l'efpoir feul qui me reste ? Je crains tout au milieu de ma juftè douleur,
Un noir preffentiment vient alarmer mon cœur :
Pharés ne revient point? mais non, pourquoi m'en plaindre ?
Je preffe fon retour, & je devrois le craindre. Peut-être fa lenteur ne fait que reculer
Le recit des malheurs qui doivent m'accabler. S'il revenoit, helas, que pourroit-il m'apprendre? Des difgraces, des maux, où je dois trop m'attendre ; Il viendra m'annoncer, qu'en proye à fes defirs, Ce malheureux a fait fon Dieu de fes plaifirs, Que plongé dans le crime, & dans un luxe infame A des feux criminels il a livré fon ame, Que dans fes paffions prodigue & déreglé Il a perdu les biens dont je l'avois comblé; Mais laiffons cette perte; & quel foin m'inquiéte ! Plût à Dieu que ce fût la feule qu'il eût faite; Et que dans tous les maux qui me font foûpirer Pharés ne m'apprit rien de plus trifte à pleurer! Enfin, à quelque fort que ce recit m'expose, Qu'il vienne de mon fils m'apprendre quelque chofe, Ah! fi du précipice on peut le retirer
J'ofe tout entreprendre, & puis tout efperer. En quelque état qu'il foit, qu'à mes vœux il ferende, Qu'il revienne, c'eft tout ce que mon cœur demande,
Fut-il nud, dépouillé, fans biens & fans honneur, Je n'envisage plus en lui que fon malheur. Malgré fa faute indigne, & malgré fa mifere, Qu'il revienne, il fera toûjours cher à fon pere. Que dis-je ? en quelque lieu qui puiffe le cacher, J'y veux, j'y veux aller moi-même, & le chercher. Oui, c'en eft fait ; en vain mon âge & ma foiblesse S'oppofent au deffein que forme ma tendreffe,
J'irai, le fallut-il, au bout de l'univers ; Et qu'ai-je encore à craindre, helas fi je le perds? O mon fils? ô fujet de mes tendres allarmes, Que tu me vas coûter de foûpirs & de larmes !
Rrêtez, c'en eft trop, non je ne puis pour moi, Soûtenir plus long-temps l'état où je vous voi; Et voisins depuis peu dans ce féjour champêtre, Quoique nous commencions à peine à nous connê
Le fombre & noir chagrin où je vous vois plongé,
Fait qu'à vous fecourir je me crois obligé. Souffrez donc que je parle, & qu'à votre filence, Je faffe à ce fujet un peu de violence.
Qu'est-ce encor, qu'avez-vous ? ne me le celez point, Quel malheur fi cruel vous afflige à ce point? Plus je vous examine, & plus je confidere, Moins de votre chagrin je perce le myftere: Tout vous rit, ce me femble, & vous réuffit bien, Honneurs, fanté, richeffe, il ne vous manque rien; Ne me direz-vous point le mal qui vous possede ? Quelque grand qu'il puiffe être, eft-il donc fans re- mede ?
Je fuis pere, Eliab, mille foucis cachez
A ce tendre & doux nom font toûjours attachez. ELIA B.
Que dites-vous ? j'ai cru qu'au Ciel, à le bien
Vous n'aviez fur cela que des graces à rendre,
que ce nom de pere & fi tendre & fi doux, N'avoit rien que d'heureux, & de charmant pour
Je fçai qu'il eft des fils d'un fâcheux caractere,
Qu'on diroit être nez pour le malheur d'un pere,
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