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jaloux de son agrandissement. Les Latins, les Eques, les Sabins, les Volsques, les Herniques, de Rome. et les Véiens, tantôt séparés, et souvent réunis, lui faisoient une guerre presque continuelle. Ce fut peut-être à l'animosité de ces voisins que les Romains furent redevables de cette valeur et de cette discipline militaire qui, dans la suite, les rendirent les maîtres de l'univers.

Tarquin vivoit encore; il avoit ménagé secrètement une ligue puissante contre les Romains: trente villes du pays latin s'intéressèrent à son rétablissement. Les Herniques et les Volsques favorisèrent cette entreprise : il n'y eut que les peuples d'Étrurie qui voulurent voir l'affaire plus engagée avant que de se déclarer; et ils restèrent neutres, dans la vue de prendre parti suivant les événemens.

Les consuls et le sénat ne virent pas sans inquiétude une conspiration si générale contre la république; on songea aussitôt à se mettre cn défense. Comme Rome n'avoit point d'autres soldats que ses citoyens, il fallut faire prendre les armes au peuple; (1) mais les plus pauvres, et ceux sur-tout qui étoient chargés de dettes, déclarèrent que c'étoit à ceux qui jouissoient des dignités et des biens de la ré

(1) Dionys. Halicarn. lib, V, p. 328.

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publique à la défendre; que, pour eux, ils étoient de Rome. las d'exposer, tous les jours, leurs vies pour

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maîtres si avares et si cruels. Ils refusèrent de donner leurs noms, suivant l'usage, pour se faire enrôler dans les légions; les plus emportés disoient même qu'ils n'étoient pas plus attachés à leur patrie, où on ne leur laissoit pas un pouce de terre en propriété, qu'à tout autre climat, quelque étranger qu'il fût; que du moins ils n'y trouveroient point de créanciers; que ce n'étoit qu'en sortant de Rome qu'ils s'affranchiroient de leur tyrannie, et ils menacèrent hautement d'abandonner la ville, si par un sénatus-consulte on n'abolissoit toutes les dettes.

Le sénat, inquiet d'une désobéissance pcu différente d'une révolte déclarée, s'assembla aussitôt on ouvrit différens avis. Les sénateurs les plus modérés opinèrent en faveur du soulagement du peuple. M. Valerius, frère de Publicola, et qui, à son exemple, affectoit d'être populaire, représenta que la plupart des pauvres plébéiens n'avoient été contraints de contracter des dettes que par les malheurs de la guerre; que si, dans la conjoncture où une partie de l'Italie s'étoit déclarée en faveur de Tarquin, on n'adoucissoit pas les peines du peuple, il étoit à craindre que le désespoir ne le jetât dans le parti du tyran, et que le sénat,

pour vouloir porter trop loin son autorité, ne An la perdît entièrement par le rétablissement de de Rome. la royauté.

Plusieurs sénateurs, et ceux sur-tout qui n'avoient point de débiteurs, se rangèrent de son sentiment; mais il fut rejeté avec indignation par les plus riches (1). Appius Claudius s'y opposa aussi, mais par des vues différentes. Ce sénateur, austère dans ses mœurs et sévère observateur des lois, soutenoit qu'on n'y pouvoit faire aucun changement, sans péril pour la république. Quoique sensible à la misère des particuliers, qu'il assistoit tous les jours de son bien, il ne laissa pas cependant de déclarer, en plein sénat, qu'on ne pouvoit pas, avec justice, refuser le secours des lois aux créanciers qui voudroient poursuivre avec rigueur les débi

teurs.

Mais, avant que d'entrer dans un plus grand détail de cette affaire, peut-être ne sera-t-il pas inutile de faire connoître particulièrement un patricien qui eut tant de part, aussi bien que ses descendans, aux différentes révolutions qui agitèrent depuis la république.

Appius Clausus ou Claudius, étoit Sabin de naissance, et des principaux de la ville de Ré

(1) Dionys. Halicarn. lib. V, pag. 330.

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gille. Des dissentions civiles, dans lesquelles son de Rome. parti se trouva le plus foible, dans l'année 250, l'obligèrent d'en sortir. Il se retira à Rome, qui ouvroit un asile à tous les étrangers. Il fut suivi de sa famille et de ses partisans, que Velleïus Paterculus fait monter jusqu'au nombre de cinq mille.

On leur accorda le droit de bourgeoisie, avec des terres pour habiter, situées sur la rivière de Téveron; telle fut l'origine de la tribu Claudienne. Appius, qui en étoit le chef, fut reçu dans le sénat; il s'y fit bientôt distinguer par la sagesse de ses conseils, et sur-tout par sa fermeté. Il s'opposa hautement à l'avis de Valerius, comme nous venons de le dire, et il représenta, en plein sénat, que la justice étant le plus ferme soutien des États, on ne pouvoit abolir les dettes des particuliers sans ruiner la foi publique, le seul lien de la société parmi les hommes; que le peuple même, en faveur de qui on sollicitoit un arrêt si injuste, en souffriroit le premier; que dans de nouveaux besoins, les plus riches fermeroient leurs bourses; que le mécontentement des grands n'étoit pas moins à craindre que le murmure du peuple, et qu'ils ne souffriroient peut-être pas qu'on annullât des contrats qui étoient le fruit de leur épargne et de leur tempérance. Il ajouta que

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personne n'ignoroit que Rome, dans son ori- An gine, n'avoit pas assigné une plus grande quan- de Rome. tité de terres aux nobles et aux patriciens qu'aux plébéiens; que ceux-ci venoient encore de partager les biens des Tarquins; qu'ils avoient fait souvent un butin considérable à la guerre, et que, s'ils avoient consumé ces biens dans la débauche, il n'étoit pas juste qu'on les en dédommageât aux dépens de ceux qui avoient vécu avec plus de sagesse et d'économie; qu'après tout il falloit considérer que les mutins et ceux qui faisoient le plus de bruit, n'étoient que les plébéiens des dernières classes, et qu'on ne plaçoit ordinairement, dans les batailles, que sur les ailes ou à la queue des légions; qu'ils n'étoient la plupart armés que de frondes; qu'il n'y avoit ni grands services à espérer, ni beaucoup à craindre de pareils soldats; que la république ne perdroit pas beaucoup en perdant des gens qui ne servoient que de nombre; et qu'il n'y avoit qu'à mépriser la sédition pour la dissiper et pour voir ces mutins recourir, avec soumission, à la clémence du sénat.

Quelques sénateurs, qui vouloient trouver un milieu entre deux avis si opposés, proposèrent que les créanciers ne pussent au moins exercer de contrainte sur la personne de leurs débiteurs. D'autres vouloient qu'on ne remit

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