An.1585. & fe retirerent. Mais quelques heures après for camerier l'aïant trouvé pâle & défait, appella les medecins, qui lui dirent qu'il ne pouvoit pas même compter fur deux heures de vie. Puifqu'il n'eft plus tems de penfer aux affaires du monde, dit le pape, qu'on me donne mon Crucifix, afin que je ne m'occupe plus que de lui. En achevant ces paroles, il fit plufieurs fignes de croix, recommanda fon falut à Dieu, & pria avec ferveur .Il demanda le faint viatique, mais les medecins ne le jugeant pas en état de le recevoir, on lui donna seulement l'extreme-onction, après laquelle il expira un mercredi dixiéme d'Avril, âgé de quatre-vingt-trois ans & trois mois, après douze ans, dix mois & vingthuit jours de pontificat. Son corps fut exposé pendant huit jours, & fut enfuite inhumé dans la magnifique chapelle Gregorienne, qu'il avoit fait batir dans l'église de faint Pierre de Rome

Gregoire XIII. réuniffoit en fa perfonne beaucoup de vertus dignes d'un fouverain pontife. On a toujours fait l'éloge de fa pieté & de fa fageffe. Il fut d'ailleurs d'un caractere doux & moderé, d'une grande fobrieté, généreux & bien faifant. On ne lui reproche que deux chofes d'avoir eu trop de complaifance pour fa famil le, & trop peu de fermeté pour arrêter & punir les défordres, fur tout ceux des bandits, qui fous fon pontificat couroient impunément la campagne de Rome,& oferent même porter leurs fureurs en plein jour jufques dans cette capi› tale ...

XXI. Le 21. d'Avril qui dans cette année étoit le Les cardi- jour de Pâques, les cardinaux entrerent dans le naux en conclave au nombre de quarante deux : & Marc trent au Antoine Muret leur fit un difcours fort éloquent, conclave pour l'élec pour les exhorter à donner à l'églife un chef qui tion d'un eût en même tems & la pieté de Pie V. & la prupape dence du dernier pontife. Avant de proceder à

l'éle

annon. 14.

l'élection d'un nouveau pape, on fit jurer tous les cardinaux. 1. Que celui qui feroit élu pape, An. 1585. travailleroit à entretenir la paix entre les prin- De Thou ces chrétiens, & les exhorteroit à s'unir contre lib. 82. les Turcs, les héretiques, les fchifmatiques, & Spond. hoc les autres ennemis du nom chrétien. 2. Qu'il ordonneroit à tous les juges & officiers de l'état ecclefiaftique de rendre compte de leur condui te, & qu'on en donneroit avis aux peuples, afin de recevoir leurs plaintes. 3.Qu'il ne transpor teroit point le fains fiége hors de Rome à moins d'une néceffité preffante, ou d'une raifon avantageufe à l'églife, confirmée par le facré colle ge. 4. Qu'il n'éleveroit à la dignité de cardinal, que des fujets de bonnes mœurs, recommandables par leur vertu & par leur doctrine, & qu'il ne donneroit point le chapeau à deux freres, felon le decret de Jules III.5. Qu'il ne pourroit point aliéner les biens ecclefiaftiques, finon du confentement du confiftoire. 6. Qu'il ne lui feroit permis de déclarer la guerre à aucun prince fans l'avoir propofé au facré college, & avoir pris en fecret les voix des cardinaux.7.Qu'il s'engageroit à conferver tous les privileges & tous les droits du cardinalat, & qu'aucun ne pour roit être dégradé ni puni que par le confiftoire.

Le lundi de grand matin, les cardinaux s'affemblerent dans la chapelle Pauline, & y reçurent la communion des mains du cardinal Farnefe, doïen du facré college. On alla enfuite au fcrutin, que l'on fut obligé de recommencer plus d'une fois; mais enfin, après bien des brigues & des factions particulieres, qui ne donnet que trop de preuves de la foibleffe de l'homme, & de fon amour pour les grandeurs, le cardinal'faint Sixte alla prendre le cardinal Alexandrin; & tous deux dans le moment même, vinrent embraffer Montalte, en lui difant: Vous étes pape, La plus grande partie des cardinaux

fuivirent leur exemple, & applaudirent à leur An.1585. choix. Cette voie d'élire un pape, s'appelle ado ration, lorfque chaque cardinal s'approche de celui qui doit être élû, & lui fait une profonde réverence: en forte que s'il a été ainfi falué des deux tiers de fes confreres, il peut être affu ré de fon exaltation. Mais il la faut néanmoins confirmer feulement pour la forme par le fcrutin; & les cardinaux auteurs de l'élection, ont foin d'y faire proceder fans préjudice de l'adoration.

XXII.

eft élú.

Pendant que les cardinaux alloient fe ranger Le cardinal en foule vers Montalte, le cardinal doïen leur Montalte ordonna de reprendre leurs places, afin de proceder au fcrutin. Montalte, avant que l'on eût commencé, s'approcha de faint Sixte, & illui dit à l'oreille:faites en forte que le fcrutin fe fasse fans préjudice de l'adoration. Ce cardinal avoit trop d'inclination pour Montalte, pour négliger de lui rendre ce fervice; il fe joignit au cardinal Alexandrin, & tous deux ils en firent la propofition. Montalte voïant plus de la moitié des fuffrages pour lui, ne douta plus alors de fon élection, & fans attendre la fin du fcrutin, il fortit de fa plae, & jettant au milieu de la falle le bâton fur lequel il s'appuïoit, il fe redreffa, & parut droit comme un jeune homme de trente ans. Tous les cardinaux furpris d'un tel changement, fe regardoient fans rien dire. Le doïen qui s'apperçut que faint Sixte & Alexandrin paroiffoient fe repentir, dit tout haut: N'allons pas fi vite, il y a de l'erreur dans le fcrutin. Non, repartit Montalte, d'un ton ferme, le ferutin eft bon & dans les formes; après quoi ce même homme, qui deux heures auparavant fembloit parler avec peine entonna le Te Deum, d'une voix forte & éclatante. Montalte aiant été ainfi élû, prit le nom de prend le Sixte V. en mémoire de Sixte IV. qui avoit été

XXIII.

com.

An.1585.

De Thou

2.4.

comme lui de l'ordre des freres minueurs fous la regle de faint François. Enfuite on annonça au peuple avec les cérémonies ordinaires, que nom de l'églife avoit pour chef le cardinal Montalte, Sixte V. fous le nom de Sixte V. ce fut un mercredi 24. lib. 82. d'Avril 1585. fur le foir. Il fut porté fur les trois Leti,vie de heures dans l'églife de faint Pierre, & reçû par Sixte V. les chanoines, qui l'attendoient fous le porti- liv. 5. que, en chantant l'antienne: Ecce facerdos Spond. ad magnus,&c. Il donnoit la bénédiction en fortant bunc angg du conclave avec tant de grace & d'affurance, Ciac.to.4. que le peuple ne pouvoit croire que ce fût le car- Lud. Jacob. dinal Montalte,qu'il avoit vû quelques jours au- in bibliot. paravant pouvoir à peine fe tenir fur fes jambes, pontif. & aïant la tête toujours panchée fur une épaule. Auffi, répondit-il au cardinal de Medicis, qui le félicitoit fur fa fanté bien differente de celle dont il jouïffoit étant cardinal. Je cherchais alors les chefs du paradis, & pour les mieux trouver,je me courbois, & je baiffois la tête; mais depuis qu'elles font entre mes mains, je ne regarde que le ciel,n'aiant plus befoin des chofes de la terre.

pe

ce pap

élection.

Ce pape étoit né de très pauvres parens, dans XXIV. un village de la Marche d'Ancone, appellé les Hiftoire de Grottes, près du château de Montalte. Son re nommé François Peretti, étoit vigneron chez jufqu'a fon, un riche bourgeois du lieu, qui lui fit époufer fa fervante, qu'on nommoit Gabane: il en eut trois enfans, deux garçons & une fille. L'aîné, dont il s'agit, naquit le 3. Décembre 1521. & reçut dans fon batême le nom de Felix. Il avoit neuf ans, lorfque fon pere ne pouvant le nourrir, le donna à un laboureur du païs pour garder fes moutons; mais fon maître n'étant pas content de fon fervice, voulut le punir, en le réduifant à la garde de fes pourceaux. La néceffité l'obligea de fe foummettre:mais ce jeuneenfant qui avoit les inclinations nobles, aïant rencontré un cordelier nommé Michel-Ange SelleTome XXXVI.

B

ry,

An.1585. ry, qui alloit prêcher le carême à Afcoli, & qui s'étoit égaré de fon chemin, courut à lui, & voulut l'accompagner jufqu'a la ville, fans que ce religieux par les remontrances pût l'obliger à s'en retourner. Il lui déclara en le conduifant, que le peu de bien de fon pere n'aïant pû feconder l'inclination qu'il avoit à l'étude, il fouhaitoit ardemment que quelque religieux le voulût bien prendre à fon fervice, & qu'il feroit de fon mieux, pourvu qu'il lui facilitât les moïens d'étudier. Le pere étonné des reparties fpirituelles de cet enfant, & voïant la réfolution où il étoit de prendre l'habit de fon ordre, le conduifit à Afcoli, & le préfenta au gardien, qui lui donna l'habit de frere convers

Le jeune Felix avoit tant d'efprit, & fit de fr grands progrès dans l'étude, que quand il eut atteint l'âge requis, on l'admit au noviciat, pour être enfuite religieux profès: il y fut reçu Je 25. de Septembre de l'année 1534 & voulut retenir le nom de Felix, qu'il avoit reçu dans fon batême. Après le cours de fes études, dans lefquelles il fe diftingua toûjours, il prit le dégré de docteur, prêcha avec beaucoup de réputation, & enfeigna la théologie en differens endroits. La mauvaife humeur, & la jaloufie de fes confreres le chagrinant, il trouva le moïen d'accompagner le cardinal Buoncompagno, légat en Efpagne, où il fe fit connoître par la beauté de fon génie. Le cardinal Alexandrin élu pape après la mort de Pie IV. appella le pere Felix à Rome, & le fit premierement général de fon ordre, enfuite évêque de fainte Agathe, & enfin cardinal; & dès-lors fa fainteté l'emploïa dans des affaires importantes; mais Pie IV. étant mort, & Gregoire XIII. lui aïant fuccedé, ce dernier n'eut pas pour le cardinal Montalte beaucoup d'égards, & lui donna très peu de part dans les affaires.