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Il est heureusement échappé à l'avarice des hommes qui ont toujours détruit les Ouvrages, dont la matière précieufe par elle-même, pouvoit être employée à d'autres ufages. Ce morceau eft d'or, mais d'un titre fort bas, & allié d'argent, ce qui joint aux autres raifons que je vais rapporter, me perfuade qu'il n'a point été fabriqué en Egypte. L'or de ce pays m'ayant paru fort fupérieur dans tous les monumens que j'ai vûs.

Ce Boeuf ou Taureau fut trouvé il y a peu d'années entre Lacédémone & Amiclée. La féchereffe de l'Ouvrage & le goût médiocre du travail m'engagèrent d'abord à l'attribuer aux Scythes. Je me rappellai plufieurs Monumens de cette Nation, & fur-tout les Deffeins gravés d'après les Antiquités qu'on trouva fous le règne de Pierre Premier, auprès de la mer Cafpienne & dans la Sybérie. La plupart de ces morceaux étoient d'or & formés par des lames à peu-près de la même épaiffeur que celles qui font employées à la fabrique de ce Monument. Mais après avoir bien réfléchi fur le travail, l'attitude & la figure de ce Bœuf, je me suis arrêté à le regarder comme une copie d'un Monument Egyptien, peut-être d'une Antiquité très-reculée: car la groffiereté du travail fur une matière rare, est une preuve inconteftable de l'ignorance du tems, auquel il a été fabriqué.

L'attitude de cet animal, eft femblable à celle du Bœuf Apis, gravé dans la Planche VII. du premier Recueil. Les trous placés devant & derrière, qui traversent la Figure, & qui fervoient à porter l'original, c'eft-à-dire, un plus grand Simulacre en proceffion, ne fe trouve ici, felon moi, que pour une plus parfaite imitation; enfin les fauffes cornes femblent figurer le difque d'une Aftre.

Toutes ces raifons me perfuadent que ce Monument copié d'après les Egyptiens, peut avoir été fabriqué dans un Pays étranger à l'Egypte.

J'avertis que le defir d'avoir un nouveau témoignage

du fecours que les autres Peuples ont tiré de l'Egypte, pour les Arts & pour la Religion, n'a pas influé fur le jugement que je porte.

La circonftance des fauffes cornes percées par intervalle, fans doute pour recevoir des guirlandes, ou pour appendre des vœux, eft une nouveauté pour nous. Les Hiftoriens & les Antiquaires n'avoient point encore eu occasion d'en faire la remarque. En fuppofant que cet ufage n'a point été pratiqué en Egypte, il faudra croire qu'il a été ajouté par un culte étranger; car il n'eft pas poffible de penfer que ce morceau foit contrefait ou moderne. On ne peut révoquer en doute fon authenticité: la manière dont il eft exécuté & les détails que je vais examiner en font une preuve convaincante.

Le grainetis qui forme les ornemens & la queue, eft foudé. Cependant l'Ouvrier ne paroît pas avoir eu cette pratique à commandement. On peut voir, pour s'en convaincre, au No. IV. la manière dont la tête s'emboîtoit dans le col. Il eft vrai que la plaque de deffous, qui fert de base & qui soutient tout ce Monument, eft également foudée; mais pour eftamper fon Ouvrage, c'est-à-dire, le repouffer par derrière, le même Ouvrier qui n'étoit pas plus habile a été obligé de travailler la tête féparément du corps, & de le réunir par un moyen auffi groffier, que celui qu'on trouve ici. Enfin ce qui prouve encore fon ignorance, c'eft de n'avoir point ménagé une matière, que les hommes ont ordinairement épargnée. Tout fon travail indique avec combien peu d'économie il a employé l'or dans ce morceau. La tête eft traversée dans fon épaiffeur par les fauffes cornes; procédé qui ne laiffe aucun doute fur le peu de pratique, quant à la foudure & à la réunion des parties. Cependant les mêmes Ouvriers fçavoient allier les métaux & diminuer la valeur de l'or. Ce n'eft pas la première fois que l'on a vû les hommes arrêtés dans les Sciences & dans les Arts par des détails

de peu
de conféquence, & faciles à appercevoir, tandis
que leurs lumières étoient déja fort étendues pour des par-
ties plus compofées, & par conféquent moins aifées. Ils
ont été plusieurs fiécles à inventer & à exercer des opéra-
tions, dont les principes étoient connus, & qui nous fem-
blent avoir dû néceffairement fe préfenter à leur efprit.

Corneille le Bruin, que je viens de parcourir par hafard, & que je n'avois pas confulté lorfque j'ai donné l'explication précédente, me fournit de nouvelles idées, & peut-être plus juftes fur ce Monument. Sans détruire ab- Pag. 307. tom. folument la conjecture que j'ai indiquée, cet Auteur dit, 1v. in-4°. en décrivant le Palais des anciens Rois de Perse, situé à Chelmenar ou Chilminar, que l'on y voyoit des figures d'Animaux qui peuvent avoir rapport aux Sphinx; c'est-àdire, qu'ils ont des aîles, un corps de Cheval, & des pattes de Lion, &c. Il ajoute, après avoir parlé de leurs têtes mutilées, & qu'il n'eft pas poffible de diftinguer, que ces Animaux font couverts d'Armes, ornées d'un grand nombre de boutons, ou de petites boucles.

Corneil le Bruin étoit Deffinateur, & le Deffein dont il a accompagné fon explication, autorife même plus que fon récit, l'opinion qui me refte à communiquer. Ce qu'il y a de certain, c'eft que l'on peut s'appuyer fur cet Auteur, & que la critique qu'il fait de Chardin, qui a décrit ces mêmes Monumens avant lui, donne des preu- Pag. 35. tom. ves de fon attention fur le fait dont il s'agit, d'autant IX. in-12. même qu'il avoit fous les yeux la Defcription de Char

din & les Monumens, lorsqu'il a relevé les fautes de cet

Auteur.

Il me paroît donc que ce Boeuf ou ce Taureau pourroit être un ouvrage des Perfes. Le grainetis dont il eft orné, & que j'ai décrit très - exactement, femble avoir beaucoup de rapport avec les petites boucles. On fçait que les Perses ont ravagé la Grèce fous les règnes de Darius & de Xerxès; & ce Monument qu'ils avoient copié &

emprunté des Egyptiens, ainfi que plufieurs Figures que l'on trouve encore aujourd'hui dans la Perfe, peut être demeuré dans le lieu où il a été trouvé par ces hafards, dont il eft impoffible de rendre compte. D'un autre côté, il eft fi léger de poids & fi médiocre de volume, qu'il a toujours été facile de le tranfporter.

Je defire que cette conjecture paroiffe affez forte pour contenter le Lecteur. Ce qu'il y a de certain, c'eft qu'elle lève toutes les difficultés que le Monument, dont il s'agit, peut préfenter quant à la forme, & à l'efpèce de fon travail.

Au refte,la comparaifon des Monumens peut feule conduire à la connoiffance & à la diftinction des Ouvrages d'une Nation, ou du moins fournir des conjectures plus vraisemblables.

Ce Bauf eft d'or, d'un titre fort bas, & allié d'argent. Il est tout au plus à feize Karats. Sa plus grande longueur eft de deux pouces deux lignes, & fa plus grande élévation, depuis le plan jufqu'au haut des fauffes cornes, eft de trois pouces une ligne. Il pefe une once, un gros, foixante grains.

N°. V.

Il n'y a pas long-temps qu'on trouva en Egypte l'Idole gravée fous ce N°. Elle préfente des fingularités fur lefquelles on ne peut pas même propofer des conjectures. On y voit une tête de Boeuf bifarrement unie aux apparences d'un corps humain, & l'examen fait appercevoir d'autres particularités, mais elles ne donnent aucun éclairciffement fur l'objet de cette Figure. J'obferverai feulement que le travail me paroît d'un goût moins fec que celui du No. précédent. En effet, l'Ouvrier plus habile fçavoit difpofer & traiter fa matière. On pourra dire à la vérité, que ces deux Ouvrages n'ont pas été produits dans le même Pays, & expliquer par-là la différence que j'y remarque. Mais je fuis perfuadé que l'un a été

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