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X V.

Légendaires, ou hi

Saints,

dier fans craindre de s'égarer, fi l'on en excepte peut-être celle de M
Godeau qui n'eft point à méprifer. Il faut beaucoup de difcernement,
de patience, d'attention, de travail pour bien écrire l'hiftoire, & tous
les auteurs n'ont pas ces qualitez. Peut-être pourroit-on y parvenir fi
chacun ne prenoit que la partie de l'hiftoire qui conviendroit mieux à
fon goût & au plan de fes études. C'est par cette raifon que les histoires
particulieres font ordinairement mieux travaillées que les hiftoires gé-
nérales. L'efprit de l'homme eft trop borné pour atteindre tout également,
& fes occupations font trop variées pour le lui faire espérer malgré fon
application. Il faut profiter du travail des uns & des autres, quand il eft
bien fait, & qu'il nous vient d'ouvriers habiles, laborieux, & furtout
judicieux. Ceux qui fe font appliquez à les faire connoître, à l'imitation
de faint Jérôme dans fon ouvrage des illuftres écrivains eccléfiaftiques
qui l'avoient précédé, ont rendu en cela un grand fervice: ils ont abré-
gé la voie & facilité le travail. Ce XV. fiécle a eu peu de fes fecours. On
en a procuré quelques-uns dans le XVI. & dans le XVII. fiécle. Ce genre
d'étude a plus dominé dans le XVIII. fiècle. Mais comme tous les tra-
vaux des hommes fe reffentent toujours de l'humanité, les meilleurs mê-
me doivent être lûs avec réflexion, & il feroit dangereux de prendre
fans examen toutes leurs décifions pour des oracles.

La partie de l'hiftoire eccléfiaftique qui a été le plus maltraitée jufqu'à la fin du XVII. fiècle, eft celle qui rapporte les faits qui ont éclaté Ronen, des vies des dans ceux que l'églife honore comme Saints, & qui ont rendu leur nom illuftre & leur mémoire refpectable. On a eu raifon de penfer que l'étude de l'histoire étant bien faite, ce feroit une excellente philofophie qui feroit d'autant plus d'impreffion, qu'elle nous parle par des exemples fenfibles, dont il eft bon de tenir registre, afin de fe les repréfenter à foi & aux autres dans les occafions. C'eft le but que paroît avoir eu l'auteur du Sophologium, & celui du Speculum vitæ humana, où l'hiftoire fe trouve mêlée avec la morale. C'est dans le même dessein que l'on donna au public le Miroir de Vincent de Beauvais : mais ces auteurs n'avoient pas les talens qui étoient néceffaires pour arriver heureusement à leur but.

Je ne fçai pas fi leurs ouvrages ont contribué beaucoup au change ment des mœurs, mais je fçai qu'il est difficile qu'on faffe des converfions folides, en prétendant conduire les hommes à la vérité par des fables souvent extravagantes, quelque air de piété qu'on leur donne. Les fept ou huit éditions que l'on fit de la Légende dorée de Jacques de Voragine pendant le XV. fiécle, me fcandalifent plus qu'elles ne m'édifient; & je veux croire qu'il n'y eut que le peuple ignorant qui en fit sa lecture. Cette légende contient en effet prefque autant d'impertinences qu'il y a de pages; tout y eft fait en dépit du bon fens. Le Jéfuite Ribadeneira voulut faire mieux, & réuffit prefque auffi mal. Ses vies des Saints font fort bien écrites en Espagnol ; mais la vérité de l'hiftoire y eft partout altérée, & l'on y trouve un grand nombre des fictions ridicules. On en a fait cependant un grand nombre d'éditions, furtout en François, pour fatisfaire le peuple ignorant, dont la piété fe laiffe ordinairement fé

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duire par des hiftoires qui lui paroiffent édifiantes. Mais difons-le férieusement, ces fortes d'écrivains, ces faifeurs de contes dévots, & de romans fpirituels, ces inventeurs de faux miracles & d'hiftoires apocryphes, ont fait à l'église un mal plus coníidérable qu'on ne l'a cru, fans doute, lorfqu'on a penfé que l'on pouvoit tolérer leur licence. Car outre qu'ils ont en grand tort de s'imaginer que les matieres de notre religion puiffent être embellies par des fictions & par des menfonges, ils ont abufé de la fimplicité & de la crédulité du peuple, qu'ils ont jetté dans l'erreur; & ce qui eft encore pis, ces fortes d'auteurs donnent lieu aux libertins de douter des véritez plus importantes, & de les confondre malicieufement avec ces fortes de fictions. Heureufement que la lumiere qui a éclairé depuis les fidéles, furtout en France, leur a fait comprendre que rien ne doit édifier que la vérité, & leur a fait négliger ces hiftoires remplies de fables & de puérilitez, pour leur fubftituer celles que des auteurs infiniment plus judicieux & plus éclairez, tels que M. Baillet, & plufieurs autres qui font venus depuis, leur ont mifes entre leurs mains. Le recueil des actes finceres des Martyrs publié le fiécle dernier, les actes fans nombre que les Jéfuites d'Anvers tecueillent depuis tant d'années, avec tant de peine & de foin, les fçavantes differtations dont ils accompagnent cette vaste collection, les actes des Saints de l'ordre de faint Benoît, & tant d'autres monumens anciens que les fçavans éclairez ont recherchez & publiez depuis un fiécle, ont été d'un grand fecours à ceux qui ont voulu écrire l'hiftoire de l'églife, dont celle des Saints fait partie, fans s'écarter de la vérité, qui doit être l'ame de quelque hiftoire que ce foit. Ce n'est pas que toutes ces pieces foient également autentiques, mais on peut aujourd'hui en faire le difcernement, & il faut prefque vouloir fe tromper pour être féduit, principalement s'il s'agit de faits un peu importans.

XVI. Recherche des an

Cette recherche laborieufe des anciens monumens, non-feulement pour ce qui concerne l'hiftoire de l'églife, mais de toute efpece, a ciens monumens. été l'objet de l'occupation principale d'un grand nombre de fçavans des deux derniers fiécles, & fe continue encore dans le nôtre; & quels avantages n'en a-ton pas tirez ? On a fait des voyages longs, pénibles, & fouvent dangereux, pour aller dans les pays les plus éloignez, chercher des manufcrits, déchiffrer des infcriptions, acheter des médailles, vifiter d'anciens monumens, lever des plans. On a parcouru toutes les bibliothéques, fouillé dans mille recoins d'un grand nom bre de monafteres, qui poffédoient la plupart beaucoup de ces richeffes littéraires fans les connoître, & où, depuis l'ignorance qui s'y étoit introduite avec le relâchement, elles étoient négligées & trop fouvent même en partie partie diffipées. On en a recueilli les précieux débris, & fauvé pour toujours un très-grand nombre, ou en les donnant au public par l'impreffion, ou en les dépofant dans des Bibliothéques connues, où les fçavans ont la liberté de les confulter. On a vu plus d'une fois des communautez régulieres, d'où l'amour de l'étude avoit chaffé l'ignorance & l'oifiveté, faire entreprendre ces voTome XXXIII. d

XVII.

yages à leurs dépens aux plus habiles de leurs membres; des particu liers même s'y engager à leurs frais, fans autre but que de chercher la vérité, & dequoi l'appuyer par de nouvelles preuves. Mais plus fouvent encore ces voyages ont été entrepris à la follicitation des rois & des princes qui ont fourni aux dépenfes qui étoient néceffaires pour les faire plus commodement, & en retirer plus de fruit. Outre les monumens fans nombre que l'on en a rapportez, la géogra phie s'eft perfectionnée par ces voyages; l'aftronomie, la navigation, & tous les arts y ont trouvé de grands avantages. On en a retiré plus de lumieres fur les mœurs, les coutumes, les ufages & la religion des peuples que l'on a vifitez: fur la forme de leur gouvernement, fur la fagelle ou bizarrerie de leurs loix, fur les révolutions qui leur ont fait changer de face, fur les caufes & les progrès de ces révolutions; & toutes ces lumieres ont été utiles à la religion, qui en a pris occafion, ou de s'introduire dans ces lieux, ou de s'y affermir. Elles ont donné lieu de confulter les traditions de ces differens pays, d'examiner fur quoi elles étoient fondées & de remonter ainfi jufqu'à l'origine des peuples & à leurs differentes tranfmigrations; ce qui n'a pas peu contribué à éclaircir beaucoup d'endroits de l'écriture-fainte, qui feroient toujours demeurez obfcurs fans ces connoiffances, & à répandre un grand jour fur l'histoire, tant eccléfiaftique que profane; & même fur toutes les fciences.

Je ne fçai fi l'on ne pourroit pas mettre auffi au rang de ces avantages les richeffes temporelles que ces voyages ont apportées à plufieurs Etats. Si elles ont nui à la fimplicité des peuples, & augmenté l'orgueil des rois, elles ont auffi excité l'émulation, produit le defir de faire de nouvelles entreprises, civilifé un nombre prodigieux d'hommes, qui n'avoient prefque rien auparavant qui les diftinguât des bêtes, & engagé les princes à envoyer des ouvriers évangéliques dans les terres étrangeres que l'on foumettoit à leur obéiffance; ce qui a porté la lumiere du chriftianifme dans une infinité d'endroits, où elle Le trouvoit entièrement éteinte fi elle y avoit brillé autrefois.Ces miffions ont été d'autant plus utiles, que l'étude de l'écriture & des faints peres avoit rendu la morale plus épurée, plus faine, plus conforme aux principes de l'évangile, & que le miniftere de la predication étoit plus honoré par ceux quí en étoient chargez.

Dans les fiécles ténébreux qui avoient précédé le renouvellement des Etude de la Morale. lettres, les véritez les plus importantes de la morale évangélique paroiffoient ignorées, ou obfcurcies & altérées par les interprétations que chacun y donnoit, fes préventions & fes cupiditez. Comme on marchoir prefque fans guides, ou que ceux qui entreprenoient de conduire les autres, n'avoient souvent ni regles sûres, ni inftruction folide, on s'égaroit avec eux : les opinions humaines avoient pris la place des regles des mœurs fi bien établies dans les écrits moraux des peres de l'églife, qui n'avoient été en cela que les fidéles interprétes de l'évangile qu'ils avoient grand foin d'expliquer à leurs peuples.

Les nouveautez profanes que faint Paul recommande tant d'éviter,

étoient embraffées avec ardeur, & il fe trouvoit peu de lumieres affez vives pour diffiper les nuages qu'elles répandoient dans l'églife. Ce n'eft pas que Dieu n'ait eu fes élus dans ces tems-là, puifque l'églife ne peut fubfifter fans eux, ni qu'on ait pu fe fauver en aucun rems fans une obfervation exacte & perfévérante des préceptes évangéliques: mais le nombre de ces faints étoit rare, & le clergé qui devoit être leur lumiere, étoit tombé dans un extrême aviliffement. La piété étoit un peu plus commune & plus réelle dans quelques monafteres, mais elle brilloit pea au dehors, & ne trouvoit même la fureté que dans l'obfcurité de la retraite. L'étude de l'écriture & des peres apprit ce que l'on ignoroit, & ouvrit les yeux fur la fauffeté des maximes que beaucoup fuivoient peut-être fans fcrupule, parce que la multitude les autorifoit, & que l'autorité fembloit les confacrer. On comprit enfin que le culte extérieur de la religion ne fert de rien fans le culte intérieur, qui confifte à adorer Dieu en efprit & en vérité, à lui rapporter toutes fes actions par amour, à ne les pas regler fur le caprice, le hazard, ou les inventions de l'amour propre ; mais fur ce que Jesus-Chrift, l'auteur de notre religion, avoit enfeigné, fur ce que les apôtres avoient prêché, fur ce que leurs fucceffeurs avoient écrit, fur ce que les faints avoient pratiqué. On le comprit, & plufieurs y conformerent leurs mœurs & leur langage. La théologie morale peu enfeignée dans les écoles, ou qui ne donnoit que des principes généraux, vagues, fouvent équivoques, & fujets à des interprétations arbitraires, fut plus commune, plus détaillée, plus lumineufe, plus folide. On connut davantage l'importance qu'il y avoit de ne pas fe tromper dans une affaire auffi férieufe que celle du falur, & l'on craignit avec raifon de n'être point excufé au jugement de Dieu, en prétendant s'autorifer de la doctrine commune de fon fiécle, quelque fidélité que l'on eût eu à la fuivre, fi cette doctrine ne fe trouvoit pas conforme à celle de celui qui n'eft pas fujet au changement, & qui ne peut exempter de fuivre dans un tems ce qui eft néceffaire dans tous. On commença à fentir que les abus n'en étoient pas plus excufables pour être plus communs, & qu'étant les enfans de la vérité, on ne pouvoit plaire à Dieu que par elle. Les conciles de Conftance & de Bafle firent de leur mieux pour s'oppofer au torrent qui entraînoit dans l'erreur, & leur zéle eut quelque fuccès. Mais comme ces progrès étoient lents & peu fenfi bles, les défordres étouffoient prefque toujours la bonne femence, & ce qu'il y a de plus trifte, l'état eccléfiaftique & monaftique avoit peu de foin de s'en garantir. Luther, Calvin, & plufieurs autres en prirent occafion de déclamer vivement contre l'églife en général qui n'en étoit pas coupable : ils en tirerent leur prétexte de s'en féparer ; & fous le beau nom de Réformateurs, ils devinrent plus criminels que les autres, & augmenterent le déréglement & le nombre des mauvais Chrétiens. Le concile de Trente aflemblé contre eux, fit de fages reglemens pour ramener les hommes à la vérité, & les univerfitez de Louvain & de Douai, où la lumiere brilloit avec beaucoup d'éclat dans un grand nombre de fes membres, feconderent ses vies, & fervirent plus que les autres à y faire entrer les peuples, & furtout le clergé. L'univerfité de Paris, quoique

XVIII.

Gafuites.

moins éclatante alors, n'y fut pas inutile. Mais le zéle éclairé & intrépide de faint Charles Borromée, joint à l'éminente fainteté de sa vie, remporta lui feul plas de conquêtes, & multiplia plus lui feul les triomphes de l'églife; les décifions fages & lumineufes qui fortirent des conciles, qu'il ne ceffa de tenir à Milan, avancerent beaucoup l'important ouvrage de la réformation du clergé, qui rejaillit néceffairement fur le peuple. Aujourd'hui que l'on eft encore plus éclairé, on ne fait pas difficulté de convenir que le faint archevêque de Milan pouvoit encore aller plus loin dans fes décifions, fans rien outrer. Il paroît même que les regles particulieres fur la pénitence, & principalement fur les tems d'épreuves par où il faut faire paffer un pénitent, pour s'affurer de la folidité de fa converfion, ont encore été affez long-tems après faint Charles, fans avoir acquis le dégré d'autorité qu'elles ont eu depuis.

Je crois que la multitude de Cafuiftes des deux derniers fiécles, eft ce qui a retardé davantage le progrès de la morale evangelique. Dans les beaux jours de l'églife, on ne connoiffoit point cette efpece d'hommes, qui ne font pour la plupart ni vrais théologiens, ni bons canoniftes, ni habiles philofophes. Comme ceux qui étoient Chrétiens, l'étoient de meilleure foi, ils n'alloient point chercher de prétendus docteurs, pour examiner avec eux jufqu'où alloient leur devoir, quelles reftrictions ils pouvoient y mettre, fi l'on pouvoit fuivre le probable au lieu du certain, ou du plus probable au défaut de la certitude connuë; s'il étoit toujours néceffaire d'agir en chrétien, même dans les actions communes & ordinaires de la vie. La fainte écriture qu'ils lifoient affiduëment, décidoit tous leurs doutes fans obfcurité, comme fans flaterie. Les équivoques, les reftrictions mentales, & tant d'autres maximes erronées, qui ont fait tant de ravages dans 1 églife, tant de mauvais chrétiens, tant d'hypocrifie & de pharifaïfme dans ces derniers fiécles, étoient entierement ignorez; & je m'imagine qu'on eût fort étonné alors les peres de l'églife, fi par efprit de prophétie on leur eût annoncé que ces opinions fi contraires à la vérité, & à la fimplicité chrétienne, établiroient un jour dans l'eglife une domination qui s'affujettiroit prefque la multitude des pafteurs & des fidéles. Cette domination cependant n'a que trop duré, & ce qui eft étonnant, c'eft qu'elle n'a commencé que forfque les nuages de l'ignorance fe diffipoient d'ailleurs de jour en jour. Dieu l'a permis ainfi pour faire triompher fa vérité avec plus d'éclat, & pour rendre fes victoires fur le menfonge plus brillantes & plus durables. Les reproches que nous faifons, après les perfonnes les plus éclairées au plus grand nombre des cafuiftes, ne conviennent pas cependant à rous; il faut rendre justice à ceux à qui elle eft dûe. Ceux qui dans la décifion des cas de confcience, & dans leurs traitez fur les regles des mœurs n'ont fuivi que la lumiere de la vérité, les préceptes de l'évangile, les maximes des faints peres, & les idées du bon fens, méritent d'être écoutez. L'églife a eu la confolation de voir travailler avec beaucoup de fruit dans fon fein un nombre affez grand de fes guides éclairez, qui n'ont agi que felon fon efprit, qui fe font oppofez avec zéle au torrent des opinions purement humaines, & qui ont

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