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Cinquiéme difcours fur s'haft. eccl.

On a vu en effet dans les volumes précédens de cette hiftoire, combien l'on avoit été de tems à revenir des maux que la barbarie des IX. X. & XI. fiécles avoit introduits dans l'églife, & qui avoient néceffairement rejailli fur l'Etat. L'établissement des univerfitez qui ne prirent ce nom qu'au commencement du XIII. fiécle, quoique quelques-unes fuffent déja prefque formées fous le nom d'écoles, commencerent à chaffer cette barbarie, & renouvellerent les études. Mais ces écoles avoient eu le malheur de ne commencer elles-mêmes à s'établir que dans un fiécle, où le goût des bonnes études étoit perdu, & la maniere dont on étudioit étoit peu propre à le faire renaître, comme on peut le voir dans le cinquiéme difcours de M. l'abbé Fleuri, prefque tout employé à faire connoître les études que les ecclefiaftiques faifoient alors, & la voie qu'ils prenoient pour y réuffir. Ce n'eft pas le moyen d'arriver que de choifir mal la route, & un ancien poëte a eu raifon de le dire, l'ouvrage eft à moitié fait quand on a bien commencé. C'est cette route fi frayée dans l'antiquité, & que l'on a dans la fuite perdu fi long-tems de vuë qu'un petit nombre d'heureux genies a enfin comme rétabli dans le XIV. fiécle. Ils y font entrez, leur exemple & leurs préceptes y ont introduit beaucoup d'autres : l'églife & la république y ont trouvé leur gloire & leur avantage. Mais comment y font-ils parvenus ? En étudiant les langues fçavantes, & en perfectionnant les langues vulgaires, en lifant les anciens dans leurs fources, en s'appliquant à l'hiftoire, la critique, à rechercher les livres originaux, à l'étude des anciens monumens. C'est la remarque judicieufe que M. l'abbé Fleuri fait dans le Cinquiéme difcours, difcours dont nous venons de parler, & dont celui-ci ne fera proprement à la fine qu'une fuite.

Ovid.

II.

à

L'étude des langues eft en foi un exercice ennuyeux & difficile ; l'homEtude des Langues. me eft naturellement pareffeux & ennemi de l'application. Ces deux raisons ont fait que l'on a affez long-tems négligé l'étude des langues fçavantes, depuis même que les écoles eurent commencé à jouir du repos que les innondations des barbares leur avoient fi long-tems enlevé.

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On fe contentoit alors de la langue Latine, & il n'y avoit prefque De la langue Latine. même que les eccléfiaftiques qui la fçuffent. Nous comprenons les moines & les religieux fous ce nombre. La connoiffance de cette langue a toujours été néceffaire au clergé féculier & régulier. On ne pouvoit entendre fans elle l'écriture fainte, les livres de théologie & de droit canon, les offices qui font en ufage dans l'églife. Mais dans les fiécles dont nous parlons , cette langue étoit tellement dégénérée de la nobleffe, de l'élégance & de la pureté de celle que l'on parloit dans le fiécle d'Augufte, & dont on retrouve encore de beaux veftiges dans les peres des premiers fiécles de l'églife Latine, qu'elle en étoit méconnoiffable. C'étoit proprement une autre langue qu'il faut étudier aujourd'hui férieufement fi on veut l'entendre; comme l'éprouvent ceux, qui par néceffité ou par goût s'appliquent à la lecture des actes, des décrets, des ordonnances, des chartres & des autres monumens de ces fiécles d'ignorance & de barbarie.

L'étude que quelques génies plus heureux & plus pénétrans firent

enfin de bons auteurs, qui ont fait autrefois tant d'honneur à l'Italie & dont la réputation depuis long-tems reffufcitée, ne mourra fans doute jamais, réveilla le goût & porta les premiers coups à la barbarie, dont on avoit reçu la domination fans s'en plaindre. On eut honte de ce Latin groffier qu'il fuffifoit prefqu'alors de parler & d'écrire pour s'acquérir la réputation d'homme fçavant. Les meilleures fources une fois connuës, on y puifa. Cicéron, Salufte, Tite-Live, Virgile, Horace, & tant d'autres fi long-tems oubliez ou extrêmement négligez, furent recherchez avec empreffement: on les lut, & on les goûta. L'étude qu'on en fit devenant commune, changea infenfiblement la face des univerfitez, le style devint plus poli & plus élégant, & par-là, il fut plus net & plus facile à entendre. On renonça à ces figures outrées, à ces enflures ridicules dont on chargeoit auparavant fon ftyle; on commenca à aimer le naturel, à fe rapprocher d'une fimplicité élégante, qui dénotoit la renaiffance du bon goût; & en peu d'années l'on ne tarda pas à être en état de diftinguer les bons auteurs des auteurs médiocres. Laurent Valle qui avoit été prefque le premier qui eût fait remarquer la barbarie des fiécles précédens, fut auffi l'un des premiers qui apprit à l'éviter. C'est un des auteurs de fon tems qui a le plus contribué à rétablir l'éloquence Latine : il la poffédoit dans un degré qu'un meilleur fiécle eût envié. Chryfoloras, quoique Grec d'origine, rendit le même fervice à la langue Latine. Maître excellent, il eut des difciples qui l'égalerent, & qui le furpafferent même. On vit fortir de fon école Leonard Aretin, François Barbaro, Guarini, Pogge, & plufieurs autres dont la Latinité eft de beaucoup fupérieure au plus grand nombre des auteurs du moyen âge, qui avoient écrit avant eux en cette langue. Erafme l'écrivoit & la parloit avec beaucoup d'élégance. Hermolao Barbaro, le Mantouan, Pic de la Mirande, Ange Politien, le cardinal Bembo, les Manuces, Sadolet, Muret, & beaucoup d'autres, ont montré un génie fupérieur & une élégance de style qui avoit difparuë pendant bien es fiécles, & que l'on a encore perfectionnée depuis. L'Italie, la France & l'Efpagne même virent alors des fçavans que l'ancienne Rome n'auroit pas défavouez. Louis Vivés, Efpagnol, a rendu de grands fervices aux lettres par fes ouvrages, & en particulier par celui où il traite au long de la corruption des arts. On ne peut encore trop lire aujourd'hui cet écrit, quoique depuis long-tems on ait évité la plus grande partie des défauts qui y font repris fi juftement, & avec une fi grande pénétration d'efprit. Le pape Nicolas V. prêta la main à ces fçavans, & peur que l'indigence ne retardât les biens qu'il efpéroit de leurs veilles & de leurs travaux, il les combla de bienfaits ; il fit chercher à fes dépens, même dans les pays étrangers, les manufcrits qu'il put recou vrer; il mit par-là ces fçavans en état de les étudier, de conformer leur style à ceux des anciens, & de profiter de leur érudition. Paul V. en 1610. après avoir confirmé la bulle de Clément V. fi favorable aux érudes, ajouta qu'il vouloit que ceux qui auroient fait plus de progrès dans les langues, fuffent préférez aux autres pour le doctorat, & que fi c'étoient des religieux, on les choisit préférablement pour remplir les

de

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IV.

Caracteres de quel& XVI. fécles.

que

de

dignitez de leurs ordres. Il profitoit ainfi pour le bien commun de l'églife
de l'amour propre, qui eft naturel aux hommes : il animoit l'ardeur
pour l'étude par cette émulation, & il ne faifoit rien d'ailleurs
jufte, puifque le titre de docteur ne doit pas être un vain nom, qu'il
faut le mériter & l'honorer en répondant à ce qu'il fignifie; & qu'enfin
il est important de ne mettre dans aucune place diftinguée que ceux qui
font en état de la remplir, & de ne confier la direction des autres atta-
chée à toute fupériorité, qu'à ceux qui peuvent en être la lumiere.

Si quelque défaut, au milieu de cette émulation, gâta le style de ques fçavans des XV plufieurs, ce fut une imitation trop contrainte de Cicéron, dont quelques auteurs du XV. & du XVI. fiècle affecterent trop de faire paffer les expreffions & les phrafes mêmes dans leurs ouvrages, fans examiner affez fi le fujet le demandoit, & fi ces dépouilles étrangeres n'étoient pas plus propres à déparer leurs écrits qu'à les orner. Les beautez ne plaifent qu'en leur place naturelle. Un aflemblage bizarre & mal concerté de tel es chofes, ne peut faire qu'un tout ridicule. Le défaut de ces auteurs étoit encore un refte du mauvais goût qui ne cédoit qu'avec peine une domination qu'il avoit long-tems ufurpée.

C'eft ce qui fait que depuis le rétablissement des lettres en Europe, il a fallu, ce femble, faire une nouvelle diftinction entre les écrivains profanes, & les auteurs eccléfiaftiques, quoique tous fiffent profeffion du Chriftianifme. Les premiers font ceux qui paroiffent n'avoir prefque point ambitionné d'autre gloire que celle de faire revivre la gentilité dans leurs écrits, & de parler & d'écrire en ftyle payen dans toute rencontre, d'imiter jufqu'aux défauts des anciens, & de s'affujettir à toutes leurs manieres, fans avoir égard aux circonftances des tems, des lieux, des perfonnes, & de l'état préfent des chofes de leur fiécle. De- là en particulier l'affectation ridicule de plufieurs fçavans des XV. & XVI fiécles, de ne prendre que des noms Romains, de rejetter ceux qui fes faifoient connoître de leur famille, que la naiffance leur avoit donnez, & que le Chriftianifme même avoit confacrez. De-là encore cés affemblées prefque toutes payennes qu'ils formoient entre eux, où l'on changeoit la deftination des études, dont le but eft de nous faire rechercher la vérité pour la connoître & l'aimer davantage, en un commerce d'amour propre, de vanité, & fouvent de pédanterie. De-là enfin ces abus énormes de la fcience qui fe font trouvez dans ces fçavans, qui n'ofoient lire l'écriture fainte dans le texte Latin de peur de gâter leur propre Latinité; qui ne pouvoient fouffrir les livres qui traitoient des matieres de la religion, fans laquelle néanmoins toute fcience devient inutile pour le falut, de peur d'altérer leur goût pour les antiquitez Grecques & Romaines, qui ne pouvoient fe réfoudre à lire leur breviaire en Latin, parce qu'ils ne pouvoient fouffrir celui de la bible & des offices de l'églife. Ceux qui ont évité ces défauts, font ceux, plus raifonnables & plus chrétiens, & par conféquent plus judicieux ont fait un choix fenfé de ce que les anciens payens ont écrit, & qui fe pouvoit appliquer à l'ufage du tems auquel ils écrivoient, & à la matiere qu'ils traitoient; qui n'ont point fait difficulté d'employer des ter

qui

mes eccléfiaftiques pour exprimer des chofes purement eccléfiaftiques, & qui par leur conduite ont montré aux autres les regles du bon fens & l'art de la véritable éloquence.

Heureufement que ces derniers ont eu plus d'imitateurs que les premiers, principalement depuis le XVI. fiécle, & furtout en France: car la plupart des académies que l'on a formées dans ce fiécle & dans le fuivant en Italie, ont beaucoup retenu de ce mauvais goût que nous blâmons, & de ces reffemblances avec le Paganifme qui doivent paroître fi méprifables.

X.

L'étude de la langue Grecque fi néceffaire pour rendre véritablement fervice à l'églife, & qui a tant contribué aufli au renouvellement des De la langue Grecque. lettres, a recommencé prefque en même-tems que l'étude de la langue Latine. On fçait dans quelle confufion l'ignorance de la premiere a jetté les plus grands hommes de l'églife Latine durant huit ou neuf cens ans. Mais on fut très-long tems à en appercevoir le remede, ou du moins à s'en fervir; & au tems même de S. Thomas, le Grec paffoit pour une chose si monstrueufe, qu'on l'évitoit prefque comme un écueil : Græcum eft, non legitur. Cependant la moitié des conciles généraux font écrits en cette langue, & les peres de l'églife Grecque qui font en grand nombre, ne méritent pas moins d'être lus que les Latins. Ils font, comme ceux-ci, partie de la tradition: ils font comme eux dépofitaires de la doctrine de l'églife. Comment entendre bien leurs écrits, fi on ignore leur langue? Les traductions font prefque toujours infideles ou imparfaites. Les meilleurs même ne rendent fouvent que foiblement les expreffions des originaux. On fe prive d'une partie du bien que l'on peur pofféder tout entier, quand on ne le reçoit, pour ainfi dire, que par les mains d'autrui. S'il arrive d'ailleurs des conteftations fur le vrai fens d'un paffage (& combien n'en eft-il pas arrivé ! ) ce n'eft pas fur la traduction que l'on difpute; mais fur le texte même. Ce n'est pas la traduction qui fert de fondement à la décifion, c'est le texte original. Combien celui qui fçait le Grec, a-t-il donc d'avantage fur celui qui Pignore? Combien tirera-t-il plus de profit, & aura t-il plus de plaifir, en lifant chaque auteur dans la langue dans laquelle il a écrit ? Enfin les livres du nouveau Teftament font écrits en Grec, & quand la vénération que l'on doit avoir pour fes faints oracles, n'eût pas été un motif affez puiffant pour porter à étudier la langue, dans laquelle l'ELprit faint les a dictez, la néceffité de les bien entendre devoit y en

gager.

Je ne fçai fi l'on avoit fait ces réflexions qui me femblent fi naturelles, avant que l'invafion de la Grece par les Turcs au milieu du du XV. fiécle, eût forcé les fçavans de ces pays à chercher une retraite dans les royaumes les plus voifins du nôtre. Mais il me paroît que c'eft à cet évé nement que l'on doit rapporter le renouvellement de l'étude de la langue Grecque en Europe. L'Italie profita la premiere des débris de la Grece. La maifon de Médicis les reçut dans fon fein, & l'on peut dire qu'ils payerent l'Europe entiere des gratifications & des bienfaits qu'ils reçurent de cette maifon. Chryfoloras enfeigna la langue Grecque en

VI.

De la langue Hébraïque,

Italie avec beaucoup de réputation, & eut un grand nombre de difciples qui lui firent honneur. L'eftime qu'ils s'acquirent, & les biens dont on les combla, exciterent de l'émulation, & la langue Grecque auparavant fi négligée, qu'elle étoit devenue prefque inconnuë, fut fçue d'un grand nombre, & ce fut prefque une honte de l'ignorer. Demetrius Chalcondyle, Argyropule, Budé, Erafme, & plufieurs autres ne contribuerent pas peu à la mettre en honneur par l'éclat avec lequel ils enfeignerent, & par le concours étonnant de ceux qui voulurent prendre leurs leçons. Quelques-uns de ces Grecs que la Maifon de Médicis avoit recueillis, & plufieurs de leurs difciples vinrent auffi en France. Louis XI. les y reçut avec plaifir, & les y attacha par des récompenses; & plufieurs y trouverent des établissemens très-honorables qu'ils n'auroient ofé efpérer dans leur patrie. Grégoire Tiphernas Italien, l'un des difciples de Chryfoloras, enfeigna la langue Grecque à Paris dès 1470. & eut pour fucceffeur George Hermonyme, fous qui étudia le célébre Reuchlin que l'on a voulu faire hérétique malgré lui : en forte qu'en moins de vingt ans l'étude de la langue Grecque fe vit répanduë dans prefque toute l'Europe.

Par cette voie, l'antiquité tant profane qu'eccléfiaftique, ne fut plus un pays inconnu ; fans fortir du repos & de la tranquillité de fon cabinet, on la parcourut avec plaifir & avec utilité : on put puifer la vérité dans fa fource on fe vit en état d'éviter les méprifes de ceux qui ne l'avoient envisagée qu'avec des yeux étrangers; on put confondre ceux qui s'autorifoient des noms les plus refpectables de l'antiquité, pour donner du corps à leurs chimeres, ou appuyer leurs erreurs. Le catholique forcé d'en venir aux mains avec l'hérétique,,, lui enleva les armes dont il fe fervoit contre l'églife, & le terraffa avec les mêmes autoritez qu'il prétendoit faire valoir contre nos dogmes.

Un eccléfiaftique, & tout autre fçavant qui veut approfondir l'écriture, de toutes les études celle qui convient le mieux au premier, & à quiconque eft maître de fon loifir, ne peut fe paffer de l'étude de la langue Hébraïque, & l'on en fentit la néceffité dès qu'on eut recommencé à reprendre le goût des lettres. C'eft en effet la langue originale des livres faints, & dans les premiers fiécles de l'églife, on en regardoit l'érude comme prefque indifpenfable. Les Proteftans voudroient bien fe faire paffer pour en avoir été les reftaurateurs en Europe: mais il faut qu'ils reconnoiffent qu'à cet égard, s'ils fçavent quelque chofe, ils en font redevables aux Catholiques qui ont été leurs maîtres, & les fources d'où dérive aujourd'hui tout ce que l'on a de meilleur & de plus utile touchant les langues orientales. Jean Reuchlin qui a paffé la plus grande partie de fa vie dans le XV. fiècle, étoit certainement catholique, & il fut auffi l'un des plus habiles dans la langue Hébraïque, & le premier des chrétiens qui l'ait réduit en art. Jean Weffel de Groningue lui avoit appris à Paris les élémens de cette langue, & lui-même eut des difciples en qui il avoit réveillé l'amour pour cette étude. C'a été pareillement le fecours de Pic de la Mirande qui étoit vraiement attaché à la communion de l'églife Romaine, que l'ardeur pour l'Hébreu s'est animée

par

dans

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