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dans l'occident. Les hérétiques du tems du concile de Trente, qui fçavoient cette langue, l'avoient apprife la plupart dans le fein de l'églife qu'ils avoient abandonnée, & leurs vaines fubtilitez fur les fens du texte, exciterent davantage les vrais fidéles à approfondir de plus en' plus une langue qui pouvoit tant contribuer à leur propre triomphe & à la défaite de leurs ennemis. Ils entroient d'ailleurs en ce point dans l'efprit du pape Clément V. qui dès le commencement du XIV. fiécle avoit ordonné que le Grec, l'Hébreu, & même l'Arabe & le Chaldéen, fuffent enfeignez publiquement pour l'inftruction des étrangers Rome, à Paris, à Oxfort, à Boulogne & à Salamanque. Car le but de ce pape qui connoiffoit fi bien les avantages que Ton retire des études faites avec folidité, c'étoit de faire naître pour l'églife par l'étude des langues, un plus grand nombre de lumieres propres à l'éclairer, & de docteurs capables de la défendre contre toute erreur étrangere. Son def fein particulier étoit que la connoiffance de ces langues, & furtout de celle de l'Hébreu, renouvellât l'étude des livres faints; que ceux-ci lûs dans leur fource, en paruffent encore plus dignes de l'Efprit faint qui les a dictez; que leur nobleffe jointe à leur fimplicité, connues de plus près, les fiffent révérer davantage, & que fans rien perdre du refpect qui eft dû à la verfion Latine, on pût fentir que la connoiffance du texte original, étoit encore plus utile à l'églife pour appuyer la solidité de fa foi, & fermer la bouche à l'hérétique.

Les vûes de Clément V. furent remplies dans toute leur étenduë , par l'établissement du collége royal à Paris, que l'on doit au crédit du fçavant Budé & à fon amour pour les lettres, & dont Genebrard met la fondation vers l'an 1528. fous le roi François I. Ce prince, ami des sciences & de ceux qui les cultivoient, eut foin de faire remplir les places de ce collége par les plus habiles qu'il put trouver ; & il n'examina pas toujours s'ils étoient fes fujets, mais s'ils étoient les plus capables. Paul le Canoffe & Agathio Guidacerio qui y profefferent les premiers la Jangue Hébraïque, étoient étrangers; mais Vatable qui leur fuccéda étoit de Picardie. Ce grand homme a fait beaucoup d'honneur à la na tion, par la connoiffance profonde qu'il avoit de l'Hébreu, & par le bon ufage qu'il en 'a fait, furtout dans fes notes fur la bible fi juftement eftimées. Pierre Danès qui remplir le premier la chaire en langue Grecque, étoit Parifien: Jacques Touffaint qui lui fuccéda, étoit de Champagne. Ces profeffeurs avoient une multitude étonnante de difciples qui s'empreffoient de les écouter pour profiter de leurs lumieres. On venoit prendre leurs leçons de tous les pays de l'Europe, & l'on en remportoit chez foi plus de goût pour les bonnes études, plus de facilité pour les faire, plus d'amour pour l'antiquité, plus de connoiffance de l'écriture fainte & des peres, des orateurs & des hiftoriens, des poëtes même & des philofophes; car on établit au collège royal des chaires pour prefque toutes les fciences que l'on y enfeignoit gratuitement ; & chacun forma dans fon pays des difciples qui en eurent d'autres, & qui per fectionnerent par leur application, & par de nouvelles découvertes, ce que ceux-ci leur avoient appris. Cet établissement a toujours fubfifté Tome XXXIII.

b

VII.

Etabli Tement du college royal à Paris.

VIII.

depuis avec honneur & avec utilité, quoique varié felon les tems. II fubfifte encore aujourd'hui, & fi le concours n'approche plus de celui que l'on y voyoit dans le XVI. fiécle, c'eft moins la faute des profeffeurs, que le relâchement pour l'étude des langues fçavantes dans lequel on eft tombé prefque auffitôt que les difputes avec les hérétiques font devenuës moins vives & moins fréquentes. Il me femble que l'on a repris cette étude avec une nouvelle ardeur depuis le commencement du XVIII. fiécle, & l'églife doit fouhaiter qu'elle fe fortifie, & qu'on y perfévere. On peut rendre encore une autre raifon de ce que le collége royal a été moins fréquenté depuis près d'un fiécle: c'eft qu'il s'eft formé un fi grand nombre d'établiffemens prefque femblables en différens endroits de l'Europe, qu'il n'eft plus néceffaire de fortir de fon pays pour approfondir les connoiffances, qui font le but de ces établiffemens; & cet avantage n'eft pas peu eftimable, puifque l'on eft plus porté à apprendre ce que l'on peut fçavoir avec moins de peine & de frais.

Deux chofes avoient beaucoup contribué encore au renouvellement des lettres avant la fondation du collège royal, l'invention de l'Imprimerie que l'on met vers le milieu du XV. fiécle, & la bibliothèque de Fontainebleau. La premiere fut un bien général, & commun à toutes les nations. Jufques-là les livres étoient non feulement rares & chers, parce qu'ils n'étoient que manufcrits; mais encore très-fouvent imparfaits, parce qu'il falloit s'en rapporter à des copies que l'ignorance avoit altérez. Mais l'Imprimerie une fois trouvée, & n'ayant pas tardé à fe perfectionner, les livres furent plus communs, plus faciles à lire, & plus exacts; & avant la fin du XV. fiécle, la plupart des meilleurs en tout genre, pouvoient être à peu de frais, entre les mains de tout le

monde.

L'établiffement de la bibliothèque de Fontainebleau fut un avantage plus particulier à la France; il n'y avoit eu jufques-là de bibliothèque royale que celle de Blois, fondée par Charles duc d'Orléans, qui a peutêtre été le meilleur poëte, de fon tems, & le prince de fon fiécle le plus inftruit dans la littérature, comme on le voit par fes écrits que l'on conferve à la bibliotéque du roi de France Louis XII. fon fils enrichit tellement cette bibliothèque, que fous fon regne elle fut regardée comme une des chofes les plus rares qui fût en France. Le célébre Jean Lafcaris qui étoit venu en ce royaume avec le roi Charles VIII. au retour de ce prince de l'expédition de Naples, donna à cette nouvelle bibliothèque beaucoup de manufcrits Grecs, dont le nombre fut encore augmenté de 60. volumes achetez par Jerôme Fondule, fans compter ceux que Jean de Pins acquit pendant fes ambaffades de Venise & de Rome. Ces manufcrits étoient communiquez aux fçavans, & leur lecture contribua certainement au progrès des fciences. Tout devient utile dans un renouvellement, & la facilité que l'on trouve à s'inftruire, en augmentant les connoiffances, augmente auffi pour l'ordinaire le defir d'en acquérir de plus grandes.

Mais je penfe que les progrès des fciences euffent été moins confidêFrudes des langues rables & moins rapides, fi, contens de n'étudier que les langues fça

vulgaires.

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vantes, ont eût négligé d'apprendre celles qui font en ufage chez les peuples avec lefquels la nature nous a unis. La religion certainement y eût moins gagné. On ne peut en parler au peuple ni en Grec, ni en Hébreu, & le Latin même n'eft entendu que du petit nombre. Il faut donc en parler chacun dans la langue qu'il entend. Nos miffionnaires n'auroient fait aucun fruit, quelque chargez qu'ils euffent été d'Hébreu & de Grec, s'ils euffent ignoré le langage des peuples chez qui ils étoient envoyez, & leur zèle n'eût pû y fuppléer, quelque grand qu'on le fuppofe. Il faut me parler Italien, Allemand ou François, fi je n'entends que ces langues,& que vous vouliez que je comprenne ce que vous avez à m'apprendre. Excepté la langue Latine,il eft très-difficile,pour ne pas dire prefque impoffible, que l'on foit affez familiarifé avec les autres langues fçavantes, pour lier une converfation bien longue avec ceux même qui les fçavent dans une égale perfection. Toute langue qui n'est point dans l'ufage commun, il eft extrêmement rare qu'on la parle avec cette facilité qui eft néceffaire pour fe faire écouter avec plaifir,& par conféquent avec fruit ; & quand cela feroit, où trouver des auditeurs? Auffi les langues vulgaires ont-elles été encore plus communément étudiées depuis le renouvellement des lettres que les langues fçavantes, principalement par ceux qui étoient chargez de l'inftruction des peuples. On a fait plus, & l'avantage dont je veux parler n'étoit pas moins nécessaire: on s'eft appliqué à perfectionner ces langues vulgaires.

En effet la partie de l'éloquence la plus néceffaire pour les matieres de la religion, c'est de s'exprimer en bons termes. Dans quelque langue que l'on parle, la barbarie du difcours rend les chofes confufes & n'eft capable que d'en donner du dégoût. Il eft vrai que l'on doit plus faire attention à la vérité des chofes qu'à la beauté du difcours; mais l'homme étant tellement difpofé que la politeffe & la pureté du difcours lui font mieux fentir & goûter les chofes mêmes, au lieu que la groffiereté & la barbarie du style ennuyent & déplaifent; il faut autant qu'il eft poffible, s'exprimer d'une maniere propre à fe faire écoutet, en rendant, comme dit S. Auguftin, les chofes faciles à comprendre, agréables à entendre & capables de toucher. C'eft ce qu'on ne fçauroit faire qu'en parlant bien & en bons termes. C'est donc une des raifons pour lefquelles on s'eft tant appliqué depuis le XV. fiécle à polir même les langues vivantes & à les perfectionner. On a fenti que le commerce entre ceux d'une même nation en deviendroit plus libre, plus ordinaire, plus utile, fi la politeffe qui fait tant d'impreffion fur les efprits, & même fur les cœurs, s'emparoit du langage: que de la politeffe du difcours, on pafferoit infenfiblement à celle des mœurs, & que réciproquement la politeffe des mœurs augmenteroit celle du difcours; que le fçavant pourroit fe faire écouter avec plaifir de celui qui ne l'eft pas ; que les tréfors de la science ne feroient plus fermez au peuple, fi l'on pouvoit mettre celui-ci à portée d'y puifer; qu'on y parviendroit en lui parlant une langue familiere, & dont les graces attireroient fon attention, & lui ôteroient la plus grande partie des peines qui fe rencontrent dans l'étude; que la religion furtout y gagneroit confidérablement, fi l'on pou

Dupin, méthode pour étudier la théologie, p.

IX.

Traductions.

voit l'expliquer au fimple d'une maniere proportionnée à fa fimplicité, & lui mettre entre les mains des livres écrits en fa langue, & où la netteté & la clarté du difcours diminuaffent la contention que les matieres pouvoient demander. On a bien compris que chaque nation en perfectionnant ainfi fa langue, engageroit d'ailleurs fes voifins à l'apprendre; que par-là on ne feroit plus étrangers les uns envers les autres; que les richeffes de l'efprit fe communiqueroient, pour ainfi dire, comme celles qui viennent par le commerce; & que beaucoup même, fans Grec ni Latin, pourroient profiter jufqu'à un certain point des tréfors de la Grece & de Rome, par les traductions élégantes & fidelles qui leur viendroient de bonnes mains; & ce qui eft plus digne de notre attention, que les théologiens en parlant de la langue du pays où ils vivroient contribueroient beaucoup par-là à diffiper l'ignorance par rapport à la religion, qui eft de toutes les fciences, celle qu'il importe le plus de fçavoir.

Les différentes académies qui fe font formées dans le XVI. & dans le XVII. fiécles, & dont le but principal étoit de nourrir l'amour pour les langues fçavantes, & de perfectionner celles des pays où l'on a fait ces établissemens, ont été d'un grand fecours pour ce genre d'étude; & quoique plufieurs ayent fuivi le fort ordinaire des chofes humaines, de dégénérer avec le tems, on ne peut nier que ces établiffemens n'ayent été très-utiles pour l'avancement des lettres, & en particulier pour la connoiffance & la perfection des langues.

Il est vrai qu'avant eux on avoit commencé à traduire plufieurs ouvrages en langue vulgaire. L'écriture fainte principalement avoit paru en Italien, en Flamand & en Allemand avant la fin du XV. fiécle. Ôn confacra prefque auffi les prémices de l'Imprimerie aux éditions d'un grand nombre de traductions des ouvrages des peres de l'églife, qui avoient été faites par des auteurs plus anciens, & qui exciterent les modernes à en entreprendre de nouvelles & de plus parfaites. Le XVII. fiécle a été très-fécond en traducteurs, & la France feule en a produit un très-grand nombre en tout genre. Tant que le bon goût fubfiftera, on eftimera la traduction Françoise de la Bible que M. le Maître de Saci a donnée, & pour laquelle il a été aidé par quelques-uns de fes amis ; c'eft la premiere qui ait paru en cette langue qui mérite d'être entre les mains des fidéles, & je ne fçai fi l'on ne doit pas dire que c'est la feule. On n'eftimera pas moins les traductions en la même langue de tant d'ouvrages des peres de l'églife, tant Grecs que Latins, qui ont coûté dans le dernier fiécle tant de veilles & de foins aux folitaires de Port-Royal, & à leurs amis. Comme on a encore perfectionné la langue Françoife depuis ces fçavans, on a auffi donné des traductions, finon plus fidéles, au moins plus élégantes, & par cette voie on a facilité au peuple le moyen de fe perfectionner même dans fa propre langue, en paroiffant n'avoir eu d'autre but que celui de former fes mœurs.

Les établissemens littéraires dont nous avons parlé ont beaucoup contribué à donner de la perfection à ces traductions; & plus ce genre de travail paroît fec & rebutant, furtout pour des imaginations vives &

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brillantes qui ne peuvent pas ailément fe fixer aux pensées d'autrui,
plus on a d'obligation à ceux qui s'y font appliquez avec foin. Quoiqu'il
foit très-difficile de faire paffer toutes les beautez & route l'énergie d'un
auteur d'une langue dans une autre, au moins n'eft-il nullement impoffi-
ble d'en approcher, quand ces traductions ne font entreprises que par
des hommes d'efprit qui connoiffent également la force & le génie des
deux langues; & c'eft diminuer toujours d'autant notre pauvreté,
& augmenter nos richeffes, que de les entreprendre. Ce n'eft pas feu-
lement un tréfor pour le fimple fidéle, il n'eft gueres moins utile à la
plupart des pasteurs, & à tous ceux à qui l'inftruction du peuple eft com-
mife, & qui n'ayant pas le tems de recourir aux fources, ni toujours
la capacité nécessaire pour être en état de les mettre en œuvre, profitent
fans danger d'un travail plus abrégé & qui leur devient plus facile par ces
traductions, où l'on trouve la fidélité jointe à Pignorance & à la politeffe
du ftyle.
Lelegame

X.
Etude de l'Ecriture

La connoiffance des langues a facilité celle de l'écriture fainte, & on en a repris l'étude avec un nouveau goût & une nouvelle utilité. Il n'y fainte. en a point qui ait tant été recommandée dès les premiers fiécles, nonfeulement aux ecclefiaftiques, mais auffi aux fimples fidéles. La raifon en eft naturelle. L'écriture fainte eft le premier fondement de notre foi, la dépofitaire de la vérité, & le plus beau préfent que Dieu ait fait à fon églife, comme s'exprime le concile de Trente. C'eft la lumiere qui éclaire tous ceux qui ne veulent point marcher dans les ténebres, & l'arme la plus terrible que l'on puiffe employer contre l'hérétique. Elle fait auffi la confolation du pafteur & du peuple; elle inftruit l'un & l'autre dans une piété folide & lumineufe ; & malgré l'obfcurité qui s'y trouve répandue en quelques endroits, elle brille fuffifamment aux yeux de tous ceux qui la lifent avec foumiffion & avec pureté de cœur. Il n'est donc pas étonnant qu'elle ait fait pendant tant de fiécles l'objet prefque unique de l'application d'un fi grand nombre de perfonnes de tout état, & les délices de tous ceux qui ont vécu avec piété, & dans l'attente des biens céleftes dont elle parle en tant d'endroits. Cette étude cependant étoit extrêmement négligée, lorfque les premieres étincelles du bon goût ont recommencé à briller. On ne s'en occupoit plus qu'avec beaucoup de tiédeur dans les écoles même de théologie, & l'on s'y contentoit fouvent des extraits imparfaits que l'on en trouvoit dans quelque théologien peu folide, qu'on mettoit entre les mains de ceux qui vouloient s'appliquer aux fciences eccléfiaftiques. De-là l'ignorance qui régnoit dans le clergé, le peu de défenfeurs que l'églife y trouvoit pour faire valoir fes dogmes contre les héréfies : les raifons pitoyables que l'on employoit contre ceux qui les attaquoient, & que l'on trouvoit bonnes l'ordinaire, parce qu'il n'y avoit pas plus de lumiere dans celui qui attaquoit que dans celui qui répondoit; de là tant d'argumens frivoles que l'on employoit férieufement pour défendre la caufe de l'églife qui s'en trouvoit deshonorée, & les triomphes que les adverfaires remportoient quelquefois dans des combats, où la foibleffe de ceux avec qui ils difputoient, faifoient tout leur avantage. De-là enfin tant de faux

pour

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