J'ai vu tomber à mes genoux Le Magiftrat, le Militaire, Les foins qu'ils mé rendoient, ils les rendoient à d'autres. Mais un favant eft ferme en fes amours. S'il s'engage, c'eft pour toujours. Et ne connoît d'autres loix que les nôtres. Quand de pareils amans deviennent nos époux, Nous dominons fur eux, fans qu'ils regnent fur nous. L'hymen rallentiffant leurs flammes, La vieille habitude renaît. L'étude tout entier les occupe, & leurs femmes C'eft agir prudemment, Madame. Il faut donc l'époufer & faire fon chemin. Jai fait tomber mon choix, & je ferai fa femme, LA MARQUISE Tu peux compter fur moi. Mon frere eft à Paris, où, felon l'apparence, Il fonge à marier Eloïfe, & je croi NERINE. Nous l'attendrons peut-être encor long-teins, je penfe. LA MARQUISE. Il m'écrit qu'aujourd'hui nous le verrons ici. Adieu. NERINE. Madame, grammerci. Comptez auffi fur ma prudence. Abailard vient. Deformais avec foin J'obferverai leur contenance, Et vous viendrai, de tout, informer au befoin. SCENE I I. LA MARQUISE, ABAILARD. ABAILAR D. AUPRE's de vous, Madame, on m'a dit de me rendre. LA MARQUISE à part. Quel trouble eft comparable au mien ! haut. Peut-on vous demander un moment d'ens tretien ? A BAILAR D. Me voici prêt à vous entendre. LA MARQUISE. Mais, avant tout, fur vous puis-je compter? C'eft m'offenfer que d'en douter. Ah! qu'il en coute cher d'aimer & d'être femme! haut. Non. Voyez mes yeux, ne vous disent-ils pas A BAILAR D. LA MARQUISE. Ah! que je le hais de s'expliquer fi mal! Mais vous dont le génie eft, dit-on, fans égal, Et je crois qu'en cela l'on ne vous fait pas grace, Qui même dans les cieux fçavez ce qui fe paffe, Ne concevez-vous pas ce qui fe paffe en moi ? A BAILAR D. Non, Madame, & j'avoue ici mon ignorance, LA MARQUISE. Abailard, à ce que je voi, Vous n'êtes point fi favant que l'on penfe! A BAILAR D. Le cœur humain est un vrai labyrinte. On ne voit rien de plus obfcur que lui. C'eft où regnent fur-tout & l'erreur & la feinte. L'homme peut bien porter fes regards dans les cieux, Mesurer leur espace, en compter tous les feux, Connoître la nature & fon Auteur fuprême ; Mais, foit diftraction, foit négligence extrême Ou crainte de fe voir fi petit à fes yeux, L'homme ignore un autre homme, & s'ignore luimême. LA MARQUISE. Il eft vrai. Pour juger des foibleffes d'autrui, Pour vous que rien n'altere, ni n'enflamme, Je n'oferois me prévaloir.... LA MARQUISE. Sans pénétrer trop avant dans votre ame Je pourrois avancer que fur un certain point Au reste des mortels vous ne reffemblez point. ABAILARD. Et quel eft ce point là? LA MARQUISE C'est l'amour. ABAILARD. Quoi, Madame, Vous me croïez incapable d'aimer LA MARQUISE Dui. A BAILAR D. Je n'ai point fucé le lait d'une tigreffe, Et dans moi la nature a pris foin de former Un cœur, des fentimens, de la délicateffe, Enfin tout ce qui fait qu'on le laiffe charmer. Eh! quelle ame, après tout, & fi fiere & fi dure Ne fe laiffera pas quelquefois enflammer, voyant les beautés qui parent la nature, dont les feux fçavent tout animer ? LA MARQUISE. En Et ces yeux baut. S'il arrivoit donc qu'une femme ABAILARD à part. A quoi tend ce propos?.... Voilà votre intendant qui vous cherche, Madame. SCENE III. LA MARQUISE, ABAILARD, M. GRIF. baut. LA MARQUISE à part. AH! que ces intendans font fots! Laiffez-moi, je vous prie, un moment en repos. Un autre jour je verrai cette affaire. |