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Madame, & quelle est ma surprise!
ELOISE.

Quoi ! vous osez me refuser!
C'en eft fait, Abailard n'aime point Eloïfe!
A BAILAR D.

Madame, il vous adore, & jamais tant d'ardeur
Ne s'étoit fait fentir dans le fonds de mon cœur.
Mais....

Tout.

ELOISE.

Qui peut empêcher l'effet de vos promeffes?
A BAILARD.

ELOISE.

Quoi vous craignez....

ABAILAR D.

Oui. Je crains mille revers;

Je crains mon amour, mes foibleffes, Les rigueurs de Fulbert, enfin tout l'univers. Eft-ce là, dira-t-on, ce Philofophe auftere ?

ELOISE.

Tu crains les vains difcours d'un peuple témé.

raire,

Et de ton Eloïfe, & d'une amante en pleurs,
Tu comptes donc pour rien la honte & les douleurs!
Quoi! fon amour trahi, l'état où tu la laisses,
Tes fermens redoublés, la foi de tes promeffes;

Que fçais-je encor! peut-être mon trépas, Qui va fuivre de près la hon e où t. m'abbaisses,

B

Ingrat ne te toucheront pas !

A BAILAR D.

Ah! cruelle ! ceffez de tenir ce langage.
Vous vivrez, fi vos jours dépendent de ma foi.
Ecartons ces horreurs loin de vous & de moi.
J'entrevois, à travers la fureur de l'orage,
Un port qui peut nous mettre à couvert du nau-
frage.

Venez, pourquoi balancez-vous ?

Profitons des momens que le ciel nous envoye.
En me suivant vous fuivrez un époux.
ELOISE.

Pour nous fauver n'eft-il que cette voye ?
A BAILARD.

Dequoi pouvons-nous nous flatter? Efclave des grandeurs, plein de fon opulence, Fulbert voudra-t-il écouter

Un amant, qui fans biens, fans titre, fans naiffance,

Ne peut piquer fa vanité

D'aucun de ces grands noms dont il est entêté ?
Quand même à nos defirs rien ne feroit contraire,
Pouvons-nous refter en des lieux,

Où l'on va deformais, à la honte des deux,
Publier mille bruits qu'on ne peut faire taire ?
Je fens que j'en mourrois de douleur à vos yeux.
ELOISE.

Non, cher amant, fouffrez feulement que j'agiffe

Eloïfe pour vous priera, preffera,
Devant fon cruel oncle, elle s'abaiffera.
Fulbert à nos fouhaits peut devenir propice.
Alors, cher Abailard, unie à votre fort,
Alors de votre cœur uniquement jaloufe,
Vous me verrez vous suivre avec transport
Partout où vos defirs conduiront votre époufe.

A BAILAR D.

Eh bien. Je veux tout ce que vous voulez. Je veux jufqu'au bout vous complaire. Voyez Fulbert, priez, preffez, parlez. Employez de vos yeux l'éloquence ordinaire. J'entends du bruit: changeons de ton & d'en

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ELOISE, ABAILARD, NERINE.

NERINE, à part au fond du théatre.

SUR le fait je m'en vais les prendre.

Ecoutons leurs difcours, & retenons-les bien. A BAILAR D.

La chofe eft aisée à comprendre,

Et par l'expérience on peut la démontrer.

On a grand tort de s'opiniâtrer

Et contre la raifon, & contre l'évidence

B sj

ELOISE.

Si l'air eft élastique, il eft conféquemment

Pefant, compacte & plein de resistance. Or s'il eft tout cela, je ne vois pas comment Les hommes peuvent un moment Réfister à ce poids immense.

Il doit les écraser indubitablement.

ABAILAR D.

Non. Car l'air du dedans tient l'autre air en ba

lance.

ELOISE.

Cet air extérieur devroit les empêcher

Au moins d'aller, de venir, de marcher. Je croyois me mouvoir, dans un immense vuide. Soûtenir le contraire, eft vraiment me fâcher. Il me faut deformais marcher d'un pas timide, Crainte de quelque chute, ou crainte de broncher Contre un atôme trop folide.

ABAILAR D.

Ne craignez rien. L'air eft fluide.

ELOISE.

Je commence à voir clair, mais pour m'éclaircir

mieux,

Recourons à l'expérience.

Ils fortent

SCENE V I.

NERINE, feule.

HELAS! qu'ils font fimples tous deux !.

Ils ont peu

de malice, encor moins de fcience, Car la premiere, à mon avis,

Eft, quoique puiffe dire un docte & fes écrits,
Celle d'aimer & de fe rendre aimable.
Frontin l'a dit, j'en crois Frontin.
Or je foûtiens, chofe fort foûtenable,
Qu'un amant ignorant eft toujours préférable
Au Philofophe froid qui n'a que fon latin.

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Comment me traite-tu, ma charmante Lutine

Car on peut à bon droit t'appeller de ce nom.

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