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DISCOURS

SUR

L'HISTOIRE

DE S

SIX PREMIERS SIECLES

DE L'EGLISE.

j'ai

Etabliffe.

ment divin
du Chri-
ftianifme

E lecteur est maintenant en état de juger fi j'ai tenu parole; & fi montré, comme j'avois promis dans la préface, que la religion chrétienne eft purement l'ouvrage de Dieu. On a vu qu'elle s'eft établie en peu de temps par tout l'empire Romain, & même au-delà : non-feulement fans aucun fecours humain, mais malgré toute la réfiftance des hommes. Dés le temps de Iren. lib. 1. S. Irenée & de Tertullien, c'est-à-dire, dés la fin c. 3. du fecond fiécle, tout étoit plein de Chrétiens: non-feulement de particuliers, mais d'églifes Tertull. nombreutes, conduites par des pafteurs, & unies apol. c.27. par une correfpondance mutuelle. D'où étoient-Maurs eles venues? N'étoit-ce pas ces mêmes peuples depuis tant de ficcles plongés dans l'idolatrie & á ij

la

Hift.lib.v.

n. 8.

Chr. B. 41

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II.

lib.2.

la débauche ? Qui les avoit ainfi changés toutà-coup? Qui leur avoit fait méprifer les coutumes de leurs peres, quitter des religions qui favorifoient toutes leurs paffions, & embraffer une vie fi férieufe & fi pénible? Il falloit qu'ils euffent vu d'étranges merveilles, & qu'ils euffent été terri blement frapés des miracles & des vertus de ceux qui annonçoient cette nouvelle religion.

Mais encore que leur promettoit cette reliMartyrs. gion? Rien de préfent ni de fenfible: une vie future, des biens invifibles ; & en ce monde des Derepub. perfecutions & des périls continuels. Vous avés vu comme les Chrétiens ont été traités pendant trois fiécles entiers. Je ne me fuis pas contenté de dire en général, qu'il y eut un grand nombre de martyrs, ni de raporter leurs noms & les principales circonftances de leur martyre. Je vou s les ai mis devant les yeux: je vous ai raporté les actes, c'eft-à-dire, les procés verbaux de queftion & d'exécution à mort. J'ai bien voulu m'expofer à ennuyer quelque lecteur délicat pour ne rien perdre de la force de la preuve & de l'impreffion que doit faire un fi grand objet. Ces exemples étoient nouveaux. Les Grecs & les Romains fçavoient mourir pour leur patrie: mais non pas pour leur religion & pour le feul intérêt de la vérité. Il eft vrai qu'il y avoit eu quelque peu de martyrs chés les Juifs: auffi avoientils la vraye religion, & l'églife les honore com

me fiens.

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Toutefois ce qui étoit fi commun chés les Chrétiens, étoit regardé par les philofophes, & avec raison, comme le comble de la vertu. Le jufte parfait, dit Platon, eft celui qui ne cherche pas à paroître bon, mais à l'être autrement il feroit honoré & récompenfé, & on pourroit douter, s'il aimeroit la justice pour ellemême, ou pour l'utilité qui en reviendroit. Il

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faut

faut le dépouiller de tout, hors de fa juftice: il doit n'en avoir pas même la réputation, paffer pour injufte & pour méchant, & comme tel être fouettély tourmenté, crucifié, confervant toûjours fa juftice jufqu'à la mort. Ce philofophe ne femble-t-il pas avoir prévu JESUS-CHRIST & les martyrs fes imitateurs? Etant les plus juftes & les plus faints d'entre les hommes, ils ont paffé pour des impies & des abominables : ils ont été traités comme tels, & ont pouffé le témoignage de la vérité jusqu'à la mort, & aux plus cruels tourmens ; & ce n'a pas été un petit nombre de philofophes: mais une multitude innombrable de tout âge, de tout fexé, & de toutes conditions.

Hift. liv.

Encore fi les Chrétiens n'euffent été attaqués que par la fureur des peuples & l'autorité des magiftrats; on pourroit penfer, qu'ils fe feroient roidis contre la force deftituée de raifon. Mais V. Murs Chr. n. 16. on employoit tout contre eux en même-temps: la violence, les calomnies, les railleries, les rai- 17. fonemens; & leurs ennemis avoient bien plus de liberté de les attaquer, qu'ils n'en avoient de fe défendre. Ils écrivirent toutefois quelques apologies je les ai raportées vous aves vu fi 1. n. 21. eles étoient folides & convaincantes: mais elles n. 37. 47. eurent peu d'effet, tant les hommes font peu 2.4... 51. liv. v. touchés de la raifon. On ne fe détrompa que par n. 39. v1II. une longue expérience. A force de bien faire, # 45. les Chretiens diffiperent les calomnies, dont on les avoit noircis : à force de fouffrir, ils montrerent l'inutilité des perfecutions. Enfin au bout de trois cens ans, la vérité prit le deffus, & les empereurs fe déclarerent eux-mêmes protecteurs du Chriftianifme.

On vit alors la différence de la véritable religion d'avec les fauffes. L'idolâtrie tomba d'ellemême, fi-tôt qu'elle ne fut plus appuyée par la a j puiffan

Hift. lib.

xv. n. 15. 1.7.

III. Moines.

Porph, de
vita Pi-

thag.
V. Traité

des études

พ. 4.

puiflance publique. Pour le montrer fenfiblement, Dieu permit cinquante ans aprés l'apoftafie de l'empereur Julien, qui avec toute la puiffance de l'empire, & tout le fecours de laphilofophie & de la magie, ne put rétablir le paganifme. Il s'en plaint lui-même en plufieurs endroits de fes écrits, & particulierement contre le peuple d'Antioche. La réforme chimerique qu'il vouloit introduire chés les payens, lui faifoit rendre malgré lui un témoignage glorieux à la fainteté du Chriftianifme, qu'il s'efforçoit d'imiter ; & fa perfecution, toute finguliere & artificieufe qu'elle étoit, ne fervit qu'à affermir davantage la vérité. Son regne fut le dernier foupir de l'idolâtrie; & Rome n'a plus eu depuis que des princes Chrétiens.

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Aprés les martyrs, vient un fpectacle auffr merveilleux; les folitaires. Je comprens fous ce nom ceux que l'on nomoit afcetes dans les premiers temps, les moines & les anachoretes. On peut les apeller les martyrs de la pénitence: dont les fouffrances font d'autant plus merveilleufes qu'elles étoient plus volontaires & plus longues & qu'au lieu d'un fuplice de quelques heures ils ont porté leurs croix fidélement pendant des cinquante ou foixante ans. Je m'y fuis étendu peut-être trop au gré des fçavans & des curieux, qui n'eftiment pas affés l'oraifon & les pratiques de piété. Mais je crois que la vie des faints eft une grande partie de l'hiftoire eccléfiaftique, & je regarde ces faints folitaires, comme les modéles de la perfection chrétienne. C'étoit les vrais philofophes, comme l'antiquité les nome fouvent. Ils fe féparoient du monde, pour méditer les chofes céleftes: non pas comme ces Egyptiens que décrit Porphyre, qui fous un fi grand n'entendoient que la geometrie ou l'aftronomie: ni comme les philofophes Grecs, pour

nom,

recher

rechercher les fecrets de la nature, pour raifo her fur la morale, ou difputer du fouverain bien & de la diftinction des vertus.

Les moines renonçoient au mariage & à la fociété des hommes, pour fe délivrer de l'embarras des affaires, & des tentations inévitables dans le comerce du monde, pour prier, c'eft-à-dire, contempler la grandeur de Dieu, méditer fes bienfaits, les préceptes de fa faint loi, & purifier leur cœur. Toute leur étude étoit la morale, c'est-à-dire, la pratique des vertus : fans difputer, fans prefque parler, fans méprifer perfone. Ils écoutoient avec docilité les inftructions de leurs anciens plufieurs ne fçavoient pas même lire,& méditoient l'écriture fur les lectures qu'ils avoient ouïes. Ils fe cachoient aux hommes autant qu'ils pouvoient, ne cherchant qu'à plaire à Dieu. Ce n'étoit que l'éclat de leurs vertus, & fouvent leurs miracles, qui les faifoit conoître ; & nous ignorerions qu'ils ont été pour la plupart, fi Dieu n'avoit fufcité des cureux, comme Rufin & Caffien, pour les aller Hift. liv. chercher dans le fonds de leurs folitudes, & les xx, n. 3« forcer à parler.

Au refte, on ne peut les foupçoner d'aucune efpece d'intérêt. Ils fe réduifoient à une extrême pauvreté, gagnoient par leur travail le peu qu'il leur falloit pour vivre, & en avoient même de refte pour faire l'aumône. Quelques-uns avoient des héritages, qu'ils cultivoient de leurs mains: mais les plus parfaits craignoient que des ména geries & des revenus à adminiftrer ne les fiffent retomber dans l'embarras des affaires qu'ils avoient quittées : & préferoient des mérites fimples & fedentaires, pour vivre au jour la journée. Quelquefois auffi ils recevoient des aumônes, S, Nil, pour fupléer à leur travail : mais je ne vois point qu'ils en demandaffent. Ils étoient fidéles à leurs a iiij

obfer

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