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lente qu'avant la maladie, il eut fallu ra peller Monfieur Guenaut pour la lui ôter par de nouvelles faignées,ou le marier pour l'empêcher de retomber malade; mais cette paffion n'étant prefque plus qu'un fimple fouvenir, la raifon & le pere furent les plus forts: il renonça à la belle hôteffe; & cela fait voir que l'amour, fur tout celui qui n'eft fondé que fur la beauté, eft entierement dans le fang; & que fi la transfufion que quelques Medecins ont cru poffible, ne peut guérir de la vieille fle, au moins elle peut guérir de l'amour.

CONTE ARABE.

LE Calife Arthoun difoit que l'efprit

'de l'homme étant encore plus maladif que foncorps, un bon Philofophe étoit auffi neceffaire auprès d'un Prince qu'un bonMedecin. Un jour étant feul avec le Medecin de fa melancolie, après une rêverie profonde, & regardant l'arbre qu'on lui comparoit il s'écria tout à coup : Arrhoun Arrhoun, tu atriftes tes amis par ta melancolie, comme cet arbre toufu atrifte, en les ombrageant, les arbresqui l'environnent;

puis fe tournant vers le Philofophe :ecoute, ami, lui dit-il, je te promets une bague chaque fois que tu pourras me faire rire. Bon,reprit lePhilofophe en fecoüant la tête, je ne gagnerois pas avec vous en dix ans de quoi orner un de mes doigts ; j'aurai beau plaifanter, vous ne rirés jamais ; ce fera quelque fois ma faute, & quelque fois la vôtre, mais vous jugerés de mes bons mots felon votre mauvaise humeur, & je. n'aurai point de bague.

Hé bien reprit le Calife, toutes les fois que tu pourras me prouver que c'est ma faute de n'avoir pas ri de tes plaifanteries, je te les païerai comme bonnes; mais il faudra me prouver par raifon que j'aurois dû rire. Vous me réduifez à l'impoffible, dit le Philofophe, je puis bien prouver par raifon qu'un bon mot est raisonnable; mais quand on pourroit prouver qu'il eft rifible, on ne prouvera point à un homme qu'il a tort de n'en pas rire. Voïons pourtant, continua le Philofophe, fi vous rirés de ce que m'a conté ce matin la fille de chambre de cette veuve, dont le mari mourut hier; c'eft la veuve de votreMaîtred'Hôtel.

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Vous fçavés qu'elle fe piquoit d'être la plus tendre épouse du païs, & par confequent elle va fe piquer d'être la plus affligée veuve qui fut jamais. Hier après avoir en prefence de fa fille de chambre, épuifë fes Jarmes & fa douleur, elle s'enferma feule pour pouvoir en liberté laiffer repofer for affliction,& étudier le rôle d'affligée qu'elle a refolu de foutenir.Elle cherche dans fon miroir tous les airs & les changemens de vifage qui peuvent convenir aux larmes qu'elle répandra, car elle compte que les larmes ne lui manqueront pas. De toutes ces grimaces d'affliction qu'elle étudioit au miroir, une entre-autres lui parut fi plaifante à elle-même, qu'elle ne put s'empêcher d'en rire: après avoir un peu ri elle recommença fon étude, autre gri mace qui lui parut encore plus plaifante; il lui prit alors des éclats: de rire fi violens: & fi continus que je croi qu'elle rira: tant qu'elle fera veuve:

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Ce recit accompagné des grimaces de la veuve que contrefit le Philofophe, ne fit pas feulement fourciller le Calife. LePhilofophe bilieux & colere eft piqué au vif, il redouble de bons mots, on n'en

rit point, il plaifante de rage, & par de vives fécoufles il veut ébranler le Calife comme un voïageur alteré qui voudroit attraper une poire, s'efforce d'ébranler à fecouffes réiterées le poirier dont il defire ardemment le fruit; mais le Calife eft inébranlable, le Philofophe eft outré, & cette colere outrée dans un Philofophe qui veut faire rire, devoit avoir fon effet mais le Calife en fourit à peine,, & faire fourire ne fuffifoit pas pour gagner la bague.

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Dans le moment une volée ou plûtôt une épaiffe nuëé de corneilles vint fe répofer fur ce grand arbre à qui on avoit comparé le Calife.

Je vis hier ces mêmes corneilles, dit impromptu le Philofophe; elles penferent desesperer un brutal diftrait, qui voïant cotte nueé de triftes oifeaux noircir les, fruits & les fleurs d'un fibel arbre, s'irrita d'abord, & oubliant que cette tige eft groffe comme une tour, voulut dans fon premier mouvement fecoüer ce gtos-arbre comme un jeune poirier.

Imaginés-vous cet extravagant occupé du defir de faire envoler ces corneilles, tranf

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porté de colere contre elles; il redoubloit fes fecouffes en fe meurtriffant le dos contre le tronc de l'arbre, coinme nous võïons les petits enfans en colere, fraper du poing la muraille qui leur a fait une boffe au front; le recit que je vous fais n'est pas risible, mais je ne pus jamais m'empêcher de rire en voïant la chofe en original. Je crois que j'en euffe ri comme toi, dit le Calife, fi je l'euffe vû.

Vous deviés donc rire en me voïant en colere, vouloir, par des fecouffes de plaifanteries réiterées, chaffer de votre tête les noires corneilles, c'eft-à-dire, les foucis & les chagrins.

Je t'entends, dit le Calife, en tirant de fon doigt une bague, tu me prouve que je devois rire en voïant ta colere, ainfi tu as gagné la bague.

C'eft de ce conte qu'eft venu le proverbe Arabe qui dit à propos des grands Seigneurs, que leur grandeur & leurs foucis accablent de melancolie. Ils ont une volée de corneilles dans la tête.

CONTE

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