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paffâmes deux perches fous le ventre, & nous l'enlevâmes tout brandi pour le porter à fon inhumaine, qui étoit avec fa famille au cabaret prochain : l'un des deux qui le portoient étoit fon rival, & lui joüoit ce tour, pour en degoûter fa maîtreffe, qui haïffoit les yvrognes. C'étoit une fimple Bourgeoise qui ne connoiffoit pas affez le grand monde de Paris: elle croïcit que l'yvrognerie étoit haïffable dans un jeune-homme; & comme elle étoit prête à fe marier avec celui-ci, elle fut fort affligée de le voir en cet état : la mere s'écria en le voïant paroître, ah! je ne veux pas donner ma fille à un homme qui a fi peu de raifon

Il faut lui pardonner, dit le pere, grand difeur de bons mots Bourgeois, & qui aimoit auffi à boire; quand le vin eft commun,la raifon eft rare, il n'est défendu qu'aux femmes de boire, parce que quand elles ont une fois perdu la raifon elles ne la retrouvent jamais mais; il faut qu'un homme fage s'enyvre au moins une fois en fa vie, pour fçavoir quel vin il a.

Après une tirade de raisons auffi bonnes que celles-là, il conclut que le jeune

homme yvre feroit fon gendre ; 'la mere··· s'emporta fort, difant que fa fille étoit plus à elle qu'à lui, & qu'elle ne vouloit point la donner à cet homme-là toute la famille préfente propofa un accommodement entre le mari & la femme & on convint que la fille qu'on fçavoit être trèscenfée, décideroit fur ce mariage, & qu'elle choifiroit des deux rivaux.

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Le rival triomphoit déja auprès de cette fage fille, & n'avoit rien oublié pour augmenter l'horreur qu'elle avoit pour l'yvrognerie, mais elle en avoit encore plus pour la mauvaise foi: elle fçavoit que celui ci étoit ami de fon amant; & voyant qu'il l'avoit trahi en l'amenant yvre devant elle, elle fuppofa qu'il l'avoit ennyvré exprès, & fe tournant vers lui, elle lui dit haut en pleine affemblée: Monfieur, j'aime encore mieux un homme qui s'ennyvre,qu'un homme qui trahit fon ami.

Le pere qui étoit bon & franc comme le vin de fa cave, loita fort la décifion de fa prudente fille; il exagera la noirceur d'ame, d'un homme qui fe fert du vin pour faire tort à quelqu'un; cela, difoitil, eft contre le droit des buveurs, plus

facré

facré que le droit des gens; c'eft pis que de voler fur le grand chemin ; car fi j'avois confié la clef de mon cabinet à un ami, & qu'il me volât, quel crime feroit-ce? & n'eft-ce pas donner la clef de fon cœur à quelqu'un , que de s'enyvrer avec lui? Celui avec qui je m'enyvre m'est plus cher que femme & enfant, entendez-vous ma femme? & voïez la punition que je mériterois fije vous avois trahi; cela est vrai, répondit la femme: je conclus donc, ré◄ pliqua le mari qu'on me donne à boire, & que je boive à la fanté du pauvre enyvré, à qui je donne ma fille pour punir l'autre.

C'eft à condition, reprit la fille, qu'il ne s'enyvrera de fa vie : bien entendu, reprit le mari, il fera comme moi, plus je bois, moins je m'enyvre; buvons encore ce coup-ci, & qu'on m'aille querir le Notaire ; je veux que ce repas-ci foit le commencement de la nôce, & qu'elle duze huit jours.

Tome VI.

N

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AVANTURE

U

DU BAL.

N jeune Officier fort amou reux d'une femme fort vertueufe, en fut rebuté plu

fieurs fois, de très - bonne www.cos as foi, car elle fut prête d'ent avertir fon mari. Elle en menaça l'Officier qui lui reprefenta qu'elle avoit grand tort d'être fi fidelle à un mari qui avoit une maîtreffe. Une maîtresse ! s'écria la Dame qui étoit encore plus jaloufe que vertueufe, Ah! fi vous pouvez me prouver cela............. Achevez, Madame, achevez, lui dit l'Officier, vous avez voulu dire que fi je pouvois vous prouver l'infidelité de votre mari, vous vous en vengeriez. J'avouë a reprit vivement la Dame, que j'ai voulų dire cela dans mon premier mouvement, mais la raifon me revient bien vîte comme

vous voïez, car je n'ai pas achevé, il en feroit de même fi je voïois réellement l'infidelité de mon mari, mon premier mouvement feroit de me venger, mais la raison me reviendroit fi vîte que vous n'auriez pas le loifir de profiter de ce momentlà. Je me le tiens pour dit,reprit le Cava lier, la question n'eft donc plus que de vous prendre dans un moment de colere ,qui dure affez pour vous déterminer à la vengeance; la queftion feroit encore, repliqua-t'elle, en le quittant brufquement, fi cette vengeance ne se tourneroit point contre vcus plûtôt que contre mon mari.

Le Cavalier étoit de ceux qui expliquent tout à leur avantage, parce qu'ils jugent defavantageufement de toutes les femmes: il conçut de grandes efperances s'il pouvoit trouver l'occafion favorable, il la chercha avec foin; enfin aïant gagné à force d'argent la femme de chambre de la maîtresse du mari, il fçut que le foir même ils de voient fe trouver à un bal, & cette femme de chambre lui montra la lettre que fa maîtreffe écrivoit au mari pour ce rendezvous. Voici ce qu'elle contenoit.

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