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ble: ah! Madame, s'écria-t'il, en se démafquant, puifque vous ne voulez pas pardonner à un mari perfide, vengez-vousen donc dans ce premier mouvement de colere où la vengeance est fi pardonnable; la vertueufe femme lui répondit avec fa vivacité ordinaire, qu'un autre premier mouvement avoit déja fuccedé à celui de la vengeance, & qu'elle se fentoit fi indignée contre lui que s'il paroiffoit jamais en fa prefence elle lui mettroit en tête un mari qui fçavoit auffi-bien fe venger d'un fuborneur qu'être infidelle à fa femme.

Après cette menace,elle laiffa notre jeune présomptueux convaincu pour la premiere fois de fa vie que fes charmes avoient bien peu de force, puisqu'ils n'avoient pas på vaincre une femme déja affoiblie par le defir naturel de punir un mari infidelle.

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LA

CONSTANCE

DES FEMMES.

U

Ne fille de condition, nommée Therefe, nous fervira de modele, non pas pour fes conftances heroïques & prodigieufes, qu'on ne connoît gueres que par tradition: mais de celles qu'on peut vraifemblablement attendre d'une femme, & par confequent d'un homme ; car les deux fexes n'ont rien à fe reprocher là-deffus.

Therefe étoit charmante de fa perfonne, très-jeune, & fi peu experimentée, qu'elle ne connoiffoit encore l'amour que par les Romans. Elle fe fentoit une fi grande difpofition à la conftance, qu'elle difoit quelquefois: Non, je ne veux jamais aimer › la vie eft trop courte, une conftance de foixante

ans ne feroit pas contentement pour moi. En d'autres momens elle faifoit reflexion qué puifqu'il falloit aimer neceffairement, il étoit bon de commencer très jeune, afin de pouffer la conftance le plus loin qu'il étoit poffible. Elle prit ce dernier parti, & dès le lendemain elle fut éprife du fils d'un Armateur de faint Malo. Ce jeune homme devint paffionnément amoureux d'elle, & au bout de quelque temps on parla de mariage. Le parti parut bon à la mere de Therefe: mais le jeune homme étant obligé de fuivre fon pere qui faifoit une nouvelle courfe en mer, ne put obtenir fon confentement que pour le retour, Cependant on convint des articles, on fe donna des paroles d'honneur, & les amans s'en donnerent de bien plus inviolables, ils fe jurérent un amour éternel. L'Armateur promit de revenir dans trois mois ; & le voila embarqué. Quelle épreuve pour Therefe! De vaftes mers la feparent de fon amant : mais cette feparation ne fait que redoubler fon amour, & les trois mois d'abfence lui parurent fi longs, qu'on peut bien les lui compter pour trois années de conftance. Cependant elle la pouffa plus

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loin; car fon amant ne revenant point encore au bout de fix autres mois, elle étoit fi affligée, que fa mere n'ofa lui parler d'un autre parti qui fe prefentoit. Elle eut beau lui infinuer que peut-être l'Armateur ne reviendroit jamais ; elle lui fit même foupçonner que ce vaiffeau avoit peri : mais Therese proteftoit une fidelité égale pour fon amant mort ou vif

Un an entier s'étant écoulé, & la mere & la fille crurent réellement que l'Armareur ne reviendroit jamais. On le pleura comme mort pendant quelques jours ; & la mere, fans parler de rien à fa fille, fit trouver, comme par hazard, le fecond amant chez une parente, où elle mena fa fille. C'étoit un jeune Officier, fait pour donner de l'amour, & qui avoit tout l'efprit poffible. Il étoit convenu avec la mere qu'il falloit prendre Therese par fon foible. Il la loua d'abord fur le vœu qu'elle avoit fait de ne fe jamais marier après avoir perdu ce qu'elle aimoit. Cette converfation ne pouvoit manquer de lui plaire, étant fi conforme aux refolutions qu'elle` avoit prises. Elle retourna plufieurs fois chez fa parente, où les exhortations

que cet Officier lui fit fur la conftance produifirent infenfiblement un effet contraire & elle commença à raifonner ainfi: Pour aimer bien conftamment il faut être aimé de même, cet homme - ci assureroit ma confiance par la fienne, fi jamais je pouvois l'ai

mer.

,

Un autre raisonnement que lui fit cet ingenieux amant acheva de la déterminer car il lui prouva qu'elle ne pouvoit se vanter d'être conftante fans avoir été mariée, parce que le mariage étoit la pierre de touche de la conftance. Therefe, qui tendoit toujours à la perfection de cette vertu, & qui ne pouvoit la poffeder éminemment fans fe marier, prefera pour cette raison feule l'amant vivant à l'amant mort: & peu de temps après ce fecond mariage fut auffi avancé que l'avoit été le pre mier:mais par malheur il vint à l'Officier un ordre de la Cour pour aller en Flandres. Il falut partir dans le moment, paroles données comme avec l'Armateur, pareils fermens entre Therefe & l'Officier. Mais les chagrins de l'abfence furent plus violens ; car elle aimoit celui-ci plus que l'autre, pu, pour mieux dire, l'amour qu'elle

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