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deffervir une grande colation qu'elle avoit donnée après trois heures de jeu, quand on vit entrer un mafque, qui lui présenta un momon. Il avoit trouvé la porte ouverte, & ne s'étoit point mis en peine de faire demander fi on le voudroit recevoir. Sa brufque entrée n'étonna perfonne; la faifon permettoit ces fortes de libertez, & dans cette ville on eft bien venu par-tout avec le mafque. La Dame reçut le momon, & le gagna. Le mafque la pria d'en' joüer un autre qu'il perdit encore. La même chose lui étant arrivée cinq ou fix fois, parce qu'il broüilloit les dez avec tant de promptitude, que quand ils tournoient favorablement pour lui, il fembloitne s'en pas appercevoir;d'autres voulurent jouer à leur tour: mais ils n'y trouverent pas leur compte, le mafque gagna› & ne perdit que contre la Dame, qu'il engagea de nouveau au jeu. La gaïeté avec laquelle il foûtint la perte qu'il continua de faire contr'elle, ne laiffa aucun doute qu'elle ne fût volontaire. On s'en expliqua tout haut il l'entendit, & prenant un ton different de celui dont il s'étoit fervi

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jufqu'alors, il declara qu'il étoit le maître

des richeffes, qu'il ne les aimoit que pour en faire part à la Dame, & qu'il ne difoit rien qu'il ne s'offrît à juftifier par les effets. En même temps il découvrit plufieurs bourfes toutes pleines de pieces d'or, qu'il demanda à jouer en un feul momon, contre tout ce que la maîtreffe du logis voudroit hazarder. La Dame embarraffée de cette declaration, renonça au jeu. On examina le mafque avec plus d'attention ; & une femme de la compagnie, que l'âge & la foibleffe de l'efprit rendoient fujette à fe faire des réalitez de fes vifions, l'aïant regardé depuis la tête jufqu'aux pieds, devint pâle, tremblante, & tellement éperduë, qu'elle demeura quelque temps fans pouvoir parler. La parole lui étant revenue, elle dit tout bas à fa voifine, qu'il n'y avoit point à douter que le maf que ne fût le Diable; qu'il l'avoit marqué en declarant qu'il étoit le maître des richeffes; & que fi elle y vouloit prendre garde, elle lui verroit des cornes fous fon bonnet. Le Diable masqué avoit pris une soëffure bizarre, qui convenoit en quelque maniere avec ce que les Peintres ont accou mumé de nous reprefenter du Demon : &

c'étoit là-deffus que la credule vifionnaire avoit appuïé fon jugement. Ce qu'elle dit paffa en un moment d'oreille en oreille. Apparemment elle trouva des efprits foibles comme le fien, & l'on proposa d'abord l'exorcifme. Ce mot fit connoître au mafque ce qu'on s'étoit figur é de lui; il commença tout de bon à faire le Diable, parla plufieurs Langues, dont quelques-unes étoient inconnuës; & après quelques raifons expliquées fur ce qui l'avoit obligé de quitter l'enfer, il ajoûta qu'il venoit particulierement demander une perfonne de la compagnie, qui s'étoit donnée à lui, protesta qu'elle lui appartenoit, & qu'il ne defempareroit point qu'il ne l'eût, quelque obstacle qu'on y apportât. Chacun regarda la Dame : ces menaces fembloient s'adreffer à elle, & le mafque les avoit prononcées d'une voix creufe qui embarafsoit les moins fufceptibles de fraïeur. Les uns fe taifoient, les autres fe parloient bas, & celle qui avoit donné ouverture à la diablerie, crioit continuellement à l'exorcifme. L'Hiftoire porte que fans confulser perfonne, elle fit venir des gens d'un

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caractere à faire füir les Demons; que le Diable pretendu leur répondit fort pertinemment ; & qu'après s'être diverti quelque temps de leur zelée conjuration, il leva le mafque : ce qui finit l'avanture par un fort grand cri que fit la Dame. C'étoit fon mari, qui avoit paffé d'Espagne au Perou; il s'y étoit enrichi, & revenoit chargé de tréfors. En arrivant il avoit appris que fa femme regaloit fes plus particulieres amies. C'étoit un des derniers. jours du Carnaval : cette faifon favorable aux déguisemens, lui fit naître l'envie de voir la fête fans être connu, & il avoit pris pour cela le plus grotesque habit qu'il cût pû trouver. Toute l'affemblée lui fit compliment; & comme il n'étoit pas fi diable qu'on l'avoit crû, on lui abandonna la Dame qu'il venoit chercher, & qu'il avoit dit fi hautement qui s'étoit donnée à lui.

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LA CONVENTION MATRIMONIALE.

Ne nouvelle mariée, femme tres - vertueufe, mais encore plus enjoüée, demandoit à fon mari s'il feroit auffi fidelle, qu'elle avoit refolu de l'être; cela n'eft pas gal, répondit le mari, qui entendoit raillerie, mais qui ne plaifantoit que de fang froid. Non, continua-t-il, il n'eft pas jufte qu'un homme borne fa tendresse à fa femme, mais une femme doit borner la fienne à fon mari. Ils difputerent quelque temps fur cette matiere fi rebattuë , & ne fe dirent que des plaifanteries usées que je n'aime point à repeter, & que vous aimeriez encore moins à lire.

Le refultat de leur difpute fut un marché conclu entr'eux ; fçavoir, qu'ils s'entre

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