Imágenes de páginas
PDF
EPUB

après, que Lucile lui avoit promis de fe dérober de fa mere pour l'aller voir chez lui! Il ne put le croire d'abord : mais fon ami l'aïant caché dans fon cabinet le jour du rendez-vous, il fut témoin de l'entrevûë ; & la converfation fut fi paffionnée ›, que Damis ne fe poffedant plus, fortit brusquement du cabinet. Lucile fe fauva dans la chambre prochaine. L'ami parut fi irrité de cette indifcretion que Damis lui en demanda pardon, & comprit, pour la premiere fois de fa vie, qu'il fe pouvoit faire qu'une femme trés-fufceptible d'amour pour un autre eût du mépris pour lui. Son ami profita de fon dépit ; & pour le determiner à conclure fon mariage, il lui declara qu'il étoit marié lui-même fecretement depuis trois mois. Dès le lendemain, le contrat de Damis étant figné, fon ami voulut abfolument lui donner à fouper chez lui. Comme les nouveaux mariez étoient prêts à fe mettre à table, il leur dit que fa femme vouloit être du fouper. Quelle fut la furprife de Damis, quand il vit fortir d'un cabinet Lucile avec fa mere, qui vinent le plaifanter fur ce qu'il avoit voulu fe faire aimer de la femme de fon

[ocr errors]

ami. Vous ne fçaviez pas, lui dir Lucile, qu'en follicitant notre procès vous rendiez fervice à votre ami; en recompenfe il vous a bien marié & vous n'euffiez jamais pû vous y refoudre, s'il ne vous eût fait comprendre, par les mépris affectez qu'il m'a ordonné d'avoir pour vous, qu'ilfalloit en éviter de réels, que vous euffiez peut-être pû vous attirer dans quelques années, fi vous euffiez attendu plus longtems à vous marier. Tu n'es plus étonné, lui dit l'ami, ni du diamant, ni du rendezvous que je donnai ici à mon épouse? Apprens que le voiage que j'ai fait en Bretagne a donné occafion à mon mariage; & que ma femme étant arrivée la premiere à Paris, elle a profité de cette avanture, pour te refoudre à ce qu'elle fçavoir que je fouhaitois fi fort, c'est à dire à te voir marié auffi heureufement que je le fuis.

200

HISTOIRE

DE

ZACZER ET DE BOULADABAS.

Aczer fils de Sam Prince Per

fan, aïant fait une partie de

chaffe c'eft-à-dire un petit

[ocr errors]

voïage de quelques femaines,

pour chaffer dans le Kallestan, qui eft la province de Kabul aux Indes, qui confine avec la Perfe du côté du Nord. Mecherab Gouverneur de cette Province alla au-devant du fils de Sam pour lui faire honneur & fut tellement charmé des belles & gran des qualitez de ce jeune Prince, que retournant dans sa famille il ne pouvoit ceffer d'en parler, & fur ce recit une de fes filles nommée Bouladabas en devint amoureufe; elle envoïa quelques-unes de fes filles fous prétexte de cueillir des fleurs autour d'une

5

fontaine où elle fçût que Zaczer alloit fe rafraîchir pendant la chaffe.

Zaczer aïant apperçû ces filles, ne man qua pas de les aborder & de s'informer qui elles étoient. Elles prirent occasion de lui dire tant de bien de leur jeune maîtreffe, qu'il conçût dès ce jour-là beaucoup d'eftime pour elle, & fut impatient de retourner le lendemain pour voir files cüeilleufes de fleurs ne reviendroient point à la fontaine: elles ne manquerent pas d'y revenir, & Zaczer paffa avec elles tout le tems de la chaffe & devint amoureux de Bouladabas fur l'idée que ces filles lui en donnerent, comme elle étoit devenue amouréufe de lui fur les recits que fon pere en faifoit tous les jours.

[ocr errors]

Il faut remarquer que Zaczer avoit une de ces phifionomies qui ne plaisent pas d'abord, mais qui fe font aimer dans la fuite par l'efprit & par les fentimens qui les animent ; cependant les filles de Bouladabas lui en avoient fait un Adonis ; & d'un autre côté en faisant à Zaczer le portrait de leur maîtreffe, chacune d'elles y ajoûtoit toûjours quelque trait de beauté pour encherir fur fa compagne, & cela

formoit dans l'imagination de Zaczer une beauté, finon plus grande,au moins toute differente de celle de Bouladabas. Ces deux amans furent quelque temps fans pouvoir trouver les moïens de fe voir, & ne pouvant appuïer leur amour que fur l'idée qu'ils s'étoient formée l'un de l'au tre, ils auroient juré que ce qu'ils aimoient reffembloit parfaitement à l'image où leur amour les avoit accoûtumez. Un jour Bouladabas aïant trouvé moïen de fe dérober aux foins de ceux qui la gardoient, vint à la fontaine, & y arriva quelques heures avant Zaczer. Pendant que fes filles l'entretenoient à l'ordinaire des charmeside celui qu'elle alloit voir,elle fut long-tems rêveufe, & rompit enfuite le filence pour leur dire qu'elle craignoit deux chofes dans cette entrevûë: la premiere de ne pas paroître aux yeux de Zaczer digne du por trait qu'elles lui avoient fait d'elle; & la feconde, de ne pas trouver Zaczer fi aimable qu'elle fe l'étoit imaginé: Et fi l'un de ces deux malheurs m'arrive, leur difoit-elle, que deviendrai-je aprés toutes ces avances que nous nous fommes faites indifcretement fans nous être vus. Une de fes filles lui dit qu'en effet il étoit

« AnteriorContinuar »