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paffion, jufqu'à fes vertus; en un mot elle étoit exceffive en tout, hors en conf

tance.

Un jour cette veuve capricieuse fe prit d'amitié dès la premiere vûë, pour une autre veuve qu'elle rencontra chez une perfonne de fa connoiffance : cette feconde veuve étoit d'une humeur gaïe, enjouée, ne cherchoit qu'à fe réjouir, & Funique chagrin qu'elle cut reffenti, c'étoit la mort de fon mari, encore ne dura-t'il guéres, & n'empêcha pas qu'elle ne devînt amoureufe d'un jeune homme aimable. Elle en fut paffionnément aimée. Elle l'eût bien voulu epoufer; mais elle avoit fi peu de bien, qu'elle n'eût pas pû le mettre à fon aife, lui qui n'avoit rien du tout. Ils fe plaignoient un jour l'un à l'autre de l'injuftice de la fortune, qui ne leur donnoit pas feulement de quoi contenter leurs defirs fages & reglės, pendant que l'autre veuve étoit affez riche pour fuivre à grands frais fes idées les plus extravagantes. La veuve enjouée, mais qui penfoit ferieufement au folide,imagina un moïen de mettre à profit les caprices de la riche veuve. Puifqu'elle veut lier focieté avec

moi, dit-elle à fon amant, il faut que ce foit elle qui nous marie à fes 'depens. Hé comment cela repondit le Cavalier? felon le portrait que vous m'en faites,elle n'eft pas femme à faire plaifir à perfonne, que par raport à fes fantaisies. C'est pour cela reprit la veuve que je ne ferai pas grand fcrupule de tirer parti de ses caprices. Après avoir rêvé un moment, la veuve enjoüée fit un projet, & voici comment elle commença à l'executer.

Premierement elle reçut avec beaucoup de froideur les avances d'amitié que lui fit l'autre veuve que nous nommerons Belife, pour cacher fon veritable nom. ¡Belife donc fit à celle-ci toutes les avances de l'amitié la plus tendre. L'autre veuve reçut fes offres d'amitié avec une indifference, une froideur quieût rebuté Belife, fi elle n'eût pas été d'un caractere à s'animer par les difficultés. Elle fut d'autant plus empreffée auprès de cette nouvelle amie, qu'elle la trouva infenfible à fes empreffemens; enfin pouffée à bout par fon indolence affectée, elle la conjura de lui dire pourquoi elle ne repondoit point, du moins par politeffe, aux avances d'amitié qu'elle lui faisoit,

C'eft, lui repondit la veuve enjoüée, parce que je ne veux point être de vos amics. L'Aveu eft brufque, lui dit Belife & fincere, repartit la veuve. Qu'avés-vous donc trouvé en moi, repliqua Belife, qui puiffe m'attirer un pareil mepris ? loin de vous mepriser, reprit la veuve, c'est parce que je vous estime trop que je veux rompre avec vous; car quand je fais tant que de m'attacher c'eft pour long-tems, je fçai que vous n'êtes pas capable d'une amitié durable: mais fuppofé que vous vous fixaffiés pour moi, il me refteroit encore une raison plus forte de ne me point attacher à vous,, c'eft que vous penfés, dit-on, à vous remarier, & je ne veux point être l'amie d'une femme mariée.

Ce difcours parut bizarre à Belife, qui lui dit qu'elle ne penfoit point à fe remarier; mais que quand elle fe remarieroit, elle ne comprenoit pas que cela pût faire obftacle à leur amitié. C'en eft un invincible, reprit brufquement la veuve folâtre ; eft-ce qu'une femme mariée peut avoir des amies? avec une femme mariée plus de focieté, plus de joie, fon humeur s'aigrit, fon efprit s'émouce,& fon cœur s'endurcit. Belife protefta que jamais un mari ne la

feroit changer d'humeur, & qu'elle en avoit deja fait l'experience.

Il m'importe, continua l'autre, & pour mon repos feul à moi,je ne veux point m'attacher à une femme mariée ; il me faudroir partager avec elle tous les foins de fon menage, j'en aurois la tête pleine, je ferois prefqu'auffi mariée qu'elle, elle se prendroit à moi des brufqueries de fon mari, & fon mari me rendroit refponfable des bizarreries de fa femme; il me faudroit être confolatrice perpetuelle de leurs char grins, & juge affidu de leurs querelles domeftiques; & en voulant les remettre bien ensemble, je me ferois haïr de tous les deux.

Cette veuve continua ainfi en riant de faire à l'autre un tableau fi affreux du mariage, qu'elle commença à l'en degoûter, & lui donna en deux ou trois jours tant d'averfion pour les maris, qu'elle fe voiia au veuvage avec tout le zele & toute la ferveur dont elle étoit fufceptible, dans fes nouveaux 'entêtemens. La veuve rusée feignit d'être de moitié dans une vœu qui devoit rendre leur amitié durable, & pro pofa à l'autre de faire un dédit de trente mille francs,pour celle qui voudroit rom

pre

pre un vœu & prudent, le dedit fur réfalu; & elles choifirent pour dépofitaire un ami commun, ou plûtôt un ami tout dévoué à la veuve, & qui ne connoiffoit Belife, que parce que l'autre lui en avoit ménagé la connoiffance, pour venir à bout de fes delfeins.

Voilà donc le dédit fait & configné, il s'agit à préfent de le faire payer à Belife; & pour cela elle trouva moyen de lui faire voir fon amant, dont nous avons déja parlé. C'étoit un jeune homme aimable, infinuant & capable de faire tourner la tête à toutes les veuves qu'il entreprenoit, Il trouva la riche Belife digne d'être dupée, mais il avoit peine à fe réfoudre à la tromper. Il refufa d'abord la commiffion; mais fon amante lui dit qu'en un befoin elle lui permettroit de vouloir férieufement époufer Belife; qu'il n'avoit qu'à lui plaire dans cette intention, pour ôter tout fcrupule. Enfin fans plus examiner ce cas de confcience, il s'attacha à Belife. Il ne fut pas longtemps fans la faire repentir du vœu qu'elle avoit fait de ne fe point remarier. Elle n'ofa corfier son amour à son amie,jugeant bien qu'elle feroit fans quar Tome VI. C.

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