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du Confeiller, & fort embaraffée de l'absent, qui arriva juftement pour se faire haïr encore plus, en preffant le mariage. Alors Belife ne penfa plus qu'aux moïens de s'exemter du dédit : elle confulta fon amie, qui feignit d'abord de croire la chofe impoffible. Ce jeune homme-là, lui dit-elle, ne s'eft attaché à vous que par interêt > vous jugez bien qu'il profitera de votre inconftance pour gagner dix mil écus, en fe débarraffant d'un mariage qui lui eût été à charge; il m'en a fait une fois confidence, & je n'ofe pas vous dire mes fentimens fur la folie que vous faites; car vous êtes trop occupée de vos entête, mens, vous rompriez avec moi. Mais, continua-t'elle, il y a bien plus; c'est que depuis fon retour, il m'a paru prendre beaucoup de plaifir à me confier ses chagrins, & je me trompe fort s'il n'a un peu de goût pour moi. Oh plût au Ciel! reprit vivement Belife, plût au Ciel qu'il fut amoureux de vous, ce feroit un moyen de l'obliger à fe dédire le premier, & nous romprions but à but..

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Mais, répliqua la veuve faites-vous attention qu'il n'eft pas affez riche pour

avoir véritablement envie de vous quitter pour moi? & que gagneroit-il en perdant vos dix mil écus? cette converfation ne fut pas pouffée plus loin, & la jeune veuve fe contenta de difpofer infenfiblement Belife à payer le dédit avec moins de peine, le Confeiller redoubla fes empreffemens pour elle; & l'autre la preffant d'exécuter fa promeffe, lui dit qu'il croïoit être engagé d'honneur à lui déclarer qu'il étoit amoureux de la jeune veuve ; qu'il ne vouloit pas la tromper là-deffus, mais qu'en même temps il lui declaroit qu'il ctoi tout prêt à figner un contrat, malgré cet amour. Les chofes refterent quelque tems dans cet état; mais enfin Belife impatiente fe réfolut à donner un air de générofité à la démarche qu'il lui falloit fai re: elle alla trouver fon amie, & lui dit que, fi de bonne foi elle étoit réfoluë d'époufer celui qui étoit fi paffionné pour elle, elle donneroit volontiers les dix mil écus, non pas comme un dédit, mais comme un préfent de nôce, à celle qui lui avoit procuré la connoiffance de fon cher Confeiller.

Cette propofition ôta tout fcrupule à nos

amans; parce qu'en effet ces deux mariages étant faits, Belife fut fi contente des procedés de fon époux, qu'elle ne regretta jamais les cinquante mil francs qu'il lui coûta, pour avoir le plaifir de fe dedire deux fois.

HISTOIRE TOUTE VERITABLE.

Dans les Ines d'Hieres eft fitué entre

des rochers, fur le bord de la mer, un petit château antique, dont la defcription meriteroit d'occuper trente pages dans un Roman Efpagnol, mais l'impatience du Lecteur François, paffe à préfent, pour aller au fait, par-deffus les defcriptions, & les converfations qui amufoient fi agréablement nos Peres; je ne parlerai donc ici que d'une allée d'Orangers, fort communs dans les Illes d'Hieres.

C'eft fous ces Orangers qui couvrent une espèce de terraffe naturelle que fe promenoient au mois de Septembre dernier, deux Sœurs, dont le Pere habite ce Château folitaire.

L'aînée de ces deux fœurs peut être citée pour belle, & la cadette est très-jo

lie: l'une eft faite pour caufer de l'admi ration, l'autre eft plus propre à donner de l'amour : l'aînée que je nommerai Lucille, a du merveilleux dans l'efprit; Marianne fa cadette fe contente d'avoir du naturel & de l'enjouëment; elle joint à cela un bon cœur, & beaucoup de raison: Lucille a auffi de la raison, mais elle a un fond de fierté & d'amour pour elle-même, qui l'empêche d'aimer les autres. Mariannę aimoit fa fœur tendrement, quoique cette aînée méprifante prit fur elle certaine fupériorité, que les femmes graves croient avoir fur les enjoüées. Lucille s'avançoit à pas lents vers le bout de la terraffe qui regarde la mer; elle étoit trifte depuis quelques jours; Marianne la plaifantoit fur ce que leur Pere vouloit la marier par interêt de famille, à un Gentil-homme voifin, qui n'étoit ni jeune ni aimable. Ce mariage ne vous convient guéres, lui difoit Marianne en badinant, vous étiez née pour époufer à la fin d'un Roman quelque Cyrus, ou quelque Orondate.

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Lucille avoit en effeti cet efprit Romanefque, à préfent banni de Paris & des Provinces méme, & relegué dans quel

que Château defert comme celui qu'habitoit Lucille, où l'on n'a d'autre focieté que celle des Romans. Elle tenoit alors en main celui de Hero, dont elle avoit lû certains endroits très-convenables aux idées qui l'occupoient, & après avoir longtemps parcouru des yeux la pleine mer, elle tomba dans une rêverie profonde : Marianne la pria de lui en dire la cause; elle ne répondoit que par des foupirs mais Marianne la preffa tant, qu'elle réfolut enfin de rompre le filence.

D'abord, malgré fa fierté naturelle, elle s'abaiffa jusqu'à embraffer fa cadette, & Fembraffa de bon cœur, car elle aimoir tendrement ceux dont elle avoit befoin, Enfuite, préfentant d'un air précieux fon livre ouvert à Marianne, lifez, lui dit-elle, lifez ici les inquiétudes & les allarmes de la tendre Hero, attendant fur une tour fon cher Leandre, qui devoit traverser les mers pour venir au rendez-vous. Je n'ai pas befoin de lire ce Livre, lui répondit Marianne, pour fçavoir que vous attendez comme Hero, un cher Leandre. La parente de ce Leandre, m'a conté votre avanture, que j'ai feint d'ignorer par dif

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