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rel à tous ceux du Château pour lui faire un accueil gracieux : il y fut reçu comme l'ami du gendre de la maifon; il reçut toutes ces gracieufetés fort froidement, parce-qu'il étoit fort froid de fon naturel. On étoit pour lors à table; on fit rapporter du vin pour émouvoir le fang froid du Capitaine, chacun lui porta la fanté de fon jeune ami & de fa maîtreffe; à la fanté de mon gendre, difoit le pere; tope à mon pere, difoit le négociant: à tout cela le Capitaine ouvroit les yeux & les oreilles, étonné comme vous pouvés vous l'imaginer : il avoit crû trouver fon ami malade, gênné & mal à fon aife, comme on eft en maison étrangère avec des hôtes qu'on incommode, & il le trouve en joïe, en liberté comme dans fa famille; il ne pouvoit rien comprendre à cette avanture, c'étoit un mifantrope marin, homme flegmatique, mais qui prenoit aifément fon parti: il écouta tout, & après avoir rêvé un moment,il rompit le filence par une plaifanterie à sa façon à la fanté des nouveaux époux, dit-il, & de bon cœur, j'aime les mariages de table moi, car ils fe font en un

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moment, & fe rompent de-même.

Après plufieurs propos pareils, il fe fit expliquer ferieufement à quoi en étoient les affaires : & redoublant fon fang froid, il promit une fête marine pour la nôce. Cà mon cher ami, dit-il au négociant, venez m'aider à donner pour cela des ordres dans mon vaiffeau; volontiers, re. pondit l'ami, auffi-bien j'ai quelque chofe à prendre dans mes coffres, & je veux faire voir mes pierreries à mon beau-pere.

Il y alla en effet immediatement après le diner, & le pere refta au Château avec Marianne, qui fe voïant au comble de fon bonheur, ne laiffoit pas de plaindre beau coup Lucille. Trois ou quatre heures de tems fe pafferent en converfation, & Ma rianne impatiente de revoir fon amant > trouva qu'il tardoit trop à revenir : l'impatience redoubloit de moment en moment, lorfque quelqu'un par hazard vint dire que le négociant avoit pris le large avec le Capitaine, & que le vaiffeau étoit déjà bien avant en mer..

On fut long-tems fans pouvoir croire un évenement fi peu vrai femblable. On courut fur la terraffe, d'où l'on vit encore

de fort loin le vaiffeau qu'on perdit enfin de vûë. Il feroit difficile de rapporter tous les differens jugemens qu'on fit là-deffus; perfonne ne put deviner la caufe d'un départ fi bizarre, & fi precipité: je ne confeille pas au Lecteur de fe fatiguer la tête pour y rêver, la fin de l'hiftoire n'eft pas loin.

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Après avoir fait pendant plufieurs jours une infinité de raifonnemens fur l'apparition de ce riche & paffionné voïageur, on l'oublia enfin comme un fonge; mais les fonges agréables font quelques fois de fortes impreffions fur le cœur d'une jeure perfonne. Marianne ne pouvoit oublier ce rendre amant elle merite bien que nous emploïons un moment à la plaindre Tout le monde la plaignit, excepté Lucille, qui reffentit une joïe maligne qui la dédommageoit un peu de ce qu'elle avoit perdu par fa faute: car on apprit que fon Leandre trouvant l'occafion du vaiffeau s'étoit embarqué avec le Capi. taine pour ne jamais revenir; & le gentil-homme voïant Marianne engagée au négociant, n'avoit plus pensé à redemander Lucille.

Le pere jugea à propos de renouer l'affaire avec Marianne, qui voulut bien fe facrifier, parce que ce mariage rétablisfoit un peu les affaires de fon pere qui n'étoient pas en bon ordre; en un mor on dreffa le Contrat & l'on fit les preparatifs de la nôce.

Ceux qui s'intereffent un peu à Marianne ne feront pas indifferens au reçit de ce qui eft arrivé au négociant, depuis qu'on l'a perdu de vûë: il avoit fuivi le Capitaine dans fon vaiffeau, où il vouloit prendre quelques papiers. Il l'avoit entretenu en chemin du plaifir qu'il avoit de faire la fortune d'une fille qui meritoit d'être aimée : enfin il arriva au vaiffeau, où il fut long-tems à deranger tous les coffres, pour mettre ensemble tous fes papiers : enfuite voulant retourner au Château : qu'elle furprise fut la fienne de voir que le vaiffeau s'éloignoit du bord; il fit un cri, court au Capitaine qui étoit debout fur fon tillac, fumant une pipe, d'un grand fang froid: Hé, mon cher ami, lui dit notre amant allarmé, ne voïez-vous pas que nous avons démaré ? Je le vois bien répond tranquillement le Capitaine, en

continuant de fumer ; c'est donc par votre ordre, reprit l'autre ? hé ne vous ai-je pas dit que je veux terminer ce mariage avant que de partir? Pourquoi donc me jouer un tour fi cruel? parce-que je fuis votre ami, lui dit notre fumeur. Ah! fi vous êtes mon ami, reprit le négociant, ne me defefperez pas, remenés-moi dans l'ifle, je vous en prie, je vous en conjure. L'amant paffionné fe jette à fes genoux, fe defole, verfe même des larmes : point de pitié, le Capitaine acheve fa pipe, & le vaisseau va toujours fon train; le négociant a beau lui remontrer qu'il a donné fa parole, qu'il y va de fon honneur & de fa vie, l'ami inexorable lui jure qu'il ne fouffrira point qu'avec un million de bien il se marie, fans avoir au moins quelques tems pour y rêver. Il faut, lui dit-il › promener un peu cet amour-là fur mer, pour voir s'il ne fe refroidira point quand il aura paffé la ligne.

Cette promenade fe termina pourtant à Toulon, où le Capitaine aborda voïant le defefpoir de fon ami, qui fut obligé de chercher un autre vaiffeau, pour le reporter aux ifles d'Hieres, il ne s'en fallut

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