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étoit devenu paffionnément amoureux de Lucie, chez une parente où il l'avoit vû plufieurs fois. Abregeons le recit des poursuites de cet amant, & des chagrins qu'en eut Lucie; le pere se determina abfolument pour celui-ci ; voilà les articles dreffés, & le Confeiller affuré qu'il poffedera bientôt la fille du monde la plus aimable, & la plus fage; c'eft ce qui le touchoit davantage, car il étoit naturellement fort jaloux.

Il eft bon de faire ici attention fur la fageffe de Lucie, & fur la jaloufie du Confeiller, pour mieux comprendre la furprise où fut ce jaloux en trouvant fur la table de fa maîtreffe une lettre décachettée: cette lettre qu'il crut avoir déja droit de lire, lui parut être d'un cavalier fort amou reux de Lucie, & qui lui écrivoit d'un ftile d'amant aimé. Ah, ma chere Lucie, difoit la lettre, faut-il qu'un trifte devoir nous fepare! que je fuis à plaindre, & que vous êtes à plaindre, vous même d'être facrifiée par un pere injufte à un homme que vous ne pourrės jamais aimer, à un incommode, à un facheux. ... En un mot le Confeiller voit qu'on parle de lui, comme

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s'il étoit déja mari, & qu'aparamment Lucie eft de moitié du mépris que ce rival témoigne pour lui: imaginez-vous l'effet d'une pareille avanture fur un jaloux. Ce n'eft pas tout la lettre marquoit que le cavalier ne manqueroit pas de fe trouver à onze heures du foir chez Lucie pour la confoler, & qu'il y feroit reçû par la porte d'un jardin par où la maison tenoit à une petite ruë écartée. Enfin tout étoit fi bien circonftancié dans la lettre, que le Confeiller refolut d'attendre l'heure de ce rendés-vous pour s'éclaircir, avant que de prendre là-deffus un parti violent digne d'un homme trèsvindicatif, & qui n'avoit d'autre merite que celui d'être riche . & amoureux d'une perfonne qui meritoit d'être aimée.

Après avoir attendu l'heure du rendésvous avec impatience, notre jaloux fe trouve dans la petite ruë par où devoit arriver le Marquis, car c'étoit lui qui avoit écrit la lettre que vous dirai-je l'heure fonne, le Marquis vient, on lui ouvre une petite porte, on la referme & le jaloux reftant au guet jufqu'au matin eut tout le loifir de fe convaincre que le

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galand n'étoit pas entré chez Lucie pour une converfation paftagere. Ce fut pendant ces heures fi cruelles à paffer, qu'il médita contre Lucie une vengeance inouïe : voici comment il s'y prit.

On devoit figner le contrat le lende main au foir, il fit preparer un fouper magnifique, & prit foin pendant le jour de raffembler toute la famille de Lucie qui étoit fort nombreuse, il y joignit quantité de femmes qu'il choifit exprès les plus medifantes qu'il put, fans compter les hommes qui font encore plus dangereux que les femmes, parce qu'on les croit moins medifans.

Le foir venu le Confeiller fit remettre la fignature du contrat après le fouper, & les deux contra&ans furent placés fo, lemnellement au bout de la table : le repas fut fort ferieux, parce qu'on voïoit les époux futurs fort taciturnes, & enfin quand on fut prêt à fortir de table, le Confeiller adreffa la parole au pere. Monfeur, lui dit-il, en élevant la voix, afin que toute l'affemblée put l'entendre: je n'ai jamais manqué de parole à personne c'est pourquoi j'ai voulu avoir ici grand Tome VI:

F

nombre de témoins des juftes raifons qui ́ m'en font manquer pour la premiere fois.

Ce début parut fingulier à toute l'affemblée, on fut curieux d'entendre ce qu'alloit prononcer ce grave Juge de Province: tout le monde fçait, continua - t'il que Vous avez manqué de parole à trois ou quatre gendres de fuite; vous m'en manqueriés auffi fans doute s'il s'en prefentoit un plus riche que moi, vous me mepriferiés ; ainfi je fuis en droit de meprifer votre fille puifque j'en trouve une plus fage qu'elle.

A ce difcours on crut d'abord que le vin de la nôce avoit troublé le cerveau du Confeiller; le profond filence où l'on étoit lui donna le loifir de lire aux convives la lettre du Marquis, & de circon. ftancier fi bien le rendés-vous nocturne, qu'alors on ne l'accufa plus que d'avoirpouffe trop loin fa vengeance; tous les parens de cette fille deshonorée, baiffent les yeux; on s'entre-regarde fans ofer ouvrir la bouche, les uns s'affligent de bonne foi, les autres n'ofent rire encore de ce qui réjouit leur malignité; ceux-ci feignent

de douter, afin qu'on leur en apprenne encore davantage ; quelques-uns excufent, la plupart blâment mais prefque-tous

ont les yeux fur Lucie, qui devenue im, mobile & défaite, eft prête à tomber ca foibleffe.

Cependant le Confeiller eft déja bien loin, il avoit medité fon départ pour la Province, une chaise de pofte l'attendoit, & il étoit forti de la falle fans que perfonne eut eu le courage de le retenir.

On alloit fe feparer. & quelques-uns commençoient à defiler lorfqu'un nouveau fujet d'attention les raffembla tous: cétoit le jeune Marquis, auteur de la lettre; if avoit vû partir fon rival, & étoit fans doute entré triomphant, de l'avoir fait fuir par un coup de fa tête, mais aïant appris l'éclat que ce brutal venoit de faire, il accouroit pour reparer l'honneur de fa maîtreffe, pendant que l'af femblée étoit encore entiere; il dit dabord pour juftifier Lucie, ce qui étoit vrai, c'eft que la connoiffant trop fcrupuleuse pour entrer dans fon projet il avoit gagné fa femme de chambre • pour lui aider à donner de violens foup

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