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en a honte, mais elle fe fatte que cette honte fera toujours ignorée, ne se doutant point jufques-là qu'elle portoit dans fon fein, une preuve qu'on ne peut tenir cachée qu'environ huit ou neuf mois. Elle ne connoiffoit encore qu'une partie du mal qu'elle avoit fait, ainfi elle n'en étoit qu'à demi répentante: Ses regrets étoient moderés par un fouvenir agréable; les regrets finceres ne lui vinrent qu'avec les maux de cœur.

Imaginės-vous fes allarmes & fa doudeur; joignés à cela l'absence de fon amant: elle n'en recevoir aucunes nouvelles; elle fe crut oubliée, trahie, abandonnée. A qui s'en plaindre ? à qui fe confier dans une fituation fi cruelle ? elle ne trouve de foulagement que dans fes larmes. Laiffons-la pleurer à loifir, pendant que nous pare lerons des autres perfonnes qui ont part à cette avanture.

Une femme de bien, avoit épousé depuis quelques années un bon Bourgeois fort curieux d'avoir lignée, & fort mal intentionné pour fes héritiers collateraux. Cette femme que je nommerai Dorimene, va faire ici un perfonnage tout opposé à

celui d'Angelique.

Dorimene avoit le malheur d'être fterile, & c'est ce qui la defefperoit, car cette fterilité la faifoit prefque haïr de fon Mari. Le bon Bourgeois qui fe préparoit pour lors à faire un long voïage, étoit au defefpoir de partir fans s'être affuré un héritier. Un foir qu'il rentroit chez lui trifte & rêveur, fa femme qui avoit médité tout le jour la maniere dont elle le recevroit, attend le moment qu'il rentre dans fa chambre , court à lui comme une femme transportée de joie, fejette à fon col en criant d'une voix entre-coupée, bonne nouvelle mon cher Mari! bonne nouvelle ! J'ai tant de joie que je ne puis parler: quelle joïe? dit le Mari, de quoi s'agit-il? Elle, au lieu de répondre, recule quelques pas comme une femme qui chancelle, & fe laiffe tomber fur un fauteüil en feignant de s'évanouir. Le bon homme allarmé s'empreffe à la faire revenir; elle revient un peu, le regarde tendrement, & lui dit d'une voix foible: ah mon cher Mari! voici la troifième fois que je m'évanouis depuis ce matin, & ce font ces évanouiffemens qui font ma joïe.

Elle recommence à l'embraffer; nou velle joïe, nouveaux tranfports. Etes-vous folle, dit le mari. Je vous le repete, ré

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pliqua la femme ce font ces évanouiffemens & fes maux de cœur qui me charment, car ils confirment les doutes que j'ai depuis quelque temps. Oui mon cher mari, je crois qu'enfin je fuis en état de vous donner un gage vivant de ma tendreffe conjugale. Ah Ciel! s'écrie le bon Bourgeois, quoi vous feriés enceinte ? eft-il poffible elle jure qu'elle le croit Il l'embraffe à fon tour celle qu'il croit feconde; il eft plus charmé qu'elle ne feignoit de l'être. Ce n'eft plus entr'eux que tranfports, que larmes de joïe feintes & veritables. En un mot depuis ce moment jufqu'à fon depart, elle joua cette alternative de joie & d'évanouiffement; & il partit convaincu qu'il trouveroit à fon retour, le fils aîné de plufieurs autres qu'elle lui promit, en lui difant adieu.

Dès que le mari fut parti, Dorimene ne s'occupa plus que du foin de paroître groffe aux yeux de ses voifines; & de terminer cette groffeffe,comme fi elle cut été veritable. Pour cela il falloit un enfant

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d'emprunt; il falloit confier fon deffein à quelqu'un qui pût l'aider. Elle fut trouver une Sage-femme qui avoit été autrefois fa fervante, femme habile, inventive, une intriguante, enfin qui s'appelloit Nerine. Après avoir promis une groffe recompenfe à cette Nerine, Dorimene lui dit en deux mots que fon deffein étoit de donner un fils à fon Mari.

Nerine pleine de zéle commence à lui faire l'éloge du plus difcret de tous les jeunes Lyonnois qu'elle connoiffoit. Dorimene l'interrompt avec colere.Etes-vous folle? ne me connoiffés-vous pas ? je vous connois de refte, dit Nerine; mais pour faire plaifir à fon Mari, une honnête femme ne pourroit elle pas..... Taifés-vous, Nerine. Mais comment faire donc, Madame? comment faire ? reprit Dorimene, je vais vous expliquer mon deffein.

Pour

Dorimene & Nerine eurent ensemble une converfation fort longue. conclure en deux mots, qu'il falloit chercher dans la ville quelque femme, ou fille qui craignit autant de paroître mere, que Dorimene fouhaitoit de l'être, afin

qu'elle voulût bien lui ceder fon droit de maternité.

le

Pendant que notre intriguante va chercher cet enfant de hazard, chez les plus jolies personnes de la ville, quoique cela fe trouve auffi chez les plus laides, Dorimene commence à jouer toutes les affectations & les grimaces d'une premiere groffeffe. Propofe-t'on à Dorimene une promenade, elle l'accepteroit, dit-elle; mais la difficulté c'est la voiture. Le Caroffe la blefferoit; la Chaise à Porteurs lui fouleve le cœur ; elle a peur en batteau; à pied on fait des faux pas, plus für eft de refter chez elle; mais elle craint d'y donner à jouer. Les grimaces & les contorfions des joueurs lui font horreur; elle ne veut voir que des femmes gracieuses, & de beaux hommes. Point de fpectacle, fur tout ni Comedies ni Opera; elle accoucheroit d'un Neptune ou d'un Arlequin. Elle fe reduit donc au plaifir de la bonne chere; elle s'y dedom mage, en fe jettant fur les plus friands morceaux. Elle les arrache à fes voifins de table: tout eft permis, dit elle, c'est une envie de femme groffe ; elle veut manger

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