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auroit donnés, & travailler à vous rendre dignes de fa gloire & de fes vertus.

Vous n'ignorez pas que les ancêtres dont vous defcendez, vous impofent les plus grandes obligations: vous connoiffez affez l'Hiftoire, pour favoir ce qu'ils ont fait & ce qu'ils ont été; mais peutêtre ces exemples ne vous toucheroientils point autant que mes avis, fur-tout fi vous confidérez que c'eft une amie qui vous parle, & qui ne confulte dans ce moment que fa tendreffe & le defir de vous rendre heureux. L'expérience, le monde & mon cœur font les feuls Livres où je puiferai ce que je vais vous dire.

Née d'une famille illuftre par des honneurs & par des infortunes, je me vis orpheline dès l'âge de dix ans. Une tante, attachée à la Cour par goût & par état, prit foin de mon éducation, & fe hâta de me procurer des Maîtres de tout genre. Je ne tardai point à devenir une petite perfonne intéreffante, tant on avoit foin de me faire valoir, & de m'annoncer comme un riche parti. Le monde ne ceffoit de s'offrir à ma vue fous les plus

brillantes couleurs, & je goûtois un plaifir fingulier à me repaître d'une auffi agréable chimere. Il fembloit que les fêtes ne fe fuccédoient que pour m'empêcher de réfléchir, & que je n'existois que pour m'amufer.

Quelquefois mon ame, toute neuve qu'elle étoit, vouloit s'élever au-deffus de ces précieufes bagatelles; mais la diffipation & la vanité me déroboient auffitôt à moi-même, & venoient me dif traire de mes propres penfées. C'est une terrible chofe qu'une vie dont le monde s'eft rendu maître, & qu'on n'a ni l'occafion, ni le courage de lui ravir! On a beau appercevoir les miferes humaines qui percent à travers les charmes du monde; on a beau trouver dans des lectures folides des vérités capables de toucher & d'inftruire, on n'en eft pas moins l'esclave des paffions & l'ami du menfonge. Je reffemblois à ces Voyageurs qui voient le bon chemin, mais qui croyant abréger leur route, s'en éloignent & s'égarent.

Les perfonnes qui m'environnoient

s'uniffoient à mes fens pour me remplir de chimeres; leur langage étoit celui de l'adulation & de l'impofture; ou elles me cachoient mes défauts, ou elles ne relevoient que ceux qui pouvoient me donner des ridicules. A peine étois-je éveillée, que des Femmes-de-chambre s'étudioient à m'inspirer le goût de la molleffe & de la fenfualité : une partie du jour fe paffoit à me parer de tous les ornements du fiecle, & l'autre à en recueillir le fruit. On m'admiroit à proportion de ma parure, & cette admiration étoit l'aliment de ma vanité.

Je me fouviendrai toujours qu'étant un foir accablée de cette fatiété qui défole les gens du monde, j'ouvris un Tome de Nicole, que le hazard me fit rencontrer, & que j'en lus quelques pages, dont le contenu m'étonna. Ou je Juis bien dupe de la vie que je mene, difoisen moi-même, ou cet Ecrivain eft un grand impofteur.

C

Ces réflexions commençoient à m'agiter, lorfqu'on vint m'avertir qu'il étoit temps de partir pour une fête qu'on don

noit à Seaux. Ma tante, qui me conduifoit dans fon équipage, me trouva fombre & rêveuse, & m'en fit les reproches les plus amers. C'étoit la meilleure femme du monde, mais qui ne s'occupoit que du foin de fe réjouir: elle me grondoit encore quand nous entrâmes dans la falle du bal. La magnificence y avoit déployé tous fes trophées, & le bon goût de Madame la Ducheffe du Maine y avoit raffemblé les plus belles perfonnes & les plus qualifiées.

Bientôt le fon des inftruments, l'harmonie des voix, me firent oublier Nicole & toutes fes raifons; mon cœur, amolli par la volupté, ne tarda point à me perfuader que la morale auftere n'étoit propre qu'à chagriner je danfai avec élégance, je fus louée avec profufion, & je revins plus enchantée du monde que jamais.

Nous traversâmes le Parc, que des illuminations diftribuées avec goût éclairoient comme en plein midi, la foule qui fe trouvoit fur notre paffage, la bigarrure de tant de vifages & de tant d'ha

bits, une joie effrénée qui éclatoit de toutes parts, tout cela rempliffoit mon ame des plus fortes illuffons. Il ne faut qu'un fpectacle de cette nature pour égarer une perfonne pendant toute fa vie. În fe fait la plus grande idée du monde & de fes plaifirs, & lorfqu'une fois le cœur a pris ces premieres impreffions, il eft presqu'impoffible de les diffiper.

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Six ans s'écoulerent dans une vie toujours entrecoupée de pareilles fêtes & de pareils plaifirs, & me conduifirent enfin au moment où j'époufai votre pere. D'heureuses circonftances le firent préférer à quelques jeunes Seigneurs qui me recherchoient avec le plus grand empref fement je me ferois unie à la légéreté & au repentir, & je me vis mariée avec la complaifance & la raifon.

Il fallut repréfenter; & en cela l'orgueil me fervit au mieux: il me rendit auffi vaine que magnifique; & comme je trouvois dans un gros revenu de quoi fatisfaire mon goût, je tins l'état le plus brillant. J'avois une Cour, où je vivois en fouveraine; on me prodiguoit des

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