Imágenes de páginas
PDF
EPUB

TROISIEME SOIRÉE.

C'EST fur vos obligations envers la

Patrie, que j'ai réfolu de vous entretenir aujourd'hui : mais comme cette matiere eft au-deffus de mes connoiffances, ce fera votre pere qui parlera pour moi; il me laiffa ces réflexions avant que de mourir, en me prescrivant de vous les remettre lorfque vous feriez en état de les goûter. Lifez-les, je vous prie, & foyons attentifs à les écouter.

Le fils ainé fe chargea de la commiffion, & lut le manufcrit qu'on lui confioit. La Providence, qui nous a fait naître dans un pays plutôt que dans un autre, a voulu que le lieu de notre naiffance. nous devînt cher & précieux; & pour que nous n'en puiffions douter, ce fentiment eft tellement imprimé dans notre ame, qu'il n'y a point d'homme qui ne foit naturellement patriote. Le monde entier n'eft qu'une famille, mais les liens font beaucoup plus refferrés parmi les

perfonnes qui obéiffent au même Maftre, & qui fuivent les mêmes Loix. Les intérêts deviennent communs, les biens & les maux fe partagent indiftinctement, & chacun participe plus ou moins au bonheur ou au malheur de l'Etat.

Quelque tendreffe que vous ayez pour votre mere, vous ne devez jamais oublier que vous en avez une autre dans la Patrie qui vous vit naître, & qui vous confidere comme fes enfants & fes fujets; il faut partager entre l'une & l'autre ces fentiments de reconnoiffance & d'amour que la nature a gravés dans votre ame. J'ofe même vous dire, quelque jaloux que je fois des droits que j'ai fur yous, que vous ne deviez pas balancer, s'il falloit m'abandonner pour venir au fecours de la Patrie. C'eft alors, qu'à l'exemple des Romains, vous devriez rout facrifier, comme étant indispensablement obligés de préférer à tout autre intérêt, celui de votre Roi & de votre propre Nation.

Votre premiere exiftence fur celle de Citoyen: l'Etat vous recueillit alors com¬

me des fujets qui lui appartiennent effentiellement; la Religion vous tiendra le même langage, ainfi que la raifon : elle vous apprendra, que vos talents & vos travaux doivent concourir au bien de la Patrie; que c'eft lui faire un larcin, que de la priver de ce fecours, & qu'elle a droit de nous faire rendre compte de nos occupations, & de nous appliquer à ce qu'elle veut. Ainfi, ces hommes qui ne travaillent que pour leur propre vanité, ou qui croupiffent dans une honteuse indolence, ne peuvent être envifagés que comme des fardeaux de l'Etat : ce font des guêpes qui viennent manger le miel des abeilles.

On fe trompe lorfqu'on s'imagine qu'on peut fe livrer aux exercices & aux études qui flattent le plus; le feul amour du travail, & le bien de la Patrie, doivent guider un Citoyen. Que feroit-ce qu'un Etat où chacun, maître de fes volontés, ne feroit que ce qui lui plaît, & conferveroit pour lui feul toutes fes lumieres & toutes fes forces? Un Roi commande, & tout obéit; la Patrie fouffre,

& chacun la foulage. Voilà le portrait d'un fage Gouvernement; voilà l'abrégé de nos devoirs.

Vous devez le fentir plus que tout autre, vous qui déja enrôlés au fervice de l'Etat, ne recueillez des avantages & des honneurs que pour le fecourir. Malheur à vous, fi vous étiez jamais capables d'oublier que le fang même qui coule dans vos veines, est le patrimoine de la Patrie; qu'elle a droit de le verfer, comme vous avez celui de difpofer de votre propre bien; & qu'on eft indigne de refpirer, dès qu'on manque à la qualité de Citoyen.

L'Hiftoire Profane & Sacrée ne parle que de perfonnes qui fe facrifierent pour leur Nation; des femmes mêmes, malgré la foibleffe de leur complexion, devinrent des Héroïnes, quand il fut queftion de venir au fecours de la Patrie.

Ici la Maréchale interrompit le Lecteur, & dit à ses enfants, dans un enthoufiafme qui la faifit:

Ah! mes fils, j'ofe vous dire que je me reconnois à ces traits, & que je me

fentirois affez de courage, malgré la maladie qui me dévore, pour aller moimême vous exhorter jufques fur la breche, à périr généreusement, au cas que mon devoir l'exigeât. C'eft alors que la raifon triompheroit de toute ma douleur, & que la confolation d'avoir mis au monde de dignes Citoyens, effuyeroit mes larmes, & me rendroit agréable aux yeux de mon Prince & de ma Nation; mais continuons :

Notre vie ne vaut pas l'honneur de mourir pour la Patrie : elle n'eft qu'une ombre, & la gloire qu'on retire de cette mort est une lumiere qui furvit à l'obfcurité des temps. Vous voyez qu'on fe fouvient encore des Marcellus, & de tant d'autres, comme s'ils ne venoient que d'expirer ils facrifierent leur mortalité, pour fe rendre immortels. La Renommée qui reçut leur dernier foupir, femble en avoir éternifé la durée; & il n'y a point d'homme qui penfe, qui ne voulût avoir leur fort.

Ce n'est pas affez, mes enfants, de porter les livrées de la valeur, de vivre

[ocr errors][ocr errors]
« AnteriorContinuar »