Imágenes de páginas
PDF
EPUB

au-lieu de n'avoir en vue que le bien public; & la moindre difgrace qu'on éprouve, fait qu'on accufe la Patrie, & qu'on ne veut plus la fervir. Que de tels fentiments n'entrent jamais dans vos cœurs: oubliez-vous vous-mêmes, pour n'être occupés que des biens ou des maux de l'Etat : on eft toujours affez riche, quand on a l'avantage de fervir fa Nation.

Confidérez ces Soldats, qui n'attendent ni triomphes, ni fortune: voyez comme ils courent à la tranchée, fans autre espoir que la mort; ils vous apprendront, qu'il faut remplir avec conftance fa destinée, & ne pas s'occuper de ce qui en arrivera.

Mais quelque brillante que foit la carriere d'un Militaire qui ne compte fes jours que par le plaifir de les facrifier, il ternit fa gloire s'il en prend occafion de mépriser les autres conditions; il doit favoir que la Patrie eft un corps qui a également befoin de tous fes membres; que l'un paie de fes fueurs, l'autre de fon fang, & que tous concourent au même bien. Les forces d'un Etat feroient bientôt

épuifées, s'il n'y avoit que l'épée pour le foutenir. Le foc du Laboureur, l'inftrument du plus vil Artifan, font entre les mains de la Nation des moyens honorables de fervir la Patrie : on ne peut les méprifer, fans dégrader l'humanité.

Je ne vous parle ici ni des Ecclésiastiques, ni des Magiftrats; vous avez affez de pénétration, pour favoir que les fonctions de celui qui met la Terre en relation avec le Ciel, & de celui qui affure l'état des familles, & qui maintient l'ordre & la paix, font un Miniftere augufte & facré, & qu'il n'y a que l'ignorance ou la folie qui n'en connoît pas l'avantage & la fublimité. Combien de Prêtres & de Magistrats dont la vie fe confume dans l'accompliffement de leurs devoirs? Ils meurent avec moins d'éclat, il eft vrai, que celui qui expire fur la brêche, mais leur mort eft d'autant plus précieufe, qu'elle dure prefqu'autant que leur vie; tous leurs moments font autant de diminutions d'eux-mêmes, par la perte continuelle qu'ils font de leurs forces & de leur fanté. Le vulgaire n'apperçoit chez les per

fonnes

[merged small][ocr errors]

fonnes conftituées en dignité, que de
petits avantages qui flatteroient fa vani-
té, & qui lui font envie; mais ce ne font là.
des fuperfluités qui ne fauroient affec-
ter une ame magnanime. Il eft jufte que
la Patrie ait des récompenfes à donner,
comme il eft naturel qu'on foit fatisfait

que

de les obtenir; mais on fait voir qu'on
ne les mérite pas, fi on ne les emploie
qu'à nourrir l'orgueil ou la volupté : plu-
tôt vivre dans l'indigence & dans l'obf-
curité, que de faire fervir les biens & les
honneurs au triomphe de la molleffe &
de la vanité. Plus la Patrie vous acca-
blera de prospérités, & plus vous devrez,
en reconnoiffance de fes faveurs, être af-
fables, fimples & laborieux; fans cela,
vous l'expoferiez à la critique des mécon-
tents, & vous êtes obligés de juftifier fa
conduite & fon difcernement.

Oh! que peu de perfonnes connoiffent
ces devoirs. A peine a-t-on rendu quel-
que fervice à fa Patrie, à peine en eft on
récompenfe, qu'on fe livre à un repos
honteux, ou à des plaifirs immodérés ;
on veut racheter le temps qu'on a passé

C

[ocr errors]
[ocr errors][ocr errors]

dans la peine, fans réfléchir que les moments de travail font les plus honorables & les plus gracieux, & que l'éternité fera affez longue pour fe repofer.

La Maréchale ayant fait figne qu'il falloit s'arrêter, dit d'une voix foible:

L'heure m'avertit qu'il faut finir cette lecture: elle eft un vafte champ pour la réflexion, fi vous favez en tirer toutes les conféquences qui fe préfentent à l'efprit. La prévoyance de votre pere lui a fait trouver les moyens de vous inftruire après la mort; pour moi, qui n'ai point fes lumieres, je ne puis vous offrir que de la tendreffe & de la bonne volonté : elles font telles que j'impofe filence aux douleurs les plus aiguës, pour ne pas vous laiffer à la merci de l'ignorance & des paffions. Quelque foibles que foient mes vues, je continuerai à vous les compar muniquer; votre pere n'ayant laiffé écrit qu'une inftruction relative à votre état. Hélas! je ne demande au Ciel que de vivre affez de temps pour remplir cette tâche; alors je fermerai la paupière auffi tranquillement qu'on s'endort.

QUATRIÈME SOIRÉE.

AP

PRIS Vous avoir entretenus fur les devoirs envers la Patrie, je juge à propos de vous parler des obligations à l'égard de la Société. La tendreffe ranime mes forces, & j'oublie volontiers mon mal, quand il s'agit de travailler à votre bonheur; les Médecins auront beau m'en faire des reproches, leurs plaintes ne ferviront qu'à manifefter un zele que le devoir enfante & que l'amour nourrit.

Quoique jeunes, vous avez affez l'ufage du monde, pour favoir qu'il y a des Sociétés pour chaque condition, & qu'il feroit autant contraire à la décence qu'à la difcrétion, de les voir toutes indiftinctement. Il est des proportions dans les âges, dans les profeffions & dans les fortunes, qu'on doit refpecter. Ce n'est point ici l'effet de la vanité, mais le fruit d'un fage difcernement.

Que diriez-vous d'un homme de qua

« AnteriorContinuar »