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éloges, on me demandoit des graces, nous paroiffions, mon mari & moi, les perfonnages les plus heureux & les plus importants.

Une guerre avec la Maifon d'Autriche m'arracha mon époux : il partit avec ce courage martial, qu'il fit éclater jusqu'au dernier moment de fa vie, pendant que je m'abandonnois à la plus vive douleur. Ses Lettres me confolerent, le calme revint dans mon ame, ainfi que le goût du plaifir; on donna l'Opéra de Thétis, j'y courus, & c'eft alors que l'amour des Spectacles s'empara fortement de mon efprit & de mon cœur. Je voulus connoître les meilleures Pieces du Théatre, fes plus grands jeux, fes plus magnifi ques décorations. Le monde eft une mer agitée, qui mene toujours plus loin qu'on ne s'imagine.

Cependant, malgré mon goût décidé pour tout ce qui flattoit les fens & nourriffoit la vanité, on me citoit comme un modele de fageffe & de difcrétion; on étoit étonné de voir une jeune femme de yingt ans fans d'autres paffions que celles

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de la parure, des Spectacles & du jeu. Les perfonnes du monde ne peuvent comprendre qu'une ame qui nage dans les délices du luxe & de la molleffe, eft un être vraiment pitoyable aux yeux de la raison.

Des fouvenirs de Nicole, que je n'avois qu'entrevu, affectoient de temps en temps mon imagination; mais femblables à ces vents légers qui rident la furface des eaux, ils ne faifoient qu'effleurer mon cœur. Ce qu'il y a de furprenant, c'est qu'une parente à qui je parlai de cet Auteur, m'en défendit fortement la lecture; & cela pour irriter mon appétit, & pour m'y attacher plus vivement, ainsi qu'elle me l'avoua quelques années après. Elle favoit que la défense est un affaifonnement, & que de nous interdire une chofe, c'est souvent le moyen de nous la faire aimer. Son ftratagême réuffit; je ne fus point tranquille jufqu'au moment où je me procurai les Effais de morale, & où je les parcourus. Le trouble commençoit à fe répandre dans mon ame; mais au-lieu d'en profiter, je regardai cette

émotion comme celle que caufe une Tragédie, & j'en reftai là. Votre Pere revint alors couvert de bleffures & de lauriers; & les compliments qu'il reçut à la Cour, & les honneurs dont on le combla, firent une diverfion qui me replongea plus que jamais dans le fein des plaisirs & de la diffipation.

Alors je m'étudiai à donner des fêtes, & j'y réuffis. On vanta de toutes parts ma délicatesse & mon bon goût, & chacun m'en témoigna fa fatisfaction. Quel encouragement pour une femme qui ne cherchoit qu'à plaire, & à briller! C'eft alors que les dépenfes devinrent exceffives, & que pour foutenir une réputation d'éclat, nous altérâmes notre patrimoine, & conféquemment votre bien.

Vous voyez, mes chers enfants, que je ne vous déguife rien de toutes les circonftances de ma vie, & que mon langage eft cette voix du fang qui émeut les entrailles, & qui n'a d'autre éloquence que la tendreffe & la fincérité. Si j'ai commis des fautes, vous me les pardonnerez je me fuis trompée moi-même la

premiere, avant que de vous tromper; & cette méprife, dans l'ordre de la Providence, fera peut-être un très-grand bien.

Ce qu'il y a de fûr, c'eft qu'elle opéra quelque changement dans ma maniere de vivre; votre pere partit pour remplir une Commiffion de la Cour, qui l'envoyoit en Italie, & j'employai ce temps à lire nos meilleures Hiftoires. Je fus charmée de trouver fouvent dans celles de France & d'Angleterre le nom que vous portez, & d'y voir que les vertus de vos aïeux pourroient vous fervir d'exemples.

Ce fut alors que je me liai avec la Comteffe de S***, cette femme forte que la mort vient de nous ravir, & qui n'avoit d'ame que pour être bienfaifante. Ses converfations me plurent, fa folidité m'enchanta: il n'y avoit rien dont elle ne prît occafion pour paffer à la morale; mais cela fe faifoit avec tant d'aménité, & d'une maniere fi naturelle, que les personnes les plus frivoles ne fe laffoient point de l'écouter. Elle me parla fouvent de l'obligation de vivre en Philofophe Chré

tienne. Ici les regrets s'emparent de mon cœur, & me forcent à vous avouer que les plaisirs du fiecle ne me laiffoient que de ftériles defirs. Toujours le monde fe plaçoit entre mes fentiments & mes penfées, & formoit au dedans de moi leplus affreux cahos: je voulois, je ne voulois plus, & mon existence n'étoit qu'une vie entrecoupée de perplexités & de re mords.

Je me trouvois dans cette étrange fituation, lorfque votre pere revint. Le Monarque l'accueillit avec cet air gracieux qui fouvent tient lieu de bienfait, & qui vaut réellement une récompenfe; chacun prit part à ma joie, & m'entraîna comme malgré moi au milieu des fêtes & des plaifirs. Paris & Verfailles me virent à l'alternative, occupée de la fortune de mon mari, & de tous les divertiffements. L'ambition & la volupté font de cruels tyrans : on n'a pas un moment à foi, & dans les efpérances dont on fe repaît, on eft prefque toujours trompé.

Votre pere, malgré le tourbillon du monde, avoit fes moments de folitude

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