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de faire des demeures folides, com modes & décentes.

Les mêmes obfervations furent fai tes fur toutes les autres parties qui ont rapport aux moyens de conferver la vie, ou de la rendre plus aifée & plus douce: c'eft de-là que font venus les Arts de néceffité & ceux de commodité.

Quand on a pourvu au néceffaire & au commode, il n'y avoit plus qu'un pas pour arriver à l'agrément, qui est un troifieme ordre de befoin pour les délicats. Car le commode tenant une efpece de milieu entre le néceffaire & ce qui eft de pur agrément, mene de l'un à l'autre ; puifque le commode n'eft autre chose qu'un néceffaire aisé, & que, d'un autre côté, l'agrément ne femble être qu'un degré de commodité de plus.

Ainfi l'on peut diftinguer trois efpeces d'Arts, relativement aux fins qu'ils fe propofent.

Les uns ont pour objet les befoins de l'homme la nature qui l'a expofé à mille maux, & qui femble l'abandonner à lui-même dès qu'une fois il eft né, ayant voulu que les remedes.& les

préfervatifs qui lui font néceffaires, fuffent le prix de fon induftrie & de fon travail. C'eft de-là que font fortis les Arts mécaniques.

Les autres ont pour objet le plaifir. Ceux-ci n'ont pu naître que dans le fein de la joie & des fentimens que produisent l'abondance & la tranquillité: on les appelle les beaux Arts par excellence. Tels font la Mufique, la Poéfie, la Peinture, la Sculpture, & l'Art du gefte ou la Danse.

La troifieme efpece contient les Arts qui ont pour objet l'utilité & l'agrément tout à la fois : tels font l'Eloquence & l'Architecture: c'eft le befoin qui les a fait éclore, & le goût qui les a perfectionnés : ils tiennent une forte de milieu entre les deux autres efpeces ils en partagent l'agrément & l'utilité.

Les Arts de la premiere efpece emploient la nature telle qu'elle eft, uniquement pour l'ufage & le fervice. Ceux de la troifieme, l'emploient en la poliffant, pour le fervice & pour l'agrément. Les beaux Arts ne l'emploient point; ils ne font que l'imiter chacun à leur maniere: ce qui a befoin A G

d'être expliqué, & qui le fera dans le chapitre fuivant. Ainfi la nature feule eft l'objet de tous les Arts. Elle contient tous nos befoins & tous nos plaifirs; les Arts mécaniques & les Arts de goût ne font faits que pour les en tirer.

Nous ne parlerons ici que des beaux Arts, c'est-à-dire, de ceux dont l'objet eft de plaire : & pour les mieux connoître remontons à la caufe qui les a produits.

Ce font les hommes qui ont fait les Arts: & c'eft pour eux-mêmes qu'ils les -ont faits.Ennuyés d'une jouiffance trop. -uniforme des objets que leur offroit -la Nature toute fimple, & fe trouvant d'ailleurs dans une fituation propre recevoir le plaifir; ils eurent recours -à leur génie pour fe procurer un nou-vel ordre d'idées & de fentimens qui réveillât leur esprit & ranimât leur goût. Mais que pouvoit faire ce génie -borné dans fa fécondité & dans fes vues, qu'il ne pouvoit porter plus loin que la Nature; & ayant d'un autre côté à travailler pour des hommes dont les facultés étoient refferrées dans les mêmes bornes? Tous fes efforts dûrent néceffairement fe réduire à faire

un choix des plus belles parties de la Nature, pour en former un tout exquis, qui fût plus parfait que la Nature ellemême fans cependant ceffer d'être naturel. Voilà le principe fur lequel a dû nécessairement fe dreffer le plan fondamental des Arts, & que les grands Artistes ont fuivi dans tous les fiecles. D'où je conclus: premiérement, que le génie, qui eft le pere des Arts, doit imiter la Nature. Secondement, qu'il ne doit point l'imiter telle qu'elle eft ordinairement, telle qu'elle fe préfente à nous tous les jours. Troifiémement que le goût, pour qui les Arts font faits & qui en eft le juge, doit être fatisfait quand la Nature eft bien choifie & bien imitée par les Arts. Ainfi, toutes nos preuves doivent tendre à établir l'imitation de la belle Nature, par la nature même du génie qui les produit, par celle du goût qui en eft l'arbitre & par la pratique des excellens Artistes.

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CHAPITRE II.

Le Génie n'a pu produire les Arts que par l'imitation: ce que c'eft qu'imiter. 'ESPRIT humain ne peut créer qu'improprement: toutes fes productions portent l'empreinte d'un modele. Les monftres mêmes, qu'une imagination déréglée fe figure dans fes délires, ne peuvent être compofés que de parties prifes dans la Nature. Et fi le Génie, par caprice, fait de ces parties un affemblage contraire aux loix naturelles; en dégradant la Nature, il fe dégrade lui-même, & fe change en une espece de folie. Les limites font marquées; dès qu'on les paffe, on fe perd. On fait un chaos plutôt qu'un monde, & on cause du défagrément plutôt que du plaifir.

Le Génie qui travaille pour plaire, ne doit donc, ni ne peut fortir des bornes de la Nature même. Sa fonction confifte, non à imaginer ce qui ne peut être, mais à trouver ce qui eft. Inventer dans les Arts, n'eft point donner l'être à un objet, c'eft le reconnoître où il eft, & comme il eft.

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