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Et les hommes de génie qui creufent le plus, ne découvrent que ce qui existoit auparavant. Ils ne font créateurs que pour avoir obfervé; & ré ciproquement, ils ne font obfervateurs que pour être en état de créer. Les moindres objets les appellent. Ils s'y livrent parce qu'ils en remportent toujours de nouvelles connoif fances qui étendent le fonds de leur efprit, & en préparent la fécondité. Le Génie eft comme la terre, qui ne produit rien qu'elle n'en ait reçu la femence. Cette comparaifon, bien loin d'appauvrir les Artiftes, ne fert qu'à leur faire connoître la fource & l'étendue de leurs véritables riche fes, qui par-là, font immenses; puifque toutes les connoiffances que l'efprit peut acquérir dans la nature, devenant le germe de fes productions dans les Arts, le Génie n'a d'autres bornes, du côté de fon objet, que celles de l'Univers.

Le Génie doit donc avoir un appui pour s'élever & fe foutenir, & cet appui eft la Nature. Il ne peut la créer il ne doit point la détruire; îl pe peut donc que la fuivre & l'imi

ter, & par conféquent tout ce qu'il produit ne peut être qu'imitation.

Imiter, c'eft copier un modele. Ce terme contient deux idées. 1°. L'original ou le prototype qui porte les traits qu'on veut imiter. 2°. La copie qui les repréfente.

La Nature, c'est-à-dire, tout ce qui eft, ou que nous concevons aifément comme poffible, voilà le prototype ou le modele des Arts.

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Pour expliquer ceci nettement, on peut diftinguer, en quelque forte quatre mondes le monde exiftant, c'eft l'Univers actuel, phyfique, moral, politique, dont nous faifons partie: le monde hiftorique, qui eft peuplé de grands noms, & rempli de faits célébres le monde fabuleux qui eft rempli de Dieux & de Héros imaginaires; enfin le monde idéal ou poffible, où tous les êtres exiftent dans les généralités feulement, & d'où l'imagination peut tirer des individus qu'elle caractérise par tous les traits d'existence & de propriété. Ainfi Ariftophane peignoit Socrate, sujet tiré de la fociété, alors exiftante. Les Horaces font tirés de l'hiftoire: Mé

dée est tirée de la fable: Tartuffe du monde poffible. Voilà en général ce qu'on appelle Nature. Il faut, comme nous venons de le dire, que l'induftrieux imitateur ait toujours les yeux attachés fur elle, qu'il la contemple fans ceffe: Pourquoi? Parce qu'elle renferme tous les plans des ouvrages réguliers, & les deffeins de tous les ornemens qui peuvent nous plaire. Les Arts ne créent point leurs regles elles font indépendantes de leur caprice, & invariablement tracées dans l'catpie de la Nature.

Quelle eft donc la fonction des Arts? C'eft de tranfporter les traits qui font dans la Nature, & de les préfenter dans des objets à qui ils ne font point naturels. C'eft ainfi que le cifeau du Statuaire montre un héros dans un bloc de marbre. Le Peintre par fes couleurs, fait fortir de la toile tous les objets visibles. Le Mu ficien par des fons artificiels fait gronder l'orage, tandis que tout eft cal me; & le Poëte enfin par fon invention & par l'harmonie de fes vers, remplit notre efprit d'images feintes & notre cœur de fentimens factices,

fouvent plus charmans que s'ils étoient vrais & naturels. D'où je conclus, que les Arts, dans ce qui eft proprement art, ne font que des imitations, des reffemblances qui ne font point la nature, mais qui paroiffent l'être ; & qu'ainfi la matière des beaux Arts n'eft point le vrai, mais feulement le vraisemblable. Cette conféquence eft affez importante pour être développée & prouvée fur le champ par l'application.

Qu'est-ce que la Peinture? Une imitation des objets vitibles. Elle n'a rien de réel, rien de vrai, tout eft phantôme chez elle, & fa perfection ne dépend que de la reffemblance avec la réalité.

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La Mufique & la Danfe peuvent bien régler les tons & les geftes de Porateur en chaire, & du citoyen qui raconte dans la converfation ; mais ce n'eft point encore là, qu'on les appelle des Arts proprement. Elles peuvent auffi s'égarer, l'une dans des caprices, où les fons s'entrechoquent fans deffein; l'autre dans des fecouffes & des fauts de fantaisie: mais ni l'une i l'autre elles ne font plus alors

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dans leurs bornes légitimes. Il faut donc, pour qu'elles foient ce qu'elles doivent être, qu'elles reviennent à l'imitation qu'elles foient le portrait artificiel des paffions humaines. Et c'eft alors qu'on les reconnoît avec plaifir, & qu'elles nous donnent l'efpece & le degré de fentiment qui nous fatisfait.

Enfin la Poéfie ne vit que de fiction. Chez elle le Loup porte les traits de l'homme puiffant & injufte ; l'Agneau, ceux de l'innocence opprimée. L'Eglogue nous offre des Bergers poëtiques qui ne font que des reffemblances, des images. La Comédie fait le portrait d'un Harpagon idéal, qui n'a que par emprunt les traits d'une avarice réelle.

: La Tragédie n'eft poéfie que dans ce qu'elle feint par imitation. Céfar a eu un démêlé avec Pompée, ce n'eft point poésie, c'eft hiftoire. Mais qu'on invente des difcours, des motifs, des intrigues, le tout d'après les idées que l'Hiftoire donne des caracteres & de la fortune de Céfar & de Pompée; voilà ce qu'on nomme Poéfie, parce que cela feul eft l'ouvrage du Génie & de l'Art.

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