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fait un crime de la foibleffe de fes vers, c'eft à Lulli à l'en justifier. Les plus beaux vers ne font point ceux qui portent le mieux la Musique, ce font les plus touchans. Demandez à un Compofiteur lequel de ces deux morceaux de Racine eft le plus aifé à traiter: voici le premier:

Quel carnage, de toutes parts!

On égorge à la fois les enfans, les vieillards, Et la fille & la mere, & la foeur & le frere,

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Le fils dans les bras de fon pere:

Que de corps entaffés ! que de membres épars Privés de fépulture !

Voici l'autre qui le fuit immédiatement dans la même scene:

Hélas! fi jeune encore,

Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur? Ma vie à peine a commencé d'éclore,

Je tomberai comme une fleur

Qui n'a vu qu'une aurore.

Hélas! fi jeune encore,

Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur ? Faut il être Compofiteur pour fentir cette différence ?

:

La Danfe eft encore plus modefte que la Poéfie celle-ci au moins eft mefurée, mais le gefte ne fait presque pour la Mufique que ce qu'il fait pour les Drames; & s'il s'y montre quel

quefois avec plus de force, c'eft qu'il y a plus de paffion dans la Mufique que dans la Poéfie ; & par conféquent plus de matiere pour l'exercer : puifque, comme nous l'avons dit, le geste & le ton de la voix font confacrés d'une façon particuliere au fentiment.

Enfin fi c'eft la Danfe qui donne une fête, il ne faut point que la Musique y brille à fon préjudice; mais feulement qu'elle lui prête la main, pour marquer avec plus de précision son mouvement & fon caractere. Il faut que le violon & le danfeur forment un concert; & quoique le violon précéde, il ne doit exécuter que l'accompagnement. Le fujet appartient de droit au danfeur. Qu'il foit guidé ou fuivi, il a toujours le principal rang, rien ne doit l'obfcurcir: & l'oreille ne doit être occupée, qu'autant qu'il le faut, pout ne point caufer de dif

traction aux yeux.

Nous ne joignons point ordinairement la Parole avec la Danfe propre. ment dite; mais cela ne prouve point qu'elles ne puiffent s'unir: elles l'étoient autrefois, tout le monde en convient. On dansoit alors fous la

voix chantante, comme on le fait aujourd'hui fous l'inftrument, & les paroles avoient la même mefure que les pas.

C'est à la Poéfie, à la Mufique, à la Danfe, à nous préfenter l'image des actions & des paffions humaines ; mais c'eft à l'Architecture, à la Peinture, à la Sculpture, à préparer les lieux & la fcene du Spectacle. Et elles doivent le faire d'une maniere qui réponde à la dignité des Acteurs & à la qualité des fujets qu'on traite. Les Dieux habitent dans l'Olympe, les Rois dans des Palais, le fimple Citoyen dans fa maifon, le Berger eft affis à l'ombre des bois. C'eft à l'Architecture à former ces lieux, & à les embellir par le fecours de la Peinture & de la Sculpture. Tout l'Univers appartient aux beaux Arts. Ils peuvent dipofer de toutes les richeffes de la Nature. Mais ils ne doivent en faire ufage que felon les loix de la décence. Toute demeure doit être l'image de celui qui l'habite, de fa dignité, de fa fortune, de fon goût. C'est la regle qui doit guider les Arts dans la conftruction & dans les orne

ni

mens des lieux. Ovide ne pouvoit rendre le palais du Soleil trop brillant, Milton le Jardin d'Eden trop délicieux: mais cette magnificence feroit condamnable même dans un Roi, parce qu'elle eft au-deffus de fa condition:

Singula quæque locum teneant fortita decenter.

Fin du premier Volume.

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