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la création du génie. De même le combat des Horaces, d'hiftoire qu'il étoit fe changea en poëme dans les mains de Corneille, & le triomphe de Mardochée, dans celles de Racine. L'Art bâtit alors fur le fonds de la vérité. Et il doit la mêler fi adroitement avec le menfonge, qu'il s'en forme un tout de même nature:

Atque ita mentitur, fic veris falfa remiscet,
Primo ne medium, medio ne difcrepet imum.

C'eft ce qui fe pratique ordinairement dans les Epopées, dans les Tragédies, dans les Tableaux hiftoriques. Comme le fait n'eft plus entre les mains de l'Hiftoire, mais livré au pouvoir de l'Artiste, à qui il eft per'mis de tout ofer pour arriver à son but; on le pétrit de nouveau, fi j'ofé parler ainfi, pour lui faire prendre une nouvelle forme on ajoute, on retranche, on tranfpofe. Si c'est un Poëme, on ferre les noeuds, on prépare les dénouemens, &c...... car on fuppofe que le germe de tout cela eft dans l'Hiftoire, & qu'il ne s'agit que de le faire éclore. S'il n'y eft point, l'Art alors jouit de tous fes droits dans toute leur étendue, il crée tour

ce dont il a befoin. C'est un privilege

qu'on lui accorde

, parce qu'il eft

obligé de plaire.

CHAPITRE IV.

Dans quel état doit être le Génie
pour imiter la belle Nature.

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Es Génies les plus féconds ne fentent pas toujours la présence des Mufes. Ils éprouvent des temps de féchereffe &de ftérilité. La verve de Ronfard qui étoit né poëte, avoit des repos de plufieurs mois. La Mufe de Milton avoit des inégalités dont fon ouvrage fe reffent; & pour ne point parler de Stace, de Claudien & de tant d'autres, qui ont éprouvé des -retours de langueurs & de foibleffe le grand Homere ne fommeilloit - il pas quelquefois au milieu de fes héros & de fes dieux? Il y a donc.des momens heureux pour le génie, lorf que l'ame enflammée comme d'un feu divin fe représente toute la nature; & répand fur les objets cet efprit de vie qui les anime, ces traits touchans qui nous féduifent ou nous raviffent.

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Cette fituation de l'ame fe nomme

Enthousiasme, terme que tout le mon de entend affez, & que prefque perfonne ne définit. Les idées qu'en donnent la plupart des Auteurs paroiffent fortir plutôt d'une imagination étonnée & frappée d'enthoufiafme elle-même, que d'un efprit qui ait penfé ou réfléchi. Tantôt c'eft une vifion célefte, une influence divine, un efprit prophétique tantôt c'eft une ivreffe, une extafe, une joie mêlée de trouble & d'admiration en préfence de la Divinité. Avoient ils def fein par ce langage emphatique de relever les Arts, & de dérober aux prophanes les myfteres des Mufes?

A

Pour nous qui cherchons à éclaircir nos idées, écartons tout ce fafte allégorique qui nous offufque. Confidérons l'enthousiasme comme un philofophe confidere les grands, fans aucun égard pour ce vain étalage qui l'environne & qui le cache.

La divinité qui infpire les auteurs excellens quand ils compofent, eft semblable à celle qui anime les héros dans les combats:

Sua cuique Deus fit dira Cupido.

Dans ceux-ci, c'eft l'audace, l'intrépidité naturelle animée par la préfence même du danger. Dans les autres, c'est un grand fonds de génie, une jufteffe d'efprit exquife, une imagination féconde, & fur-tout un cœur plein de feu noble, & qui s'allume aifément à la vue des objets. Ces ames privilégiées prennent fortement l'empreinte des chofes qu'elles conçoivent, & ne manquent jamais de les reproduire avec un nouveau caractere d'agrément & de force qu'elles leur communiquent.

Voilà la fource & le principe de l'Enthousiasme. On fent déja quels doivent en être les effets par rapport aux Arts imitateurs de la belle Nature. Rappellons-nous l'exemple de Zeuxis. La Nature a dans fes tréfors tous les traits dont les plus belles imitations peuvent être compofées : ce font comme des études dans les tablettes d'un Peintre. L'Artifte qui eft effentiellement obfervateur, les reconnoît, les tire de la foule, les affemble. Il en compofe dans fon efprit un Tout dont il conçoit une idée vive qui le remplit. Bientôt fon feu s'allume, à la

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vue de l'objet : il s'oublie : fon ame paffe dans les choses qu'il crée : il est tour à tour Cinna, Augufte, Phedre, Hippolyte, & fi c'eft un La Fontaine, il est le Loup & l'Agneau, le Chêne & le Rofeau. C'eft dans ces transports qu'Homere voit les chars & les courfiers des Dieux que Virgile entend les cris affreux de Phlegias dans les ombres infernales : & qu'ils trouvent P'un & l'autre des chofes qui ne font nulle part, & qui cependant font vraies: Poëta cùm tabulas cepit fibi,

Quærit quod nufquàm eft gentium, repperit ta men (a).

C'est pour le même effet que ce même enthousiasme eft néceffaire aug Peintres & aux Muficiens. Ils doivent 'oublier leur état, fortir d'eux-mêmes & fe mettre au milieu des chofes qu'ils veulent repréfenter. S'ils veulent peindre une bataille; ils fe tranfportent, de même que le Poëte, au milieu de la mêlée : ils entendent le fracas des armes, les cris des mourans ils excitent eux-mêmes leurs imaginations, jufqu'à ce qu'ils fe fen(4) Plaur

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