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tent émus, faifis, effrayés: alors, Deus ecce Deus: qu'ils chantent, qu'ils peignent, c'est un Dieu qui les infpire:

Bella horrida bella,

Et Tibrim multo fpumantem fanguine cèrne (a).

C'est ce que Ciceron appelle, mentis viribus excitari, divino Spiritu afflari. (b) Voilà la fureur poëtique : voilà l'Enthoufiafme: voilà le Dieu que le Poëte invoque dans l'Epopée, qui infpire le héros dans la Tragédie, qui fe transforme en fimple bourgeois dans la Comédie, en berger dans l'Eglogue, qui donne la raifon & la parole aux animaux dans l'Apologue, enfin le Dieu qui fait les vrais Pein tres, les Muficiens. & les Poëtes.

Accoutumé que l'on eft à n'exiger l'Enthoufiafme que pour le grand feu de la Lyre ou de l'Epopée, on est peut-être furpris d'entendre dire qu'il est nécessaire même pour l'Apologue. Mais, qu'eft-ce que l'Enthoufiafme? Il ne contient que deux chofes : une vive représentation de l'objet dans l'efprit, & une émotion du cœur (a) Virg. En. 6. (b) Pro Archia Poëta,

BG

proportionnée à cet objet. (a) Ainfi de même qu'il y a des objets fimples nobles, fublimes, il y a auffi des enthoufiafmes qui leur répondent, & que les Peintres, les Muficiens, les Poëtes fe partagent felon les degrés qu'ils ont embraffés; & dans lefquels il est néceffaire qu'ils fe mettent tous, fans en excepter aucun, pour arriver à leur but, qui eft l'expreffion de la Nature dans fon beau. Et c'est pour cela que la Fontaine dans fes Fables, & Moliere dans fes Comédies font Poëtes & auffi grands Poëtes que Corneille dans fes Tragédies, & Rouffeau dans fes Ode's.

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(a) Dans les occafions qui demandent de l'enthoufiafme le Dieu n'enleve pas l'homme qu'il fait agir, dit Plutarque, il ne fait que lui donner des idées vives, lefquelles idées produifent des fentimens qui leur répondent. Oud oppedes vega ζόμενον, ἀλλὰ φαντασίας ὁρμῶν ἀγογούς, Vis de Coriol.

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De la maniere dont les Arts font
leur imitation.

Ufqu'ici on a tâché de montrer que les Arts confiftoient dans l'imitation ; & que l'objet de cette imitation étoit la belle Nature repréfentée à l'efprit dans Penthousiasme. Il ne refte plus qu'à expofer la maniere dont cette imitation fe fait : & par-là, on aura la différence particuliere des Arts dont l'objet commun eft limitation de la belle Nature.

On peut divifer la Nature par rapport aux beaux Arts en deux parties : P'une qu'on faifit par les yeux, & l'autre, par la voie des oreilles: car les autres fens font ftériles pour les beaux Arts. La premiere partie eft l'objet de la Peinture qui repréfente fur un plan tout ce qui eft vifible. Elle est celui de la Sculpture qui le repréfente en relief : & enfin celui de l'Art du gefte qui eft une branche des deux autres Arts que je viens de nommer, & qui n'en differe, dans ce qu'il embraffe que parce que le fujer auquel on atta

che les geftes dans la Danfe eft naturef & vivant, au lieu que la toile du Peintre & le marbre du Sculpteur ne le font point.

La feconde partie eft l'objet de la Mufique confidérée feule & comme un chant; en fecond lieu de la Poéfie qui emploie la parole, mais la parole mefurée & calculée dans tous les fons.

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Ainfi la Peinture imite la belle Nature par les couleurs, la Sculpture par les reliefs, la Danfe par les mouvemens & par les attitudes du corps. La Mufique l'imite par les fons inarticulés, & la Poéfie enfin par la parole mefurée. Voilà les caracteres diftinctifs des Arts principaux. Et s'il ar rive quelquefois que ces Arts fe mêlent & fe confondent, comme, par exemple, dans la Poéfie, fi la Danfe fournit des geftes aux acteurs fur le théâtre ; fi la Mufique donne le toni de la voix dans la déclamation; fi le pinceau décore le lieu de la fcene; ce font des fervices qu'ils fe rendent mutuellement, en vertu de leur fin cammune & de leur alliance réciproque, mais fans préjudice à leurs droits par ticuliers & naturels. Une Tragédie fans

geftes, fans mufique, fans décoration, eft toujours un poëme. C'est une imitation exprimée par le difcours mefuré. Une Mufique fans paroles eft toujours musique. Elle exprime la plainte & la joie indépendamment des mots, qui l'aident, à la vérité, mais qui ne lui apportent, ni ne lui ôtent rien qui altere fa nature & fon effence. Son expreffion effentielle eft le fon de même que celle de la Peinture eft la couleur, & celle de la Danfe le mouvement du corps. Cela ne peut être contefté.

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Mais il y a ici une chofe à remarquer: C'eft que de même que les Arts doivent choisir les deffeins de la Nature & les perfectionner, ils doivent choifir auffi & perfectionner les expreffions qu'ils empruntent de la Nature. Ils ne doivent point employer toutes fortes de couleurs, ni toutes fortes de fons: il faut en faire un jufte choix & un mêlange exquis: il faut les allier, les proportionner, les nuancer, les mettre en harmonie. Les couleurs & les fons ont entr'eux des fympathies & des répugnances. La Nature a droit de les unir felon fes volontés, mais

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