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l'Art doit le faire felon les regles. II faut non-feulement qu'il ne bleffe point le goût, mais qu'il le flatte, & le flatte autant qu'il peut être flatté.

Cette remarque s'applique également à la Poéfie. La parole qui eft fon inftrument ou fa couleur, a chez elle certains degrés d'agrément qu'elle n'a point dans le langage ordinaire : c'eft le marbre choifi, poli, & taillé, qui rend l'édifice plus riche, plus beau plus folide. Il y a un certain choix de mots, de tours, fur-tout une certaine harmonie réguliere qui donne à fon langage quelque chofe de furnaturel qui nous charme & nous enleve à nous. mêmes. Tout cela a befoin d'être expliqué avec plus d'étendue, & le fera dans la troifieme Partie.

DÉFINITIONS DES ARTS.

Il eft aifé maintenant de définir les Arts dont nous avons parlé jufqu'ici. On connoît leur objet, leur fin, leurs fonctions, & la maniere dont ils s'en acquittent; ce qu'ils ont de commun qui les unit; ce qu'ils ont de propre, qui les fépare & les diftingue.

On définira la Peinture, la Sculptu

re, la Danfe, une imitation de la belle Nature exprimée par les couleurs, par le relief, par les attitudes. Et la Mufique & la Poéfie, l'imitation de la belle Nature exprimée par les fons, ou par le difcours mefuré. (a) On

(a) M. Schlegel célebre dans la Littérature Allemande, & Pafteur de Zerbft, qui a fait l'honneur à cet Ouvrage de le traduire en Allemand, prétend que le principe de l'imitation n'est pas univerfel pour la Poéfie. Il expofe fes raifons dans des notes & des differtations favantes qui accompagnent fa Traduction. M. Huber qui nous a fait connoître fi avantageufement le goût & le génie de fa nation par fa belle Traduction du Poëme d'Abel, ayant bien voulu me donner le précis de ces objections, j'ai cru que je devois y répondre, tant pour éclaircir la matiere de plus en plus, que pour montrer à M. S. le cas que je fais de fon fuffrage, & combien je ferois flatté de l'obtenir fans restriction,

"Dans mon premier travail, dit M. S. (Préf » de fa 2. Ed.) j'avois eu quelque doute fur l'é» tendue du principe univerfel de l'imitation, qui » étant fuffifant pour les autres Arts, m'avoit paru » ne pas l'être pour la Poéfie. L'examen plus ré» fléchi m'a confirmé dans ma pensée.

Voici en peu de mots le raifonnement de M. S. L'imitation de la Nature n'eft pas le principe unique en fait de Poéfie, fi la Nature même peut être fans imitation l'objet de la Poéfie. Or la Nature &c. donc....

On lui répond, que la feconde propofition de fon raifonnement eft vraie de toute vérité, mais qu'on la trouve enfeignée par-tout dans l'Ouvrage dont il s'agit & principalement dans les chap. 2. & 3. de la 1. Partie.

C'est donc dans la premiere propofition qu'il y a

dira dans la feconde partie en quoi confifte la belle Nature.

Ces définitions font fimples, elles font conformes à la nature du génie qui produit les Arts, comme on vient de le voir. Elles ne le font pas moins

quelque équivoque ou quelque mal-entendu. II ne s'agit d'un bout à l'autre dans le livre attaqué par M. Schlegel que de la nature choifie & embellie autant qu'elle peut l'être par le génie & par le goût. On tâche d'y trouver par-tout que dans la Poéfie comme ailleurs il faut rendre le beau & le bon en fuivant la Nature, hors de laquelle il n'y a rien de bien. Falloit-il faire deux principes, l'un pour la nature parfaite rendue fans art & fans choix, lorsque par hafard elle n'en a pas befoin; l'autre pour la nature rendue avec art & choix, parce que, elle ne se présente prefque jamais fans défaut à l'Artifte qui veut la rendre ? C'eût été s'embarraffer d'une Métaphysique trop fubtile, & peut-être déplacée. Dans tous les genres de Poéfie, peignez la fimple vérité, fi elle eft affez belle & affez riche pour les Arts, finon choififfez fes plus beaux traits: voilà l'abrégé des regles. Si dans le premier cas le goût & le génie ne font point appellés pour former le tableau, ils le feront pour en juger, & ils le jugeront par le prin cipe de l'imitation. Quelle autre regle pourroientils prendre, puifqu'en tout genre, juger c'eft comparer? On peut oppofer à M. S. un favant de fa nation qui femble avoir lu fes Remarques. M. Ramler, célebre Profeffeur à Berlin, parle ainfi dans la préface de la Traduction qu'il a faite auffi du même Ouvrage. » Pour les principes de cet Ou"vrage & les critiques qu'on en a faites, je n'en parle point. J'aurois pu en faire moi-même avec quelque vraisemblance, Mais comparant l'Auteur avec lui-même & rapprochant fes idées les

"

aux loix du goût, on le verra dans la feconde Partie. Enfin elles conviennent à tous les efpeces d'ouvrages qui font véritablement ouvrages de l'Art. On le verra dans la troifieme.

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En quoi l'Eloquence & l'Architecture different des autres Arts.

I

L faut fe rappeller un moment, la

divifion des Arts que nous avons propofée ci-deffus. Les uns furent inventés pour le feul befoin, d'autres pour le plaifir; quelques-uns dûrent leur nailfance d'abord à la néceffité; mais ayant fu depuis fe revêtir d'agrémens, ils fe placerent à côté de ceux qu'on appelle beaux Arts par honneur. C'eft ainfi que l'Architecture ayant changé en demeures riantes & commodes, les antres que le befoin avoit creusés pour fervir de retraite aux hommes, mérita parmi les Arts une diftinction qu'elle n'avoit pas auparavant.

unes des autres, je me fuis apperçu qu'il n'avoit » befoin que d'être lu avec l'application, que » chaque Écrivain a droit d'attendre de fon leca 21 teura

Il arriva la même chofe à l'Eloquence. Le befoin qu'avoient les hommes de fe communiquer leurs pensées & leurs fentimens, les fit orateurs & Hiftoriens, des qu'ils furent faire ufage de la parole. L'Expérience, le tems, le goût ajouterent à leurs difcours, de nouveaux degrés de perfection. Il fe forma un Art qu'on appella Eloquence, & qui, même pour l'agrément, fe mit prefque au niveau de la Poéfie. Sa proximité, & fa reffemblance avec celle-ci, lui donnerent la facilité d'en emprunter les ornemens qui pouvoient lui convenir, & de fe les ajufter. De-là vinrent les périodes arrondies, les antithefes concertées, les portraits frappés, les allégories foutenues: de-là, le choix des mots, l'arrangement des phrafes, la progreffion fymétrique de l'harmonie. Ce fut l'Art qui fervit de modele à la Nature; ce qui arrive fouvent: (a) mais à une condition, qui doit être regardée comme la base effentielle & la regle fondamentale de tous les Arts: C'eft que, dans les Arts qui font pour l'ufage, l'agrément

(4) Voyez le chap. 9. de la 2. part,

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