SECONDE PARTIE.

OU ON ÉTABLIT LE PRINCIPE DE L'IMITATION, PAR LA NATURE ET PAR LES LOIX DU GOUT.

I tout eft lié dans la Nature, parce

que tout y eft dans l'ordre: tout doit l'être de même dans les Arts, parce qu'ils font imitateurs de la Nature. Il doit y avoir un point de réunion, où fe rappellent les parties les plus éloignées de forte qu'une feule partie, une fois bien connue, doit nous faire au moins entrevoir les autres.

Le Génie & le Goût ont le même objet dans les Arts. L'un le crée, l'autre en juge. Ainfi, s'il eft vrai que le Génie produit les ouvrages de l'Art par l'imitation de la belle Nature, comme on vient de le prouver; le Goût qui juge des productions du Génie ne doit être fatisfait que quand la belle Nature eft bien imitée. On fent la jufteffe & la vérité de cette conféquence: mais il s'agit de la développer

& de la mettre dans un plus grand jour. C'est ce qu'on fe propofe dans cette Partie, où on verra ce que c'est que le Goût: quelles loix il peut prefcrire aux Arts, & que ces loix fe bornent toutes à l'imitation, telle que nous venons de la caractérifer dans la premiere Partie.

I

CHAPITRE

I.

Ce que c'est que le Goût.

Left un bon Goût. Cette propofition n'eft point un problême : & ceux qui en doutent, ne font point capables d'atteindre aux preuves qu'ils demandent.

Mais quel eft-il, ce bon Goût ? Eft-il poffible qu'ayant une infinité de regles dans les Arts, & d'exemples dans les ouvrages des Anciens & des Modernes, nous ne puiffions nous en former une idée claire & précife? Ne feroit-ce point la multiplicité de ces exemples mêmes, ou le trop grand nombre de ces regles qui offufqueroit notre efprit, & qui, en lui montrant des variations infinies, à cause de la différence des fujets traités, l'empêcheroit de fe fixer à quelque chofe de certain, dont on pût tirer une jufte définition.

Il est un bon Goût, qui eft feul bon. En quoi confifte-t-il? De quoi dépend-t-il? Eft-ce de l'objet, ou du génie qui s'exerce fur cet objet? A-t-il

des regles, n'en a-t-il point? Eft-ce l'efprit feul qui eft fon organe, ou le cœur feul, ou tous deux enfemble? Que de queftions fous ce titre fi connu, tant de fois traité, & jamais affez clairement expliqué.

On diroit que les Anciens n'ont fait aucun effort pour le trouver; & que les Modernes au contraire ne le faififfent

que par hafard. Ils ont peine à fuivre la route, qui paroît trop étroite pour eux. Rarement ils s'échappent fans payer quelque tribut à l'une des deux extrêmités. Il y a de l'affection dans celui qui écrit avec foin; & de la négligence, dans celui qui veut écrire avec facilité. Au lieu que dans les Anciens qui nous reftent, il femble que c'est un heureux Génie qui les mene comme par la main : ils marchent fans crainte & fans inquiétude, comme s'ils ne pouvoient aller autrement. Quelle en eft la raifon? Ne feroit-ce pas que les Anciens n'avoient d'autres modeles que la Nature elle-même, & d'autre guide que le Goût : & que les Modernes fe propofant pour mo deles les ouvrages des premiers imitateurs, & craignant de bleffer les

regles que l'Art a établies, leurs copies ont dégénéré & retenu un certain air de contrainte, qui trahit l'Art, & met tout l'avantage du côté de la Nature.

C'est donc au Goût feul qu'il appartient de faire des chefs-d'oeuvres, & de donner aux ouvrages de l'Art cet air de liberté & d'aifance qui en fait toujours le plus grand mérite.

Nous avons affez parlé de la Nature & des exemples qu'elle fournit au Génie. Il nous refte à examiner le Goût & fes loix. Tâchons d'abord de le connoître lui-même, cherchons fon principe: enfuite nous confidérerons les regles qu'il prescrit aux beaux Arts.

Le Goût eft dans les Arts ce que l'Intelligence eft dans les Sciences. Leurs objets font différens à la vérité; mais leurs fonctions ont entre-elles une fi grande analogie, que l'une peut fervir à expliquer l'autre.

Le vrai eft l'objet des Sciences. Celui des Arts eft le bon & le beau : deux termes qui rentrent prefque dans la même fignification, quand on les examine de près.

L'Intelligence confidere ce que les objets font en eux-mêmes, felon leur