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Le plaifir rebute nos fens, fi la variété ne l'affaifonne. La monotonie d'une voix ou d'un inftrument devient infipide à l'oreille ; la diverfité des mets fait l'agrément d'un repas. On aime à voir, d'un coup d'œil, plufieurs objets: il manque quelque chofe à la fatisfaction de la vûë, quand elle eft obligée de s'arrêter long-tems fur le même. Je me fuis conformé au goût de notre fiécle & de notre nation. L'efprit & le cœur françois, femblables à l'abeille & au papillon, aiment à voltiger. Ce livre eft un parterre compofé de différentes fleurs, dont le mêlange fans art leur plaira peut-être plus qu'un arrangement fcrupuleux & méthodique.

Un auteur, pour réüffir, doit joindre l'utile à l'agréable, & avoir les qualités du diamant, le brillant & le folide.

On ne doit pas difputer des goûts, c'eft une vérité; on peut difputer du goût; c'en eft une autre,

La bonté d'un livre en multiplie les éditions. Je me défie de ceux dont le prix excéde la valeur intrinféque. Ce ne

font point les bons, mais les rares & les défendus qu'on achete le plus cherement pure manie d'un curieux, qui cherche plus à orner fa bibliothéque, qu'à cultiver fon efprit.

Défiez-vous de la fauffe modeftie d'un auteur qui vous confulte fur fon ouvrage : ce n'eft point votre cenfure, mais votre approbation qu'il demande. Si vous le critiquez, il fe révolte. Ne trahissez point la vérité, ni vos fentimens; il vaut mieux lui déplaire, que mentir.

Sur des vers qu'il a faits, Cléon mauvais auteur,
Demande votre avis: pour tous les deux je tremble
Il eft présomptueux, vous n'êtes point flateur;

Vous allez vous broüiller ensemble.

Les Poëtes fe plaisent à travailler fur des fujets de goût qu'ils ont choifi, & répugnent aux ouvrages de commande: il y a des gens qui, fur le champ, veulent qu'on en éxécute un de poëfie dont ils prescrivent la matiére & qui s'imaginent, qu'avec une plume, de l'encre

& du papier, on fait une pièce de vers, comme avec du drap, du fil & une aiguille, on fait un habit.

:

La loüange & le blâme demandent du difcernement & de la circonfpection. Telle action nous femble loüable, dont l'intention que nous ne connoiffons pas, eft digne de blâme telle autre nous paroît blâmable, dont les motifs que nous ne pénétrons point, méritent des loüanges. Louer avec trop de facilité, marque un efprit flateur, borné, peu fincére: blâmer trop aifément, montre une ame fatirique, maligne, envieuse. Il ne faut ni loüer fans précaution, ni blâmer fans prudence.

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EPITRE APOLOGETIQUE

F...

A Monfieur Frozen
Frésen

j'ai lû les vers, qu'en fa noire manie,

A dicté contre toi la feule Calomnie;

Et je n'ai pû fouffrir fans en être indigné,
Sous des traits impofteurs que l'on t'eût défigné
La vérité qui brille au travers des nuages,
Triomphe du menfonge & brave fes outrages.
Quand une langue abfurde & peu digne de foi
Ofe, pour te noircir, déclamer contre toi,
Le public te défend, fa voix te juftifie,
Et tu n'as pas befoin d'une autre apologie.
Laiffe, fans t'émouvoir, un rimeur fans raifon
Sur toi vomir fon fiel & jetter fon poison.
Tel qu'un ferme rocher, ou qu'un chêne immobile
Soûtient des aquilons la fureur inutile ;

Tel tu dois regarder avec un fier mépris
L'attentat fans fuccès fur ta gloire entrepris.

Son frénétique auteur, F.., quel qu'il puiffe être,

Ou

ne te connoît pas, ou veut te méconnoître. Moi qui t'ai pratiqué dès mes plus jeunes ans, En toi j'ai toujours vû l'efprit joint au bon feas

Du goût pour les beaux arts, un cœur droit & fincére Et de la probité le facré caractére.

Qu'on ne foupçonne point, qu'en poëte fiateur

Je t'offte dans ces vers un encens féducteur.
Jamais d'un air rampant ma plume intéreffée,
Pour faire aux Grands fa cour, ne trahit ma pensée :
Je fuis connu pour tel. Un fyftême fâcheux

M'a dépouillé d'un bien acquis par mes ayeux;
Mais fans ambition, fans fafte, fans envie,
Philofophe content d'une tranquille vie,
Borné dans mes defirs, ce n'eft point à ce prix
Que je veux de mon fort réparer les débris.
Jamais en fuppliante aux pieds de la fortune
Ma muse ne forma de prière importune;

Et, pour te prouver mieux encor que je la fuis;
Je me cache, & te laiffe ignorer qui je fuis.
Un poëte guidé par l'attrait du falaire,

D'un art noble & divin, fait un art mercénaire à
Il ne faut point loüer ce qu'on n'approuve pas,
Et tout éloge faux doit être fans appas.

La Satire au regard redoutable & farouche,
Le poignard à la main, l'invective à la bouche,
Attaque, outrage, infulte avec emportement,
Et ce monftre effréné frappe indiftin&tement.
Qu'elle a facrifié d'innocentes victimes!

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