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dans tous fes ouvrages; qui a ouvert un paffage à une armée nombreuse au travers des flots de la mer ; qui d'une manne céleste à nourri fon peuple dans un defert ftérile & incultes qui a fait fortir d'un aride rocher une fource abondante, ne nous fournit-il pas des idées affez grandes & affez magnifiques. Les oracles des écritures facrées, & les organes de l'Esprit faint que l'onation, l'éloquence & le fublime caractérisent, ontils eu recours à des fictions qui défigurent la vérité, & qui décréditent ceux qui les employent? Le vrai, feule fource du bon & du beau, a profcrit ces menfonges & ces impoftures ; & nous laiffe de quoi y fuppléer, en donnant à l'art, des graces folides, naturelles, & convenables. Si je décris une tempête, ne puis-je pas faire monter un vaisseau jufqu'au féjour des aftres, & le faire defcendre jufqu'au fonds des vafies abîmes de l'océan ? Le foulevement de la mer agitée n'inspirera-t-il pas la terreur? Les mats rompus, les voiles déchirées, les torrens impétueux qui tombent dy

ciel ; les cris des matelots confternés & lutans contre l'orage; le fifflement des aquilons en courroux; le choc bruiant des vagues mugiffantes qui fe heurtent & fe brifent en humides éclats contre des rochers couverts d'écume ; des tourbillons de feu qui embrafent les airs obfcurcis ; la foudre qui fend avec fureur les nuës épaiffes & enflammées ; des gouffres prêts à tout engloutir, qui femblent s'ouvrir jufqu'au centre de la terre à l'aspect d'un naufrage évident & prochain, tant d'horreurs rassemblées ne préfentent-elles pas à l'efprit une image vive & effrayante qui produit fon effet & faifit le lecteur?

Si je veux célébrer une fête paftorale; fur de verds gazons qu'hume&tent & rafraîchiffent la rofée & les fontaines, je ferai danser d'un pied agile au fon des chalumeaux, des bergeres couronnées de fleurs cüeillies avec choix & arrangées avec art. Des bergers leftement vêtus y accourront des hameaux d'alentour, & accorderont leurs tendres hautbois & leurs douces mufettes aux ramnag

ges harmonieux des aîlés habitans des bois. La fincérité, la candeur, la paix, la liberté, affaifonneront leurs plaisirs innocens. Leur parure fera galante quoique modefte. On leur fervira un repas fimple & frugal, mais élégamment afforti: des fruits nouveaux & délicieux y brilleront dans des corbeilles tiffuës d'un jonc fin & d'un ofier fouple, par une main adroite. Dans des coupes de cristal artistement gravées, on boira d'une liqueur vermeille qui flatera le goût fans nuire à la fanté ni à la raison. Les jeunes gens s'exerceront à différens jeux ; les uns disputeront le prix de la courfe, les autres celui de la lutte, que de fages vieillards adjugeront à ceux qui les auront mérités : les bergeres animeront par leur préfence les concurrens, & par leurs cris de joye applaudiront aux vainqueurs.

Tracerai-je par écrit le défaftre affreux d'un fiége ou d'une bataille; j'expoferai fur un théatre rempli de fanglantes victimes, le fpectacle épouvantable des horreurs qu'enfante la guerre. Mille

bouches d'airain vomiront de tout côté le falpêtre & la mort ; & foudroyeront des murs prefque inacceffibles, attaqués & défendus avec vigueur. La ville en proye à la flâme & au pillage, fera le vafte bûcher de fes propres citoyens ; & enfevelira fous fes brûlans débris une partie de fes habitans. Les temples ne feront point un fûr afile pour leurs facrés miniftres. Le fexe & l'âge ne garantiront ni les femmes, ni les vieillards, ni les enfans des actes d'hoftilité de cette expédition militaire: on les verra courir aux armes pour défendre leurs foyers & leur patrie. La bataille fera longue, cruelle, opiniâtre: le fang coulera par tout à grands flots; & abreuvera les fillons altérés: des montagnes de morts & de mourans ferviront de barrieres & de remparts aux deux partis qui ne refpireront que le meurtre. La férocité paroîtra dans les yeux du foldat animé : la poussiere, la fumée, le henniffement des chevaux, le fon des tambours & des trompettes, les clameurs, le carnage, redoubleront

l'ardeur furieuse & l'yvreffe brutale des combattans. Le fer, le feu, le tumulte, le défordre, la barbarie regneront fur le champ de bataille disputé courageufement de part & d'autre.

Ces récits n'offrent-ils point des peintures affez vives & affez riches de leur propre fond; ne peut-on fe paffer du fecours de la fable, que la foi nous interdit, fans affoiblir les beautés de l'art, qui a toûjours affez de quoi plaire par lui-même, quand il est bien traité?

J'exhorte donc avec vous, Monfieur, tous ceux qui ont & qui exercent le talent d'écrire, à faire gloire de la religion qu'ils profeffent, à ne la point déshonorer dans leurs ouvrages par des traits empruntés de la fable; & à n'employer qu'avec ménagement & difcrétion, ou plû-tôt à rejetter avec un foin fcrupuleux ces ornemens frivoles. Il n'y a ni excufe, ni prétexte qui puiffe les autorifer. Je me rétracte fur leur apologie que je foumets à votre critique. Les réfléxions que les vôtres m'ont fuggérées, me confirment dans votre

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