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LETTRE CONTRE LE LUXE, en forme de differtation.

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A M......

OUS prétendez, Monfieur, qu'on peut & qu'on doit même fouffrir le luxe, parce qu'il fait voir les richeffes & l'abondance d'un païs où il brille; parce qu'il fournit à un grand nombre d'ouvriers & de marchands les moïens de fubfifter; parce qu'il faut les perfonnes opulentes fe fervent de leurs biens: Il n'eft pas difficile de combattre & de détruire les préjugés dont vous appuiez des fentimens que la raifon defapprouve, & que la reli gion condamne.

que

Le luxe eft contraire aux loix du chriftianifme, & à celles de la bonne politique. En ignorez-vous les fuites pernicieuses? Il a été profcrit dans les Etats fagement gouvernés. Les Grecs, les Romains fe font oppofès à fes

pro

grès: Les Vénitiens & les Hollandois l'ont banni de leur république. Les édits & les ordonnances de plufieurs de nos rois, & de ceux de nos voisins ont réformé fes abus.

Leluxe corrompt les mœurs, amollit le courage, énerve l'efprit, affoiblit le corps, altére la fanté : pere du vice qu'il entretient à grands frais, en peu de tems il abforbe des biens amaffés par de longs travaux, dévore les plus riches patrimoines, ruine les familles les mieux établies, renverfe les états les plus floriffans: Il excite aux injuftices, aux concuffions, aux ufures, aux larcins & aux brigandages pour fubvenir aux dépenses exceffives qu'il caufe. Les cœurs afiatiques qu'il effémina prouvent combien il eft à craindre. Après la bataille de Cannes, les délices de Capouë firent manquer au fameux Annibal la conquête de l'Italie. Les héros & les philofophes l'ont regedé comme l'écueil de la gloire & de la fageffe. Les nations belliqueuses ont trouvé dans le mépris & dans la

privation du fuperflu, & dans une vie fobre, fimple, modefte, active, infatigable, la fureté de leurs exploits, de leur patrie & de leur réputation.

Le luxe confond le fupérieur avec le fubalterne, le noble avec le roturier : Il empêche qu'on ne diftingue les rangs, les dignités & les conditions. La raifon, la bienféance & l'équité demandent pour rétablir l'ordre, qu'on mette un frein à la vanité faftueufe qui se méconnoît. En lui prefcrivant des bornes, & furtout en fupprimant ce nombre inutile de valets fainéans & defœuvrés, le prince aura plus de foldats, l'agriculture plus de laboureurs, la navigation plus de matelots; les marchands ne feront que des commerces loüables, & les artifans ne s'exerceront qu'à des profeffions néceffaires. Tout rentrera dans l'ordre & dans la fubordination: Rien ne déranger l'oeconomie de la fociété. Le grand seigneur & le magiftrat ne feront plus confondus avec le riche bourgeois & fimple particulier. Les tables, les

habits, les meubles, les équipages fo ront affortis convenablement, & proportionnés aux différentes conditions.

Que la magnificence foit permise à certaines perfonnes, & en quelques occafions; que les Grands foutiennent l'éclat de leur rang; mais que des hommes nés dans l'obfcurité, & enrichis des dépouilles d'autrui, ne fe mettent point infolemment par leur fomptueufe dépenfe, au niveau de ceux qui font au-deffus d'eux par leurs dignités ou par leur naiffance: que l'on réprime leur préfomption effrenée. Que de nos jours la loi Oppia fe renouvelle ; & qu'elle trouve dans Paris la même vigueur qu'elle eut autrefois à Rome. Que les tréfors iniques de ces Pigmées audacieux qui ofent fe comparer aux coloffes, fervent à fecourir le Prince & l'Etat dans leurs befoins, ou foient employés à l'ornement des Autels, & à la décoration des Temples. N'eft-ce pas un fpectacle digne de nos larmes, & d'une jufte indignation, de voir des hommes, & des hommes chrétiens,

prodiguer fans difcrétion des biens dont ils ne font que les dépofitaires, & les œconomes, & fe livrer à tout ce que les paffions leur fuggerent, tandis qu'un nombre infini de gens, avec plus de mérite & de vertu, gémiffent fous le poids accablant de l'indigence, & font en danger de fuccomber au défefpoir: tandis que dans le voisinage d'un châ teau magnifique, qu'habite fouvent un homme vicieux & même fcélérat, on voit la maifon du Seigneur dans un état qui pourroit faire douter que ce fût le lieu où réfide & eft adoré le Créateur de l'univers, & le Dieu de gloire & de majesté ? Eft-ce là l'ufage qu'il veut que l'on faffe de fes dons? Ne les recevonsnous de fa main libérale & bienfaisante, que pour nous en fervir contre luimême ? Les payens & les infidelles en ufent-ils ainfi envers leurs divinités impuissantes & leurs idoles ridicules? Que diroient, que penferoient un Chinois, ou un Mahométan, en voyant nos temples fi négligés, & quelle idée auroientils du Dieu des chrétiens, à en juger

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