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être lui-même c. Quelques-uns de fes- On vrages ne femblent être faits, que pour n'ê tre point entendus. Mais j'efpére, que céte prévention contre Gracian n'empêchera pas, que l'on ne nous faffe juftice à tous deux, quand on lira ma traduction, qui fans doute montrera, que Gracian eft intelligible, & que, tout dificile qu'il est à traduire en nôtre Langue, qui n'eft pas fi riche en mots, ni fi amie de la métafore & de l'hiperbole, que la Langue Efpagnole, il n'a pas laiffé d'être traduit avec fuccés. Et tant s'en faut, que fon laconifme perpétuel lui puiffe être reproché comme un défaut au contraire, il en doit être plus eftimé, atendu qu'il s'eft fait une loi de ne rien dire de fuperflu, &.de ne parler qu'aux bons efprits, à qui il faut dire plus de chofes, que de paroles. Son langage, il eft vrai, eft une espece de chifre d, mais le bon entendeur le peut déchifrer, fans avoir befoin d'aler aux devins. Dire beaucoup en peu de mots, & le dire bon, ( dit l'Aproba teur Espagnol de ces Maximes) a bien autant de grace dans la compofition, que de -force dans le parler ordinaire. Gracian & Don Juan de Laftanofa, fon Compilateur,

c Si Gracian eft incompré henfible, & ne s'entend pas lui-même, comment le Cen

feur lui trouve t-il du bor fens?

d Ibidem.

'étant comme tenus par la main, eu égard à la délicateffe des pensées, & à la maniére d'écrire concife & ferrée, ils ont tous deux fi bien affaifonné leurs écrits au goût des Lecteurs que l'entendement y trouve de quoi favourer, en aprenant l'art de s'exprimer fi finement › que, bien qu'il femble, qu'on ait laißé beaucoup de chofes à dire, tout ce qu'il faut dire eft dit.

Mais pour répondre plus précisément au ́ Cenfeur, je n'ai qu'à métre ici ce que Don Juan de Laftanofa même répond dans sa Préface fur le Traité de Gracian, intitulé le Difcret. J'ai oui, dit-il, deux fortes de Lecteurs fe plaindre des Ouvrages de cet Auteur. Les uns fe plaignent fur la matiére. & les autres fur le ftile; ceux-là, parce qu' ils eftiment infiniment fes livres; & ceux-ci, parce qu'ils voudroient, qu'ils fuffent un peu plus à leur usage. Les premiers, & entr'eux le Fénix de nôtre fiécle, la favante Comteffe d'Aranda e, dont le nom refte écrit de fix plumes immortelles, fe formalifent de ce que des matiéres fi hautes, & qui ne font propres que pour des héros, deviennent communes par l'Impreffion; de forte que le moindre bourgeois peut avoir pour un écu des chofes, qui, à-caufe de leur excellence, me fauroient être bien en de telles mains, e Doña Luisa Maria de Pa- I dilla Manrique y Acufø.

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Les feconds nous objectent, que ce ftile fi concis & fi preßé ne va qu'à la ruine de la langue Caftillane, dautant qu'il lui ôte sa clarté, & par conféquent, sa pureté. Je veux répondre tout à la fois aux deux Par ties, & paier les uns par les autres : c'està-dire, que la premiére objection fervira de folution à la feconde, & la feconde à là premiére. Je dis donc, que comme Gracian n'a pas écrit pour tout le monde, il a dû ufer d'un stile coupé & énigmatique, pour concilier plus de vénération à la fublimitě de la matiére, la maniére mistérieuse de dire les chofes, les rendant plus auguftes. Réponse, qui donne à entendre, que Gracian a afecté d'être obfcur, pour ne fe pas po pularifer, ou plûtôt pour faire plaifir aux Grans, comme Ariftote, qui écrivit obfcurément, pour contenter Aléxandre fon difciple, qui ne pouvoit foufrir, que perfonne en fût autant que lui. Ainfi, quoique les OEuvres de Gracian foient imprimées, elles n'en font pas plus communes, car en les achetant l'on n'achéte pas le moïen de les entendre. Tout le monde voit le festin, qu'il donne, mais tres peu de gens en font; peutêtre auffi a-t-il voulu métre tout le monde en apêtit. Car, à fon dire, n'écrire que pour les habiles-gens, c'est un hameçon général parce que chacun le croit être,

en, ne l'étant pas, fe fent piqué du defir de le devenir f. Quoi qu'il en foit, on peut tres-raifonablement apliquer à cet Abregé des OEuvres de Gracian ce qu'il dit des Epitomes de Patercule & de Florus, que ce n'est pas un corps, mais un pur efprit ; & de Corneille Tacite, qu'il n'a pas écrit avec de l'encre, mais avec la fueur précieufe de fon vigoureux efprit g. Il y a prefque autant de préceptes & de miftéres, que de lignes; & c'eft affurément pour cela, que le Čompilateur l'a intitulé Oracle Manuel : Titre que j'ai changé en celui d'Homme-de-Cour, qui, outre qu'il eft moins faftueux & moins hiperbolique, explique mieux la qualité du Livre, qui eft une efpéce de Rudiment de Cour, & de Code Politique, Il fe trouve force Livres, dit Gracian, qui font comme des almanacs d'érudition, ou pour mieux diré, des rapsodies de fentences, d'apofteg mes, & de bons mots; mais la lecture en devient bientôt fale & ennuieuse, an-lien que celle qui donne les matiéres affaifon nées, arangées, & apliquées aux afaires préfentes, tient toujours en humeur de continuer. Ainfi, Lecteur, vous ne pouvez pas manquer d'être fort content de cet Abregé, dont tous les enfeignemens, quoique, pour la pluspart, empruntez d'Homére, d'AristoIg Agudeza, Difc, 60,

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f Maxime 150.

te, de Senéque, de Tacite, de Plutarqué; d'Efope, de Lucien, & d'Apulée h, font fi bien liez enfemble, & outre cela, fi bien apropriez à l'ufage & aux mœurs de nôtre fiécle, que vous n'y trouverez peutêtre que cet agréable défaut, qu'un grand perfonage trouvoit à un excellent Ouvrage favoir, de n'être pas affez court, pour pou voir être apris par cœur; ni affez long, pour fournir toujours de quoi lire i. Vous aurez ici, dit Don Laftanofa, une Raifon d'Etat de vous-même, & une bouffole, avec laquelle il vous fera aifé de furgir au port de l'Excellence k.

Au refte, bien que le titre d'Homme-deCour, pris au pié de la létre, femble exclure tous ceux, qui ne le font pas, fi eft-ce que pris en fon vrai fens, il n'exclut que ceux, à qui le Poëte-de-Cour défend de lire fes Odes, c'est à dire, les ignorans, les mécaniques, & les efprits mal-faits 1.

Odi profanum vulgus, & arceo.

Mais comme toutes les perfonnes, qui ont vu les OEuvres de Gracian, ne man、 queront pas de demander, pourquoi je lui donne, dans mon titre, le nom de Balta

b Préfaces de la 1. Partie de fon Criticon & de fon Hé

res.

i Préf. de la 3. Partie de Lon Criticon.

k Préface du Héros, dont tous les chapitres font inferez dans ce Livre.

/ Hor, Carm.lib. 3. ode 1.

Sar

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