Imágenes de páginas
PDF
EPUB

MAXIME XIII.

Procéder quelquefois finement, quelquefois

rondement.

A Vie Humaine eft un combat contre la me adroit y emploie pour armes les ftratagêmes de l'intention, Il ne fait jamais ce qu'il montre avoir envie de faire; il mire un but, mais c'eft pour tromper les yeux, qui le regardent. Il jete une parole en Fair, & puis il fait une chofe, à quoi perfonne ne penfoit. S'il dit un mot, c'eft pour amufer Patention de fes rivaux ; & dés qu'elle eft occupée à ce qu'ils penfent, il éxécute auffi-tôt ce qu'ils ne penfoient pas. Celui donc, qui veut fe garder d'être trompé, prévient la rufe de fon compagnon par de bonnes réfléxions. Il entend toûjours le contraire de ce qu'on veut qu'il entende, &, par-là, il découvre incontinent la feinte, Il laiffe paffer le premier coup, pour atendre de pié-ferme le fecond, ou le troifiéme, Et puis, quand fon artifice eft connu, il rafine fa diffimulation, en fe fervant de la vérité même pour tromper 1, Il change

Don Juan de Vega, Ambaffadeur d'Efpagne en... difant à Don Diego de Men- I

doc,qui lui fuccedoiten céte Amballade: Monfieur, vous ne trouverez guere de verité

de jeu & de baterie, pour changer de rufe. Son artifice eft de n'en avoir plus, & toute fa fineffe eft de paffer de la diffimulation précédente à la candeur. Celui, qui l'obferve, & qui a de la pénétration, connoisfant l'adreffe de fon rival, fe tient fur fes gardes, & découvre les ténébres, revêtuës de la lumière. Il déchifre un procédé d'autant plus caché, que tout y eft fincére *. Et c'eft ainfi que la fineffe de Piton combat contre la candeur d'Apollon.

parmi les Miniftres & les
Grans de céte Cour, Don Die-
go répondit, qu'ils avoient
donc rencontré en lui l'hom-
me qu'il leur faloit: car, di-
foit il, pour un menfonge
qu'
u'ils me diront, je leur en
dirai cent. Pour moi, repli-

qua Don Juan, j'ai pris une autreroute: car j'ai répondu à tous leurs menfonges par autant de véritez; & cela m'a souvent réüffi d'autant mieux, qu'ils ne me croyoient pas, perfuadez qu'ils étoient que je mentois comme eux.

* , d'autant plus indevinable, qu'il n'y a rien à de viner.

MAXIME XIV.

La Chofe & la Maniére.

E n'eft

[ocr errors]

pas

affez que la substance, il y faut auffi la circonftance. Une mauvaise maniére gâte tout, elle défigure même la juftice & la raifon 1. Au contraire, une belle maniére fuplée à tout, elle dore

1 Ce fentiment revient à les meilleures actions ont des celui de Tacite, qui dit, que fuites pernicieufes, felles ac

le refus, elle adoucit ce qu'il y a d'aigre dans la vérité; elle ôte les rides à la vieilleffe. Le COMMENT fait beaucoup en toutes chofes. Une maniére dégagée enchante les efprits, & fait tout l'ornement de la vie.

font faites avec jugement,& fequuntur. Hift. 1.
avec difcrétion. Sepe honef•
tas rerum caufas, ni judicium.

adhibeas,perniciofi exitus con

Céte Maxime eft tirée du Chapitre de fon Difcret, del modo y agrado. Et comme ce Chapitre eft tre:infructif, je crois que chacun fera bien-aife d'en voir ici l'extrait,

Par ce grand précepte, dit-il, Cléobule a mérité d'être le premier des Sages; auffi eft-ce le premier des préceptes. Mais s'il a fufi de l'enfeigner, pour avoir le nom de Sage, & encore de premier Sage; que reftera-t-il pour celui qui l'obfervera? Car de favoir les chofes, & de ne les pas faire, ce n'eft pas être Filofofe, mais Grammé

rien.

En toutes chofes, la circonftance est aussi néceffaire, que la fubftance, & même davantage, La premiére chofe que nous rencontrons, ce n'eft pas l'effence, c'eft l'aparence. C'est par l'extérieur, que l'on vient à connoître l'intérieur, Par l'écorce de la maniére, nous difcernons le fruit de la fubftance: jufque-là même, que des perfonnes

que nous ne connoiffons pas, nous en ju geons par le port.

La maniére eft la partie du mérite, qui frape davantage les yeux de l'atention.Com me on la peut aquérir, l'on eft inexcufable quand on ne l'a pas.

La vérité a de la force; la raifon, de l'autorité; & la juftice, du pouvoir: mais elles font fans luftre, fi la belle maniére y manque; au-lieu qu'avec elle tout en vaut davantage. Elle fuplée à tout, & même au défaut de la raifon; elle dore les méprises; elle farde les laideurs ; elle cache les imperfections; enfin elle déguise tout.

Ce n'est pas allez que le grand zéle dans un Miniftre; que la valeur dans un Capitaine; que la fcience dans un Homme-delétres; que la puiffance dans un Prince; si tout cela n'eft acompagné de céte importante formalité. Mais il n'y a point d'emploi, où elle foit plus néceffaire que dans le fouverain commandement. Dans les fupérieurs, c'est un grand moïen d'engager, que d'être plus humains que defpotiques. Voir qu'un Prince fait céder la fupériorité à l'humanité, c'est une double obligation de l'aimer 1. Il

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

faut régner premiérement fur les volontez, & puis fur le refte. Concilie - toi la bienveillance, & même l'aplaudiffement univerfel, finon par inclination, du moins par art; car ceux qui admirent, ne regarfi ta maniere eft naturelle, ou em

dent pas pruntée.

[ocr errors]

Il y a des chofes qui valens peu pour ce qu'elles font, & néanmoins s'eftiment àcaufe de la maniére. Par fon aide le paflé redevient nouveau, & revient en mode. Si les circonstances font à l'ufage commun, elles pallient tout le defagréable du vieuxtems. Le goût avance toujours, & ne recule jamais; il ne touche point à ce qui eft paffe, ne trouvant rien de bon, que ce qui eft nouveau. Mais cependant il peut être trompé par un petit changement. Les circonftances font rajeunir les chofes, elles leur ôtent l'odeur du moifi, & le fade du TROP-SOUVENT, qui eft toûjours infuportable, & particuliérement dans les imitations, qui ne fauroient jamais monter, ni à la fublimité, ni à la nouveauté de pre

mier.

Cela fe voit encore davantage dans les fonctions de l'efprit. Car bien que les chofes foient tres-connuës, elles ne laiffent pas de métre encore en apêtit, fi POrateur & l'Hiftorien trouvent une

B

« AnteriorContinuar »