Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Cet empire, dit-il dans le chap. de font Difcret, Del fennorio en el defir, &c. est ébauché par la Nature, & achevé par l'Art. Tous ceux qui ont cét avantage, trouvent les chofes toutes faites. Leur afcendant leur facilite tout, rien ne les embaraffe, & ils fortent de tout avec éclat; leurs dits & leurs faits paroiffent au double. La médiocrité même a fouvent paffé pour une excellence, pour avoir été fecondée de cet empire. Ceux qui n'ont pas céte fupériorité, entrent avec défiance dans les ocafrons; ce qui leur ôte beaucoup d'agrément, & fur-tout, fi l'on s'en aperçoit. De la défiance naît inconti nent la crainte, qui bannit honteusement l'affurance; & par conféquent, l'action & la raifon perdent tout leur luftre. Céte crainte s'empare fi abfolument de l'efprit, qu'elle le prive de toute fa liberté ; fi bien que le raifonnement ceffe, le parler fe géle & l'activité refte interdite.

L'afcendant de celui qui parle, lui atire d'abord le refpect de celui qui l'écoute. Il fe fait préter atention par le plus critique, & emporte de haute lute le confente ment de toute une compagnie. Il fournit des expreffions, & même des fentences à la perfonne qui parle; au lieu que la crainte engloutit les paroles. La timidité fufit, pour tarir le raifonnement; & quoique ce

Soit un torrent d'éloquence, le grand froid de la crainte l'arrête tout court 1.

Celui qui entre avec empire dans la converfation, s'y faifit par avance du refpect: mais celuy qui y vient avec crainte, s'acufe lui-même de fe fentir foible, & fe confelle vaincu. Et céte défiance de fon efprit fait qu'il eft méprifé, ou du moins peu eftimé des autres. À la vérité, l'homme fage doit fe contenir, & particuliérement lorsqu'il ne connoît pas les gens. Il fonde premiérement le gué, mais fur-tour s'il preffent qu'il eft profond.

[ocr errors]

Bien qu'il foit, & de la bienséance, & du devoir, de réformer céte hardieffe impérieufe, lorfqu'on parle aux Princes, & aux Grans; fi eft-ce qu'il faut fe garder de tomber dans l'extrémité de fe démonter. C'estlà, qu'il importe de tenir un milieu entre la hardieffe & l'air interdit, pour n'être ni défagréable, ni ridicule 2. Que ta crainte ne foit pas fi grande, que tu en perdes l'affu

1 Un célér Prédicateur, qu'il y avoit cinq ans q i précho devant Filipe II. Roi d'Espagne, perdit la parole, dés qu'il fut entré en chaire,

coursbien étudié;de forte que pour le tirer d'embaras, Filipe fuidit: si vous avez un écrit, jeleverrai,& je feraiexpedier vôtre afaire. Dichos y hechos de

2.

à caufe que le Roi fe mit à le | Don Filipe un des plus

regarder fixement. Ua Nonce uar Rufo, du Pape fe déconcerta pareil- beaux efprits de l'Espagne,& lement à une audience; le que Gracian apellel'ingenieux Jefuite Poffevin demeura & le fubtil par excellence court au focod point d'un dif- eut la préfomption de croire 2 E

[ocr errors]

rance; ni ta hardieffe, que tu en perdes le refpect. Voyez la Max. 182.

:

*

Céte fupériorité brille en toutes fortes de gens, mais bien davantage dans les Grans. Pour un Orateur, c'eft plus qu'une circonftance; pour un Avocat, elle eft effentielle dans un Ambaffadeur, c'eft une qualité écla tante; dans un Capitaine c'en eft une victo rieufe mais dans un Prince, c'eft le comble de la perfection....Elle rehauffe le prix de toutes les actions humaines, elle s'étend jufqu'au vifage, qui eft le trône de la bienfeance, & même jufqu'au marcher; car les pas d'un homme font l'empreinte du caractére de fon cœur ; Et c'eft-là que les perfonnes judicieufes craïonnent ordinai rement le leur par une noble maniére d'agir & de parler : car la fublimité des actions double de prix, quand la majesté les acome pagne,

qu'il ne fe troubleroit pointen | la prefence de Filipe II. difant, que les Rois étoient des hommes comme les autres, & qu'il faloit manquer d'efprit & de jugement pour avoir peur de paroître devant un Roi,qui donnoit audience avec tant de modeftie & de douceur, & de la préfence de qui l'on ne favoit point que jamais perfonne fe fût, retiré mécontent. Mais quand ce fut à parler à ce Roi,il perdit

la tramontané comme les au?
tres; fi bien qu'au fortir de
l'audience, il avotia qu'il lu
étoit arivé comme à ceux que
regardent l'Orizon, à qui il
femble que le Ciel & la Terre
fe touchent, & même s'em-
braffent, & qui arivant à ce
même point, s'en trouvent
auffi éloignez qu'auparavant.
Jean Rufedans fon apoftegme
607. lequel eft raporté mot
a-mot dans le chap. 2. des
Dits & des faits de Filipe Lļa

Quelques-uns naiffent avec un pouvoir univerfel en tout ce qu'ils difent, & en tout ce qu'ils font. Vous diriez que la Nature les a faits les aînez de tout le Genre-humain. Ils font nez pour être les fupérieurs par-tout, finon en dignité, du moins en mérite, il fe répand en eux un efprit dominant, jufque dans leurs plus communes actions; tout leur obéit, parce qu'ils excellent en tout: ils fe rendent d'abord les maîtres des autres, en leur dérobant le cœur, car tout peut tenir dans leur vafte capacité. Et bien qu'il s'en trouve quelquefois d'autres qui ont plus de fcience de nobleffe, & même de vertu, ils ne laiffent

de l'emporter par un afcendant, qui leur donne la fupériorité: de forte que s'ils ne font pas en droit, ils font du moins en poffeffion.

MAXIME XLIII

Parler comme le Vulgaire, mais penfer comme les Sages.

[ocr errors]

'OULOIR aler contre le courant, c'est une chose, où il eft auffi impossible de réüffir, qu'il eft aifé de s'expofer au danger; il n'y a qu'un Socrate qui le pût entreprendre. La contradiction palle pour une fenfe, parce que c'eft condanner le juge

ment d'autrui.Les mécontens fe multiplient, tantôt à-caufe de la chofe que l'on cenfure, tantôt à-caufe des partifans qu'elle avoit. La vérité eft connue de tres-peu de gens, les fauffes opinions font reçûes de tout le refte du monde. Il ne faut pas juger d'un Sage par les chofes qu'il dit, atendu qu'alors il ne parle que par emprunt, c'est-à-dire, par la voix commune, quoique fon fentiment démente céte voix 1. Le Sage évite autant d'être contredit, que de contredire 2. Plus fon jugement le porte à la cenfure, & plus il fe garde de la publier, L'opinion eft libre elle ne peut ni ne doit être violentée. Le Sage fe retire dans le fanctuaire de fon fi lence: & s'il fe communique quelquefois, ce n'eft qu'à peu de gens, & toûjours à d'au tres Sages,

I L'homme judicieux, dit- | adversùs procuratores, & vina il dans fon Difcret, obferve inviolablement céte grande leçon, (d' riftote) de parler comm: tecoinmun, mais de penfer & de croire à rebours du ommun. chap. Hombre juizio

o y notante

› C'eft une loüange que Taci donne Agricola. Procul ab amulatione adversùs Collegas, precul à contentione

cere inglorium, &atteri ordidum arbitrabur, c'est-àdir, il vivoit en bonne intelligence avec fes colégues, fuïant d'entrer en contefta tion & en compétence avec eux; auffi peu d'humeur à prendre avantage fur eux, qu'à foufrir qu'ils en priffent fur lui,

« AnteriorContinuar »