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L'ART POËTIQUE,

CHANT PREMIER.

C'EST en vain qu'au Parnaffe un temeraire Auteur

Pense de l'Art des Vers atteindre la hauteur.

REMARQUES.

VERS 1. & 2. C'est en vain qu'au Parnaffe un téméraire Auteur Penfe de l'Art des Vers atteindre la hauteur.]On ne peut être Poëte fans génie. ZENOBIE Tragédie en Profe de l'Abbé d'Aubignac,

pour être conforme en tour aux qu'il avoit établies luimême dans fa Pratique du Théa. tre, n'en fut pas trouvée meilleure. Comme il fe vantoit d'avoir feul entre tous nos Auteurs exactement suivi les Règles d'ARISTOTE; Je fais bon gré à M. Abbé D'AUBIGNAC,dit le GRAND CONDE', d'avoir suivi les Règles d'ARISTOTE, mais je ne pardonne pas aux Règles d'ARISTOTE d'a

voir fait faire une fi mauvaise Tragédie à M. l'Abbé D'AUBIGNAC, On n'avoit pas fait plus de cas d'Alinde, que La Ménardière cite dans fa Poëtique, comme l'aïant aflervie à toute la rigueur des Règles. Quelqu'un voulant un jour, par cet exemple, prouver à M. Defpréaux, que les Règles font donc inutiles; il répondit, que La Ménardière avoit péché dans fa Tragédie contre la première & la plus effentielle de toutes les Règles, laquelle eft d'avoir le génie de la Poëfie. Il êtoit fi plein de cette maxime, qu'il en a fait la bafe de fon Art Poetique.

S'il ne fent point du Ciel l'influence fecrette,
Si fon Aftre en naiffant ne l'a formé Poëte,
5 Dans fon genie eftroit il eft toûjours captif.
Pour luy Phébus eft sourd, & Pégaze est retif.

O vous donc, qui brûlant d'une ardeur perilleuse, Courez du bel Esprit la carriere épineuse,

N'allez pas fur des Vers fans fruit vous consumer 10 Ni prendre pour genie un amour de rimer.

REMARQUES.

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Mais le Génie ne fait pas feul & perfectionne le Génie. Horace le Poëte, il faut que l'Art guide l'a dit dans fon Art Poët. V. 398. Natura fieret laudabile carmen an arte

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Quafitum eft. Egonec ftudium fine divite vend,
Nec rude quid profit video ingenium: alterius fic
Altera pofcit opem res
&conjurat amicè.
Je ne fais fi M. Despréaux n'au-
roit pas mieux fait de fonder
tout fon Art Poëtique fur la pen-
fée entière d'Horace , que de
n'en emploier qu'une partie. Le
premier Précepte qu'il donne,
c'eft qu'il faut confulter long-tems
fon efprit & les forces; & c'eft un
Précepte qu'on n'eft en êtat de
pratiquer, qu'autant qu'on eft
bien inftruit des moïens, que
l'Art fournit pour mettre heu-
reufement en œuvre le Gé-
nie.

Desmarêts dans fa Défenfe du
Poeme Heroique, &c. imprimée à
Paris in-4°. en 1675. page 77. &
Pradon dans fes Nouvelles Remar
ques fur les Oeuvres du Sieur D***

imprimées in-12. fous le faux nom de la Haye en 1685. page 84. difent que cette Expreffion, la bauteur d'un Art n'eft pas Fran çoife. Bien des gens le penfefont encore avec raifon. Dans le cours de ces Remarques j'aurois quelquefois occafion de citer les deux Ouvrages, que je viens d'annoncer, & je me contenterai d'en nommer fimplement la page à côté du nom de Pradon ou de Desmarêts.

IMIT. Ibid. de l'Art des Vers atteindre la hauteur. ] Cette Expreffion eft plus qu'imitée de La Frefnaie Vauquelin, qui dit en parlant de VIRGILE, Art Poëtique, Liv. I.

En l'Epique tu peux fuivre ce brave Auteur,
Nul ne peut en fa langue atteindre à la hauteur.

IMIT. Vers 6. Pour luy Phébus eft fourd Pégaze eft retif.]

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HORACE a dit, Art Poëtique;
Vers 375.

Tu nihil invita dices, faciesze Minerva.

Craignez d'un vain plaifir les trompeufes amorces,
Et confultez long-temps voftre efprit & vos forces.
La Nature fertile en Efprits excellens,
Sçait entre les Auteurs partager les talens.
15 L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme:
L'autre, d'un trait plaifant aiguiser l'Epigramme.
Malherbe d'un Heros peut vanter les exploits ;
Racan chanter Philis, les Bergers, & les Bois,

<

REMARQUES.

IMIT. Vers 12. Et confultez ces. ] HORACE Art Poëtique, long-temps voftre efprit & vos for. Vers 38.

Sumite materiam veflris, qui fcribitis, aquam

Viribus,& verfate diu quid ferre recufent,
Quid valeant humeri.

IMIT. Vers 13. La Nature reufe Imitation de cet endroit fertile en Efprits excellens, &c.] du premier Livre de l'Art PoeDepuis ce Vers jufques & com- tique de La Frefnaie Vanquepris le Vers 27. c'eft une heu- lin.

Comme tout Peintre n'eft parfait en chaque part
De tout ce que requiert la regle de fon art: &c.
Des Poëtes ainfi, l'un fait une Epigrame,

L'autre une Ode, un Sonnet en l'honneur d'une dame
L'un une Comédie, & l'autre d'un ton haut,
Tragique fait armer le royal échafaut.
L'un fait une Satire, & l'autre une Idillie,
Qui jufqu'aux petits chants des Pafleurs s'humilie
Et peu, qui font bien peu, la trompette entonnant,
Font bruire d'un rebat l'air autour résonnant.
Mais comme avec Apelle, on louë un Timagore
Protogene, Zeufis, Timante, Apollodore
Parrafe & Polignot; peignants diversement:
Homere feul ainfi, ni Maron feulement

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N'ont gaigné le Laurier: De cette branche on pare
Comme eux, Catule, Horace; Hefiode & Pindare, &c.

Mais celui qui ne peut garder l'ordre divers,

Et les couleurs de l'œuvre en efcrivant en vers,
Et donner fon vray jour à l'argument qu'il traite,
Ne meritera point qu'on l'appelle Poëte.

Pourquoy veut-il honteux, ignorant demeurer,
Plufloft qu'en apprenant, plus hardi s'affeurer.

VERS 17. Halherbe d'un Heros. VERS 18. Racan chanter Philis.

&c.] Les Odes de Malherbe, Voïés
Sat. IX, Vers 251,

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&c.]Les Bergeries de Racan. Voïés Sat, IX. Vers 44.

Mais fouvent un Efprit qui fe flatte, & qui s'aime.
20 Méconnoift fon genie, & s'ignore foy-mesme.
Ainfi Tel autrefois, qu'on vit avec Faret
Charbonner de ses vers les murs d'un cabaret,
S'en va mal à propos, d'une voix infolente,
Chanter du peuple Hebreu la fuite triomphante,
Et pourfuivant Moïse au travers des deserts
Court avec Pharaon se noyer dans les mers.

25

Quelque fujet qu'on traite, ou plaisant, ou fublime, Que toujours le Bon fens s'accorde avec la Rime.

REMARQUES.

VERS 21. Ainfi Tel autrefois] SAINT AMAND, Auteur du Moife fauvé. DESP. Voïés Sat. I. Vers 97. Sat. IX. Vers 93. Art Poët. Chant. II. Vers 261.

Ibid.- -qu'on vit avec Faret.] Auteur du Livre intitulé : l'Honnête Homme, & ami de S. Amand. DESP.

Nicolas Faret de Bourg en Breffe, l'un des premiers Membres de l'Académie Françoife, dont il fut chargé de rediger les Statuts; êtoit venu jeune à Paris, où il s'êtoit attaché à Vangelas, à Boifrobert & à Coeffeteau. Il fut Secretaire du célèbre Comte d'Harcourt, & mourut à Paris âgé de 46. ans en 1646. Il êtoit alors Secretaire du Roi. Nous avons de lui une Traduction de l'Abregé de l'Hiftoire Romaine d'Eutrope. L'Honnête Homme, Ouvrage tiré de l'Italien du Comte Baltazar Caftiglione : une Hiftoire Chronologique des Otto

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mans, imprimée à la fuite de l'Hiftoire de Georges Caftriot, par Jacques de Lavardin; un Traité des vertus nécessaires à un Prince pour bien gouverner fes Sujets ; la Préface des Oeuvres de S. Amand dans l'Edition de Paris 1629. in4°. quelques Lettres & quelques Poëfies dans les Recueils de fon tems. Outre une Continuation de l'Hiftoire Romaine de Coeffetean, il avoit compofé la Vie de René II. Duc de Lorraine, & des Mémoires du Comte d'Harcourt. Ces trois Ouvrages n'ont pas vu le jour. Il êtoit ami particulier de S. Amant, qui l'a peint comme un illuftre débauché, principalement à caufe de la commodité. de fon nom qui rimoit à Caba ret. Voïés PELISSON, Hiftoire de l'Académie, Part. V.

IMIT. Vers 22. Charbonner de
fes vers les murs d'un cabaret.]
MARTIAL, Liv. XII. Epigramme
LXII.

Nigri fornicis ebrium Poëtam,
Qui carbone rudi, putrique creta
Scribit carmina,

;

L'un l'autre vainement ils semblent fe haïr 30 La Rime eft une efclave, & ne doit qu'obeïr. Lors qu'à la bien chercher d'abord on s'évertuë; L'efprit à la trouver aisément s'habituë. Au joug de la Raifon fans peine elle fléchit ; Et loin de la gefner, la fert & l'enrichit. 35 Mais lors qu'on la neglige, elle devient rebelle, Et pour la ratraper, le fens court aprés elle. Aimez donc la Raifon. Que toûjours vos écrits Empruntent d'elle feule & leur luftre & leur prix. La plufpart emportez d'une fougue infenfée, 40 Tousjours loin du droit fens vont chercher leur pensée. Ils croiroient s'abaisser dans leurs vers monstrueux, S'ils penfoient ce qu'un autre a pû penser comme eux. Evitons ces excés. Laiffons à l'Italie

De tous ces faux brillans l'éclatante folie.

45 Tout doit tendre au Bon sens: mais pour y parvenir,
Le chemin eft gliffant & penible à tenir.

Pour peu qu'on s'en écarte, auffi-toft on fe noye.
La Raifon, pour marcher, n'a souvent qu'une voye.
Un Auteur quelquefois trop plein de fon objet

50 Jamais fans l'épuifer n'abandonne un fujet.
S'il rencontre un Palais, il m'en dépeint la face :
Il me promene aprés de terraffe en terrasse :
Icy s'offre un perron, là regne un corridor,
Là ce balcon s'enferme en un baluftre d'or :

REMARQUES.

VERS 1. S'il rencontre un Palais, &c.] Scuderi, L. III. de fon Alaric,emploie près de soo, Vers

à la defcription d'un Palais,qu'il commence par la façade & finit par le jardin,

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