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Mais que Junon, conftante en fon averfion,
Pourfuive fur les flots les reftes d'Ilion :
Qu'Eole en fa faveur les chaffant d'Italie,
Ouvre aux Vents mutinez les prifons d'Eolie:

REMARQUES.

Taffo, qui de nouveau dans Solyme a conduit
Le devot Godefroy, qu'une grand' troupe fuit,
Certaine preuve en fait ; mais un fujet semblable
Il te faut imiter fur une vieille fable,
Et pour n'étre dedit, il faut bien advertir
De prendre un argument ou l'on puisse mentir :
Le vers du vray-femblable aime une conterie
Qui plufioft que le vray fuit une menterie.

Pour le dire, en paffant, la
Règle, que ces derniers Vers
contiennent, eft très impor-
tante. Il faut des Fictions dans
la Poefie; mais il eft difficile
qu'elles puiflent plaire dans les
fujets, qui fe font paflés fous
nos yeux, ou qui font voifins
de nôtre tems
& dont les cir-
conftances font connues de tout
le monde. L'efprit trop plein de
la vérité, refule de fe prêter à la
Fiction, quelque vraisemblable
qu'elle puifle être. Delà vient,
que beaucoup d'Ouvrages, ca-

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pables en eux-mêmes de faire
honneur à l'imagination de
leurs Auteurs, font tombés, ou
n'ont eu qu'un fuccès très-mé-
diocre; & que ceux-mêmes à
qui les beautés de détail ont pro-
curé le fuccès le plus brillant,
pafleront difficilement à la pof-
térité. La Frefnaie-Vauquelin pour
rentrer dans le fujet de cette Re-
marque, auroit volontiers ap-
prouvé la fuppreffion totale des
Fables Païennes, fi l'on peut en
juger par ces Vers de fon Livre
III.

Les vers font le parler des Anges & de Dien,
La profe des humains: Le Poëte au milieu,
S'elevant jufqu'au Ciel, tout repen d'ambrofie,
En ce langage efcrit fa belle Poefie.

Pleuft au Ciel que tout bon, tout Chreftien & tout Saint
Le François ne prift plus de fujet qui fut faint!
Les Anges à milliers, les ames éternelles
Defcendroient pour ouir les chansons immortelles.

Voïés fur le même fujet les dix derniers des Vers de ce Poëte, cités fous le Vers 133. du IV. Ch. Ramenons Desmarêts fur la fcène. Il raifonne conféquemment à fon principe; & ce principe, au fonds n'eft pas auffi ridicule qu'on l'a dit. Je ne fuis afluré.

ment rien moins, que tenté de l'admettre; mais je ne vois pas pourquoi je ne ferois pas équitable. La Poefie eft un Art d'illufion, qui nous préfente des chofes imaginées comme réelles. Quiconque voudra réfléchir fur fa propre expérience, fe convain

185 Que Neptune en courroux s'élevant fur la mer,
D'un mot calme les flots, mette la paix dans l'air,
Delivre les vaiffeaux, des Syrtes les arrache ;
C'eft là ce qui furprend, frappe, faifit, attache :

REMARQUES.

era fans peine, que ces chofes imaginées ne peuvent faire fur nous l'impreffion de la réalité, que l'illufion ne peut être complette, qu'autant que la Poefie fe renferme dans la Créance commune & dans les Opinions nationales. C'est ce qu'Homère a penfé. C'eft pour cela qu'il a tiré du fonds de la Créance & des Opinions répandues chés les Grecs, tout le Merveilleux, tout le Surnaturel, toutes les Machines de fes Poemes. Citons une autorité plus refpectable. L'Auteur du plus ancien Poëme, qui nous foit connu, du Livre de Job, écrivant pour les Hebreux, prend

fes Machines dans le fonds de leur Créance. Les Arabes, les Turcs, les Perfans en ufent de même dans leurs Ouvrages de Fiction. Ils empruntent leurs Machines de la Créance Mabométanė & des Opinions communes aux différens Peuples du Levant. Et tout cela fur le Principe de l'Illufion que doivent opérer la Poefte & la Fiction, qu'il faut ici confondre avec elle. En conféquence du même principe, on ne fauroit douter, qu'il ne fallût puifer le Merveilleux de nos Poëmes dans le fonds même de nôtre Religion, s'il n'êtoit pas inconteftable que

De la foy d'un Chreftien les myfleres terribles
D'ornemens égayés ne font point fufceptibles.
C'est la réflexion que le Taffe &
tous fes Imitateurs n'avoient pas
faite.

VERS 187. des Syrtes les
arrache. ] Cet Hémiftiche n'eft
guère harmonieux & me paroît
le fruit de la contrainte de la
Rime. Il eft vrai qu'il offre une

efpèce d'Image; mais cette Image eft fauffe. Remarquons d'abord, que nôtre Auteur s'efforce dans ce Vers & les deux précédens, de rendre les principales Images & même quelques Expretions de cet endroit du Liv. 1. de l'Enéide, Vers 125. & 142o -graviter commotus &alto Profpiciens, fummd placidum caput extulit undâ, &c. & dicto citiùs tumida aquora placat: Collectafque fugat nubes, folemque reducit. Cymothoë fimul & Triton adnixus acuto Detrudunt naves/copulo. Levat ipse tridenti; Et vaftas aperit Syrtes & temperat aquor. M. Defpréaux dans l'Hémiftiche, que je reprens, a perdu de vue fon original, & n'a pas fait at eention, qu'il fait agir feul, Nep

tune, un Dieu tout puiflant, l Souverain des Ondes, qui d'un mot calme les flots, & met la paix dans l'air. Convient il que ce

Sans tous ces ornemens le vers tombe en langueur, morte, ou rampe fans vigueur :

190 La Poëfie eft

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même Dieu fafle des efforts, pour,, mi les actions d'un Heros Chre

remettre à flot des Vaiffeaux en

gravés. C'eft ce dont il s'agit; & le Verbe arracher, fignifie: déta. cher avec effort. VIRGILE, le plus judicieux de tous les Poëtes, n'avoit garde de faire cette faute. On voit dans fes Vers Cymothoë & Triton emploïer leurs forces à pouffer hors des rochers les Vaiffeaux, qui s'y trouvoient engagés. Que fait NEPTUNE? Levat ipfe Tridenti. Il les foulève de fon Trident. Le Triton ou la Nimphe agiffent en Dieux fubalternes, dont les forces font fupérieures à celles des Mortels, mais dont la volonté n'eft pas toute puif fante. Neptune agit en Souverain des Mers. J'ai fait cette Remarque avec quelque regret. C'eft principalement le Bon fens, qu'on doit admirer dans les Ouvrages de M. Defpréaux ; mais quandoque bonus dormitat Homerus.

VERS 189. Sans tous ces ornemens, &c.] L'Auteur avoit en vue S. Sorlin des Marêts, qui a écrit contre la Fable. DESP.

On fe doute bien que Desmarêts n'eut garde d'applaudir à la décifion contenue dans ce Vers & les trois fuivans. "Tout cela, dit,, il, p. 91. ne nous eft point ,, propre.... Il faut voir fi fans ,, tous ces ridicules ornemens on ,, ne s'élève pas en des inventions bien plus hautes, & en ,, une diction auffi belle que celle des Anciens. ., . Si l'on mêloit des Divinités fabulenfes par

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tien & parmi celles d'un Roi très-Chretien... on fouilleroit les actions de l'un & de l'autre, & l'on feroit une confufion monftrueuse Il y a certainement du vrai dans ces réflexions, que je n'adopte pourtant pas. Au refte, ce que nôtre Auteur dit dans les quatre Vers, dont il s'agit ici, n'eft pas vrai du Taffe, le plus grand Génie, que la Poefie ait eu de puis Virgile. Prefque tous nos Poëtes Epiques ont marché fur les traces de ce Poëte Italien. Ils ont emploïé le même genre de Fictions. Mais ce n'eft point par cette raifon, c'est par la foibleffe de leurs talens, que leur Vers tombe en langueur, que leur Poëfie eft morte, ou qu'elle rampe fans vigueur. Oferois-je ajoûter une réflexion bien fimple ? Pour être en êtat de prononcer avec M. Despréaux , que quiconque. n'orne pas le Poëme Epique des Machines d'HOMERE & de VIRGILE, n'est plus qu'un Orateur timide, qu'un froid Hiftorien d'une Fable in pide; il faudroit examiner avant tout: Si, le caractère de nôtre Na tion fuppofé tel qu'il est aujourd'hui ; le MERVEILLEUX, le SURNATUREL, les MACHINES en un mot font néceffaires dans un POEME EPIQUE, composé par un FRANÇOIS, pour des FRANÇOIS. Je ne ferois nullement furpris en voïant la négative établie fur des raifons folides.

C'est donc bien vainement que nos Auteurs deceus,
Banniffant de leurs vers ces ornemens receus,

195 Pensent faire agir Dieu, ses Saints & fes Prophetes
Comme ces Dieux éclos du cerveau des Poëtes:
Mettent à chaque pas le Lecteur en Enfer :
N'offrent rien qu'Aftaroth Belzebuth, Lucifer.
De la foy d'un Chreftien les myfteres terribles
Loo D'ornemens égayés ne font point fufceptibles.
L'Evangile à l'Esprit n'offre de tous costez,
Que penitence à faire, & tourmens meritez:

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99

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REMARQUES.

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130

VERS 193.
nos Auteurs de
ceus," Et qui font, dit Des-
marêts p. 92. ces Auteurs de
2, çus, ou ceux qui ont recours
,, aux Fables Païennes, ou ceux
,, qui rejettent ces Dieux éclos dis
cerveau des Poëtes? . Quand
,, un Poëte a du génie, il lui
eft facile de plaire par quel-
,, ques Descriptions des Merveil-
les Dieu a faites dans tous
que
les tems, par de nobles Fic-
tions vraisemblables
& par
toutes les Paffions humaines
Les Merveilles que Dien a faites
dans tous les tems, conviennent
très-bien à la Poëfie la plus éle-
vée. Nous en avons la preuve
dans les Cantiques de l'Ecriture-
Sainte & dans beaucoup de Pfean-
mes, qui font affurément d'ex-
cellens morceaux de Poëfie, &
peut-être les feuls vrais modèles
de l'Ode dans le genre fublime.
Pour les Fictions vraisemblables,
qu'on imagineroit à l'imitation
des Merveilles, que la Religion
nous offre à croire; je doute que
nous autres François, nous en
accommnodions jamais. Peut-être

même n'aurons nous jamais de Poëme Epique, capable d'enlever tous nos fuffrages, à moins qu'on ne fe borne à faire agir les différentes Paffions humaines. Quelque chofe que l'on dife, le Merveilleux n'eft point fait pour nous, & nous n'en voudrons jamais que dans les Sujets tirés de l'Ecriture-Sainte, encore ne ferace qu'à condition, qu'on ne nous donnera point d'autres Merveilles 2 que celles-mêmes qu'elle décrit. Envain fe fonderoit-on, dans les fujets profanes, fur le Merveilleux admis dans nos Opera. Qu'on le dépouille de tout ce qui l'accompagne, j'ofe répondre qu'il ne nous amufera pas une minute.

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VERS 197. Mettent à chaque pas le Lecteur en Enfer :] HOMERE & VIRGILE y ont auffi mis leurs Lecteurs puifqu'ils y font defcendre leurs Heros C'eft ce que Desmarêts répond, p. 91. & dans fon fiftème il a raifon.

VERS 202. Que penitence à faire & tourmens meritex: ] " Il ne faut

205

Et de vos fictions le mélange coupable:
Mesme à fes veritez donne l'air de la Fable.

Et quel objet enfin à presenter aux yeux,
Que le Diable toûjours heurlant contre les Cieux,
Qui de vostre Heros veut rabbaiffer la gloire,
Et fouvent avec Dieu balance la victoire ?

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REMARQUES.

,, pas, dit Desmarêts, p. 89. re-
procher à nôtre Religion,
,, qu'elle ne prêche que péniten-
,, ce & que fupplices merités:
,, ce n'eft point de cela qu'on
,, parle dans nos Poemes; mais
de ce qu'il y a de plus grand,
de plus haut, & de plus admi-
rable; puifque la Poëfie doit
toûjours penfer plaire en in-
ftruifant Il eft vrai que nos
Poëtes Epiques n'ont prefque fait
ufage dans leurs Ouvrages, que
des grands objets de Foi. Le détail
des Vérités de pratique ne con-
vient nullement à la haute Poefie,
& n'eft fufceptible que des or-
nemens, que le Genre Didacti-
que peut recevoir. Mais Desma-
rêts ne détruit en aucune façon
le raifonnement, par lequel nô-
tre Auteur renverfe de fonds en
comble le fiftème des Fictions ti-

rées du fonds de nôtre Religion.
Les Vérités de cette Religion fone
trop grandes & trop refpecta-
bles, pour qu'il doive être per-
mis de les profaner en y mêlant
de pures imaginations. Il en
coute tant à nôtre orgueil pour
fe foumettre au joug de la Foi,
qu'on ne peut trop ménager no-
tre foibleffe à cet égard. Qu'on
mette à côté de ce que nous
croions enfin comme révelé,
des faits parallèles, mais de pure
invention, on rifque de rendre
nôtre Foi chancellante. Les Mer-
veilles imaginées conduisent à
douter des véritables. Ce qui
certainement eft plus vrai dans
ce fiècle que dans aucun autre.
Nôtre Auteur a donc raifon de
dire à tous les Imitateurs du
Taffe, en les rappellant à l'ef
prit de l'Evangile:

de vos fictions le mélange coupable
Mefme à fes veritez donne l'air de la Fable.
VERS 20. Et quel obiet enfin à
prefenter aux yeux, &c.] Voyez
Le Taffe. DESP.

Ce Vers & les trois fuivans
font dire à Desmarêts page 92.
"Il (M. Defpréaux) veut faire
,, croire, que l'on ne voit autre
,, chofe que le Diable dans nos
Poëmes, où toutefois ce nom
n'eft point emploïé, n'étant
1, pas poëtique; où le Démon

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n'eft jamais préfenté que ra ,, rement; mais avec de telles fureurs que jamais Mégère ,, n'en pouffa de pareilles. Et co n'eft pas une grande merveille, que le Demon difpute la victoire à Dieu, puifque le Fils de Dieu même l'a appellé le Prince du Monde DESMARESTS a toujours raifon dans fon fiftème.

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