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rencontroit quelquefois. Je fus conduit au Palais avec beaucoup de cérémonie entre les foldats rangez en haie.

Le Gouverneur fe nommoit Heffa Aga. Aprés mes prefens faits, il me demanda de quelle nation nous étions? Je lui ré pondis Hollandois, Sujets des Seigneurs Etats Généraux & du Prince d'Orange, alliez de Sa Hauteffe: que nous venions en amis, pour trafiquer, comme faifoient nos compatriotes dans toutes les terres de l'obéïflance du Grand Seigneur. Il me dit que fi nous venions comme amis, nous aurions toute liberté dans le païs; mais qu'il falloit auparavant qu'il en donnât avis au Bacha Vice- roi de Jamen, ou de l'Arabie Heureufe. Cependant il nous fit trouver une maison commode.

Aprés le repas je m'en retournai à bord,, pour faire décharger des draps & des merceries de Nuremberg, que j'envoiai à terré avec le Sous-commis. Dans la fuite: j'apris par un Aga que le Bacha ne vouloit pas que je laiffaffe à Aden des gens & des marchandises jufqu'à mon retour, je pris congé de lui pour me retirer, le laiffant & les Marchands étrangers dans la crainte que nous n'enlevaffions leurs vaiffeaux, quoi-que toüez tout proche du Fort....

Nous remîmes à la voile, & allâmes moüiller à une Ville d'Arabie, nommée Chihiri. Le Roi nous envoia un Selbi petite barque de planches coufuës enfemble avec du cairo, qui nous aporta des rafraîchiffemens de boucs, de moutons, de poiffon, & de fruits..

Il arriva un incident fort extraordinaire à nôtre venue. A la même rade où nous moüillions, il vint une multitude de poiffons inconnus, jufques à ce tems-là. Ils étoient prefque femblables à nos grandes Schooles, & encore plus aux fardines de Portugal. Comme il fembloit qu'ils vinffent de compagnie avec nous,on lui donna le nom de Hollandois. Il y en eut pendant trois ans une fi prodigieufe quantité, que les hommes en étant raffafiez & dégoûtez, les faifoient fécher, & les donnoient

manger aux chameaux. Au bout des trois ans on n'en prit plus, & l'on n'en a pas revu depuis.

Le lendemain 20. d'Août 1614. j'allai voir le Roi, & fus conduit à fon Palais, par plufieurs foldats & Marchands Arabes, puis ils nous menérent dans une belle & fpacieufe maifon, où je trouvai un grand repas tout fervi; le tout de peur que nous ne violaffions le privilége de fa rade. On nous affura que fi, nous venions comme d'honnêtes Marchands, nous aurions la

van

liberté du commerce dans tout le Païs. Je demandai permiffion d'y laiffer 2. ou 3. de mes gens pour aprendre la langue jufqu'à mon retour, parce que la mouffon étoit paffée, & qu'il falloit que j'allaffe faire le raport de mes découvertes à mon Général à Bantam. On m'acorda ma demande fur le champ, & l'on nous pourvût d'une bonne maifon.

Pour profiter de cette ocafion, je laiffailà un Affiftant nommé Antoine Claaĺz Viffcher, & deux hommes avec lui, lui donnant peu d'argent, & quelques chétives merceries de Nuremberg. Puis je pris congé du Roi, qui me promit fort que mes gens feroient en toute füûreté.

Le même jour avant que de me retirer j'envoiai le Sous-commis querir de l'argent à bord. En l'aportant fa barque fur renverfée par les brifans. Les gens fe fau vérent à la nage: mais le fac d'argent de meura au fond de la mer. Durant le plus bas de l'eau je fis plonger, & promis une bonne récompenfe à qui me raporteroit le fac. Ceux du païs y aiant perdu leur peine, un Quartier maître qui nageoit bien, voulut auffi tenter fortune. En plongeant, fon pié donna juftement fur le fac qu'il prit & aporta, au grand étonnement des fpectateurs, qui regardérent cela comme un enchantement.

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La Ville de Chihiri dans l'Arabie Heureufe, eft par les 14. degrés so. minutes de latitude Nord, fituée fur un fable aride, au bord d'une grande baie, où l'on ancre à portée de petit canon de la Ville,fur huit, braffes, fond de bonne tenue. Elle eft fort grande, par la diftance des maifons: éloignées les unes des autres. Elles font bâties d'agile, & enduites de chaux par dehors. Il y a un château avec quatre tours rondes, bon pour fe garantir d'une courfe, mais qui ne peut foutenir le canon. Il y a 3. ou 4. Mofquées. C'est le principal Port que le Roi aie.

Ce Prince tient fa Cour, la plupart du tems, à Hadermuid, Ville dans les terres, à une journée de Chihiri. Il fe nomme Sultan Abdulla, iffu lui & fes fujets des vrais Arabes. Il paie tous les ans entre les mains du Bacha Vice-roi du Grand Seigneur, un tribut de 4000. réales de huit, & de 20. livres de bon ambre gris.

Son peuple eft fincére, doux & bien faifant, modefte en démarche & en actions, dévot dans la Réligion de Mahomet. Les femmes de confidération ne vont que mafquées. Elles font fort luxurieuses, & d'une belie taille. Les parens tiennent à honneur que les étrangers veuillent avoir commerce avec leurs filles. Ils vont même les leur offrir pour une très-legére récompenfe,

lorfqu'elles font encore jeunes. Il demeure dans ce païs-là, beaucoup de Benjanes des Indes & de Perfans.

Il y va tous les ans des vaiffeaux des Indes, de Perfe, d'Ethiopie, des Ifles Como res, de Madagascar, de Melinde. Nous y laiffâmes13.ou 14. petits bâtimens à la rade..

De Chihiri nous fimes voiles à Cutfinni, qui eft justement à l'entrée de la mer Rou ge, fur la côte de l'Arabie Heureufe, par: la hauteur des 15. degrez 32. minutes, où nous moüillâmes fur 16. braffes d'eau, fond de roches, à une portée de petit ca-non de la Ville.

Etant à terre, le Roi nommée Sayd Bon Sahidi fuivi de 1000. foldats avec de larges fabres nuds fur les épaules, vint me prendre par la main & me mena dans fon Palais, où je fus bien régalé. Il me permit de laiffer de mes gens dans fon païs juf-qu'à mon retour. Mais aiant apris qu'il étoit ami des Portugais, qui venoient tous les ans trafiquer chez lui, & ennemi du Grand Seigneur, je réfolus de n'y laiffer perfonne pour cette fois, & de me retirer;51 ce qui fe fit avec beaucoup de marques de civilité de part & d'autre.

Le 25. de Décembre 16 14. nous eûmes la vûë de l'Ifle de Juganao, où les hom mes, les femmes & les enfans, vont tout nuds, fans aucune honte. Delà nous cou

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