main je partis à cheval, avec le Sous-com mis Jean Arentz, & un trompette, pour avancer dans le païs, & le vifiter.

Nous paflâmes par un Village, & arrivâmes fur le foir dans la petite Ville de la Mouffa, à 8. lieuës de la Mocha, dont le Gouverneur me reçût bien. Le lendemain nous paffâmes par le petit Fort d'Acuma, à fept lieues de Mouffa, & fûmes coucher au Fort d'Afavinde, à trois lieuës de l'autre.

Le lendemain nous traverfâmes la petite Ville d'Offlufe, à 3. lieues d'Afavinde, où une Compagnie de foldats Turcs vint au-devant de moi, pour me mener dîner avec le Gouverneur. Cette place eft impre nable, étant fituée dans la pente d'une montagne efcarpée, où à peine deux perfonnes peuvent monter à la fois. Le Gouverneur étoit Arabe. Il me fit préfent d'une vefte de drap, à caufe du froid que je commençai à fentir en ce lieu-là. Nous fúmes coucher à Sarüi Mota, à deux lieuës d'Offlufe.

Le lendemain nous allâmes à Taïeffe, grande Ville murée, à 4. lieues de Mota où nous logeâmes chez le Gouverneur, qui nous régala bien, & nous fit trouver des chevaux frais, des chameaux & des ânes. Je vifitai la Ville, où il y a fix hautes tours, beaucoup de Mofquées, un magni

fique tombeau d'un Bacha, dont la dépente a été de plus de 1000. réales de huit. Il s'y fait un gros commerce.

Nous gagnâmes jufqu'au bourg d'Acar à 5. lieuës & demie de Taïcffe, Aprés cela nous paflâmes par le bourg de Maïios, qui eft dans la pente d'une montagne ; ce qui me donna lieu de voir, de deffus mon cheval, labourer, femer & moiffonner en même tems, & cela dure toute l'année, dont je fus fort furpris. Nous fûmes coucher à 2. lieues & demie de Maïios, dans la Ville d'Ype, où nous allâmes dans un bain, comme l'on fait en Turquie.

Le lendemain nous nous rendîmes à Machadder, Ville à 5. lieuës & demie d'Ype, & enfuite à la Ville de Nacafmare, puis à Jerrime, Ville murée à 6. lieuës & demie de Machadder. Il y tomba de la groffe grêle fi groffe, que je n'en avois jamais vu de femblable.

Le jour fuivant nous fûmes dîner à Dammer, à trois lieues & demie de Jerrime, & dont le Gouverneur, Hongrois, envoia 100. foldats au-devant de nous, & nous fit dîner avec lui. Il ya dans le milieu de la Ville un Château bâti de pierre bleuâtre, & mal pourvû de canon. De là nous marchâmes jufqu'au Bourg de Serafia, à cinq lieues de Dammer, & le Secretaire du Bacha nous y fit demeurer. On nous

régala de cerfs, biches, liévres, coqs de bruiere, cailles, pigeonneaux rôtis & en pâte, de toure forte de deffert, fruits, tartes, maffe pains, & de bon vin rouge du païs.

Le lendemain avant jour nous remontâmes à cheval, & prés de la montagne, le Secretaire m'envoia au nom du Bacha, un beau cheval enharnaché d'or & d'argent, pour faire mon entrée dans la Ville. En approchant nous rencontrâmes le Maréchal des armées à cheval, avec 3oo. foldats Turcs & Arabes, rangez fous 5. drapeaux, qui aprés trois décharges de leurs armes, marchérent devant nous.

Proche de la Ville de Chenna, nous vî mes le Bacha lui-même, venant au-devant de nous avec plus de 200. des Seigneurs de fa Cour, tous à cheval, vétus d'étoffes d'or & d'argent, dont l'éclat brilloit au le ver du Soleil, heure où ils nous rencontré rent.Le Bacha envoia 2. garçons bien-faits, vétus en femmes, pour me dire de le fuivre doucement, & qu'il m'attendroit dans fon Palais, où il reprit fa marche.

En arrivant dans la Ville, à peine pou vions-nous paffer au travers de la multitu de du peuple. Il falloit que le Secretaire & deux Pages à cheval marchaffent devant, pour écarter la foule.

Arrivé au Palais, 2. valets vinrent pren

dre

dre mon cheval par la bride, & le menérent jufques devant la fale, où il y avoit des tapifferies étenduës, fur lefquelles je defcendis, & je marchai vers le Bacha entre deux haies de ceux qui compofoient fa Cour. Il étoit affis dans un lieu élevé ;: & on lui rendoit des refpects, non comme à un Roi, mais prefque comme à un Dieu. Quand je lui eus rendu les miens, il me fit afleoir; furquoi le Capitaine qui étoit mon Interpréte, lui dit: Seigneur, bien vous foit, le Capitaine ne doit pas être aflis de cette maniére, & il me fit aporter un beau fiége.

Lorfque je fus affis, le Bacha me demanda d'un air févére: Quel étoit le fujet qui m'amenoit? Aprés l'avoit fatisfait, il mit fa main fur ma tête, & me dit: Soicz le bien venu. Comme il favoit que j'étois fatigué du voiage, il me dit: Allez-vous repofer, nous aurons le tems de nous entretenir, & il me fit donner par fon Secretaire une veste d'étofe d'or, pour marquer que ma venue lui étoit agréable. Je remontai à cheval, & fus conduit par 4. ou 5. Scigneurs dans la maifon du Majordome, où je devois dîner. Aprés dîner, on me mena dans le logis préparé pour moi, où il y avoit une bonne provifion de vivres, du mouton, des poules, du vin, & tout ce qu'il falloit, pour y être commodément. Tome VII,

La Ville de Chenna eft à trois lie es du bourg de Sérafia, où j'avois couché. J'y arrivai le neuviéme jour aprés mon départ de la Mocha, aiant fait en tout 55. lieuës de chemin. Je fis mes prefens au Bacha, & aux autres à qui il en falloit faire: je fus invité à un feftin dans le jardin du Secretaire, où il y eut une grande compagnie, & un grand repas. Il y avoit dans le jardin diverfes fortes de fruits, des raifins, des amandes, des pêches, des oranges, des limons, des citrons, dont les arbres étoient beaux & vigoureux. Entre autres il y avoit une quantité de differens rofiers, des cabinets très-propres & bien ornez, des jets d'eau, & le bâtiment étoit fort agréable. Etant à table, il parût un léopard d'une grandeur énorme, auffi privé qu'un chien, qui vint manger ce qui tomboit fous la table, fans faire mal à perfonne.

Enfuit: j'allai vifiter le Château où loge le Bacha. Il y avoit plus de 1000. perfonnes en ôtage, hommes, femmes & enfans, tous freres, enfans, ou fœurs des grands Seigneurs de certaines Provinces que le Bacha retient fous fon pouvoir par ce moien, & qui n'ofent fe révolter. İly a plufieurs antiquitez, entre autres un grand édifice qu'on dit avoir été bâti par Noé. C'eft-là que les femmes du Bacha