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tive, à-peu-prés de 20. ans, qui fe préparoit à fe brûler le lendemain 1 1. deFévrier 16 18. avec le corps mort de fon mari, & qui paroiffoit s'y préparer avec beaucoup de fermeté. Comme nous voulûmes l'en diffuader, elle fe moqua de nous, & nous dît qu'il falloit qu'elle fuivit fon mari dans l'autre monde, ou qu'elle feroit expofée au mépris de fes parens & de tous les hommes, dont aucun ne voudroit plus l'époufer. Mais elle nous pria de vouloir, aprés fa mort, intercéder pour fes enfans envers le Naick, afin qu'il les fit nourir. Nous lui promîmes que fi elle vouloit changer de réfolution, nous la tranfporterions dans un autre païs, où l'on ne fauroit point ce qui fe feroit passé; ce qu'elle refufa toûjours conftamment.

Le jour qu'elle devoit fe brûler, elle prit fes plus beaux habits & fes joïaux, fe frota les yeux de jus de limon, & fauta dans le feu prononçant Ram, Ram, & rien de plus. Il y avoit autour d'elle plufieurs Prêtres Benjanes,qui faifoient tant de bruit avec des tambours, qu'à peine pouvoiton s'entendre; il falloit être tout proche d'elle pour favoir ce qu'elle difoit.

Le bûcher étoit compofé de bois, & de quelques baffins avec de l'huile, & au milieu il y avoit un creux dans lequel elle fe jetta. Aufli-tôt tous les affiftans prirent des

tifons brûlans, & l'en couvrirent, faifant tant de tintamare, qu'on ne pouvoit entendre fes plaintes & fes gémiffemens, fi élle en pouffoit.

Le lendemain nous vîmes une étoile, ou une commette furprenante. C'étoit come me une longue flâne de feu qui fe déta cha du Ciel, & qui traverfant l'air comme un trait, ou plutôt comme le feu d'un canon de demi-calibre, alla tomber dans le païs du Naik de Sangier. Les habitans en furent fort efraïez, croiant que c'étoit un préfage de guerre. Ea éfet, un mois aprés, Iftopo Naick, Général du Naick de Madre, fit une irruption dans leur païs, où il pilla & défola tout.

Le defordre fut fi grand qu'il fallut penfer à fauver les éfets de la Compagnie; ce qui fut éxécuté le 30. du mois de Mars', & nous abandonnâmes la belle loge que le Naick nous avoit accordée, & où nous avions plufieurs marchandises.

Après avoir affez long-tems croifé fans rien découvrir, nous paffâmes à bord du Thertole, & retournâmes avec les frégates à Paliacatte. Dès que nous y fumes, nous y vîmes ariver un Commis nommé Gysbert van Suylen, qui étoit malade, & qui vint de Ceilon dans un Cattamarau, chétif petit bâtiment de deux piéces de bois liées enfemble. Il fe plaignit fort

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du Roi de Candi, qui n'entretenoit pas leš claufes du Traité qui avoit été fait avec fui. Je me rembarquai fur le Lion d'or, pour retourner à Mafulipatan, laiffant Adolfe Thomafz pour premier Commis dans le Fort de Gueldres, muni de 30. piéces de Canon & dont la garnifon étoit de 130. foldats Hollandois.co 251

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J'ai paffé 6. ans dans les pais du Rof Cotebipa fur la côte de Coromandel réfidant dans une Ville maritime nommée par les Maures Nyfampatnam. Ce Roiaume commence du côté du Sud à la riviére de Pena, qui le fépare du païs des Gentives, & il s'étend au Nord jufqu'au bout de la côte d'Orixa.bion

Les principales Villes maritimes font, Carera Montepouli, célébre par le négoce qui s'y faifoit autrefois beaucoup plus grand qu'aujourd'hui, Nyfampatnam, Mafulipatnam, Ville la plus marchande de toute la côte de Coromandel; Cotepatnam, Caffiamaleta, Nafapour; Peteperur, d'où il vient quantité de cairo, ou caire, dont on fait les cordages des vaiffeaux. Il y a encore la Ville de Pentacota, & plufieurs autres petites places fur la côte d'Orixa.

On voit du côté de la mer une belle riviére, par où l'on tranfporte le fel quife trouve en abondance dans les Gouvernemens

de Mafulipatnam & Nyfampatnam, & en la remontant on le méne dans le haut païs, d'où l'on ramene des grains. Dans la faifon des pluies, les terres qui font du côté de la mer demeurent ordinairement inondées des eaux qui coulent des montagnes. La riviére eft poiflonneufe, mais il y a aufi des crocodiles, qui tiennent en allarme ceux qui habitent le long de fes bords, parce qu'ils dévorent affez fouvent des hommes & des bêtes. J'en ai vû quelques

uns.

Depuis la côte jufqu'à douze lieuës dans les terres, le païs produit abondance de toutes fortes de vivres, & plus il tire au Nord, plus il eft fertile. Autrefois les Portugais y alloient avec quantité de champans, de celytones, de fuftes, & emmenoient un grand nombre de denrées & de marchandifes à Cochin; mais depuis que nous fommes établis fur cette cô te, leur commerce y eft réduit prefque à rien. Ce font préfentement les Maures & les Gentives,qui leur portent des vivres,ce qu'il ne nous eft pas aifé d'empêcher, parce que les Souverains des païs où ils paffent, veulent demeurer neutres, & que leurs pars foient ouverts aux Marchands de toutes les nations.

Hy a plufieurs endroits, du païs, où l'eau eft amére. C'eft une chofe furprenan

te que l'eau des puits creufez dans la roche même, proche des montagnes, ne foit pas douce. Les anciens habitans font Gentives, ou Idolâtres. Leurs Prêtres fe nomment Bramines, dont ceux du commun font fouvent Secretaires des grands Seigneurs ; car ils favent beaucoup mieux écrire & chiffrer que les autres Gentives.

Ils font Pytagoriftes, & ne mangent rien qui ait eu vie. Ils ne mangent même point d'œufs, ni d'herbages qui foient rouges, tans ils ont horreur du fang. Il y en a pourtant des fectes qui ne s'abtiennent pas de manger de la viande, hormis du boeuf, ou de la vache, regardant comme une abomination quand on en mange, jufques-là que ceux qui nous fervoient n'ofoient prendre les plats où il y en avoit, pour les mettre fur la table.

Il y a une fecte nomme Parriaas, la plus méprifée de toutes, à une perfonne de laquelle fi une autre Gentive touche, il eft regardé comme foüillé, & plongé dans l'eau, par ordre de la Juftice, pour le purifier. Ceux-ci mangent de toutes fortes de viandes, même jufqu'à des bêtes mortes de maladie, ou par accident. C'eft.un feftin pour eux, comme pour les Maures, de tuër un cheval & de le manger. Ils habitent dans les bourgs & les villages, & ne font point reçus à demeurer dans les Villes.

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