Le 1 1. le Roi Jean de Patuan & le Raïa Sabrang allérent prendre l'Amiral à la loge, & s'étant embarquez enfemble dans une frégate, le Vice-amiral & le reste des gens de fa fuite pafférent dans un autre, remontant ensemble la riviére, pour aller voir une nouvelle Ville que le Roi faifoit bâtir. Au retour ils foupérent avec ce Prince,& ne furent fervis que par des femmes.

Le 12. l'Amiral & fon Confeil furent mandez pour affifter au Confeil du Roi, où ils s'affirent auprès des autres Confeillers. Là, au nom des Etats Généraux, du Prince Maurice, & de la Compagnie, ils déclarérent quel étoit le fujet de leur venue, favoir pour bâtir un Fort à Johor, afin de fervir de défense aux habitans du païs & aux Hollandois contre les Portugais leurs ennemis communs. Le Roi répondit que les affaires n'étoient pas encore difpofées à cela: mais qu'il offroit de continuer la guerre, & que pour cet effet il demandoit des fecours de munitions de guerre & d'argent, ainfi qu'on le lui avoit promis, difant que par ce moien on lieroit encore une amitié plus étroite & plus ferme entre les Hollandois & les habitans de Johor.

Le même jour un Matelot du Delft qui fe baignoit,fut devoré par un Cayman,

& il ne refta de lui qu'un peu de fes entrailles. Ce doit être un avis pour tous les voiageurs, de ne fe baigner pas dans des eaux inconnues.

Le 13. Jean de Patuan & le Raïa Sabrang allérent vifiter la flote, où ils furent bien régalez. Jean de Patuan demanda qu'on lui fit prefent d'un paquet d'habits faits à la Hollandoife, & on lui donna fatisfac tion. Le 1 5. on fit débarquer tous les foldats, pour faire l'exercice & un feint combat devant les deux Rois, qui parurent y prendre beaucoup de plaifir.

Le 17.l'Amiral déclara dans fon Confeil que le Roi ne vouloit pas encore permet tre qu'on bâtit un Fort fur fes terres, difant que l'Amiral Matelief ne l'avoit jamais requis, mais feulement que ce Prince lui aidât à prendre Malacca. Il fut réfolu qu'on lui reprefenteroit les avantages que la conftruction de ce Fort lui aporteroit, tant pour la défenfe de fon païs, que pour le commerce.

Le Roi répondit qu'encore qu'il fût bien que les Portugais équipoient une groffe armade, il ne les craignoit toutefois pas tant que l'on penfoit, parce qu'il avoit un recours qui étoit de fe retirer avec fes gens vers le haut de la riviére lieu qu'il ne pourroit plus le faire quand les Hollandois feroient-là établis &

au

qu'il faudroit que fon peuple demeurât pour leur aider à foutenir les éforts des Portugais, d'où pourroit s'enfuivre leur perte entiére que les Hollandois étoient hommes auffi-bien que les Portugais, & qu'il y avoit aparence que quand ils fe feroient établis, & qu'il y en auroit un nombre confidérable dans le païs, ils voudroient en ufer avec les femmes de fes Sujets, amfi que les Portugais avoient fait autrefois qu'alors il fe verroit obligé d'entrer en guerre avec eux, & que, d'amis les deux peuples deviendroient ennemis, parce que fes fujets ne foufriroient jamais qu'ils euffent aucun commerce avec leurs femmes.

Il continua donc à refufer qu'on bâtit. un Fort, & à demander des fecours d'argent & de munitions de guerre, & que l'Amiral amenârencore une fois fon Confeil à Johor, parce qu'il avoit quelque propofition fecréte à lui faire. Ainfi l'Amiral, acompagné de Molre & de Groenewegen, s'y en alla le 18. du mois.

Le 19. du même mois de Janvier 16094 le Raïa Sabrang, fuivi des principaux Confeillers, étant allé le trouver à la loge, lui déclara que puifque les forces des Hollandois n'étoient pas en état de le rétablir dans fon Roiaume de Malacca, & que fon plus jeune frére le Roi de Patane, (pour

adultére commis avec fa concubine ) avoit été privé de fon Roiaume & de la vie, par la Reine préfentement regnante, le Roiaume de Patane apartenoit de droit à lui Roi de fobor; que la Reine le poßedoit injuftement; & il prioit l'Amiral de l'affifter de fes forces pour l'en chaffer, & que pour récompenfe, ils partageroient le Roiaume ensemble.

Le 22. l'Amiral étant retourné à bord, fit affembler le Confeil, où il remontra que le Roi de Johor faifant la guerre aux Portugais en faveur des Hollandois, & fe trouvant par-là dans un grand danger, il étoit à craindre qu'après leur départ, il chercheroit à s'accommoder avec fes ennemis, ce qui ne fe pourroit faire fans un grand préjudice pour la Compagnie; & que par cette raifon il feroit bon de délibérer fur fa propofition, & de voir s'il ne feroit pas à propos de lui acorder ce qu'il demandoit.

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Il fut arrêté qu'on affifteroit ce Roi, premiérement d'une fomme de 3000. réales de huit, qu'on leveroit fur les éfets des deux navettes qu'on avoit prifes proche du Cap Rachado, venant de Maccau: en fecond lieu de vingt barils de poudre, d'une partie de Tintinago, pour en fondre des boulets; & en troifiéme lieu qu'on laifferoit deux vaiffeaux, favoir le Lion Ronge & le yacht le Griffon, pour croifer de

vant la riviére de Johor, & en mettre les habitans & leur navigation en fûreté, à condition qu'ils auroient un libre accès dans tous les Ports de l'Etat, & qu'il leur feroit permis de fe conformer aux Inftruction que l'Amiral leur laifferoit.

Le 26. le yacht le Paon fut commandé pour aller relever le Griffon, qui croifoit avec le Lion Rouge au détroit de Sincapura, parce qu'il y avoit beaucoup de malades à fon bord. L'Amiral alla à Johor porter 3000. réales au Roi, pour lui aider à bâtir fa nouvelle Ville.

Le 20. un Matelot qui fe baignoit fut faifi dans le côté par un grand ferpent d'eau. Il cria d'une fi grande force qu'il fut fecouru, mais non pas affez tôt pour empêcher que l'hydre ne lui emportât un gros morceau de chair, dequoi il mourut incontinent après. Le ferpent fe tenant toûjours autour des vaiffeaux, on le prît enfin. C'étoit le plus gros qu'on cût vû pendant tout le voiage. En lui ouvrant le ventre, on y trouva encore le morceau de chair qu'il avoit arraché au Matelot, & on alla l'enterrer avec lui.

Le 3. de Février 1 609. l'Amiral aiant expédié fes afaires à Johor, y laiffa Jaques Obelaer pour premier Commis, Abraham Willemiz de Ryck, ou le riche, pour Sous-commis, Hector Roos pour