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LETTRES

DE

M. GODEAU,

EVESQUE DE VENCE.

LETTRE I.

A Madame de Longueville, fur la mort de Mr. fon Epoux,

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Je viens d'apprendre la mort de Monfieur de Longueville, & on m'écrit en même temps, les foins que V. A. a pris de lui, pour l'affifter durant fa maladie, & à ce terrible paffage d'où dépend l'éternité. Je n'en attendois pas moins de vôtre vertu, qui vous a délivrée, il y a long-tems, des

A

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foibleffes de vôtre fexe, & qui vous rend la femme forte de nôtre fiécle. Après avoir facrifié à Dieu de vos propres mains, une perfonne qui vous étoit fi chere; je m'af fûre que vous conferverez le fruit du facrifice, & que vous ferez voir à la Cour, l'exemple d'une affliction veritablement chrêtienne. Les Chrêtiens, Madame > pleurent; mais ils pleurent comme Chrêtiens, & non pas comme des Gentils, qui n'ont point d'efperance. Ce n'eft pas la nature qui tire les larmes de leurs yeux, c'est la charité qui les fait répandre. Elles ne viennent pas de l'humidité de leur cerveau, elles fortent de leur cœur, & c'en est le sang le plus pur; c'eft pourquoi ils ne les prophanent pas, & ils les verfent avec mesure. Vous aurez donc pleuré la mort, mais vous aurez davantage pleuré pour l'effet du peché, qui eft la mort. Vous aurez pleuré fur Monfieur vôtre mari, & vous aurez pleuré fur vous-même. O qu'il fait bon de pleurer ainfi, & que je n'ai garde de condamner vos larmes ! l'Ecriture fainte leur donne une voix, & dit que Dieu l'entend, & qu'il les met en fa prefence. En effet,. elles difent ce que la bouche ne peut dire ; leur filence eft plus éloquent que les difcours les plus étudiez. Elles perfuadent, & perfuadent un Dieu d'oublier nos ingratitudes. Elles le violentent, pour

ainfi dire; elles le defarment. Il faudroit donc toûjours pleurer; il faudroit nous repaître, comme David, du pain de larmes ; & ce pain nous feroit bien délicieux, fi nous avions le goût des chofes divines. En verité, Madame, plus je confidere le monde, plus je m'étonne que l'on y puiffe trouver des fujets de joïe. Mais quoi-qu'il ait perdu l'apparence même de la féduction, comme difoit S. Auguftin, du monde de fon tems; neanmoins on l'aime toûjours, on le fert toûjours, on vit toûjours felon fes maximes. Vous en êtes par la grace de Dieu parfaitement détrompée, & il vous met en l'état de la viduité où vous en triompherez encore plus hautement. C'eft un état trés-faint, & qui approche de celui des Vierges, lefquelles une veuve peut furpaffer, fi elle a plus d'amour & plus d'humilité. Mais, Madame, je ne prens pas garde qu'infenfiblement j'entre dans une grande mer. Il faut donc que je finiffe, & que je fuplie V. A. de croire que je prens trés-fincerement part à fa perte, & que je ferai toute ma vie avec un profond refpect,

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MADAME,

Vôtre trés-humble & trés-obéïssant
Serviteur ANTOINE Ev. de Vence.

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LETTRE II.

A Monfeigneur l'Evêque d'Autun, fur la mort de Me.la Comteffe de More fa Sœur.

M

ONSEIGNEUR,
NSE

La perte d'une Sœur, telle que Madame la Comteffe deMore,ne peut être qu'infiniment fenfible, à un frere tel que Monseigneur l'Evêque d'Autun; mais je puis dire auffi que la mort d'une fi genereufe & heroïque amie, ne fçauroit donner qu'une douleur extraordinaire à un cœur comme le mien. Ce n'eft donc pas un compliment commun de vous dire, que je prens part à vôtre affliction, puifque le fujet me touche fi fenfiblement; & que je n'ai gueres moins befoin d'être confolé que vous. En verité, cette nouvelle a été un coup de foudre pour moi; je n'avois rien fçû de fa maladie, & la premiere chofe que l'on me mande, eft fa mort. Ce font des furprises capables d'étonner une ame plus forte que la mienne; car je ne fçai pourquoi, encore que je la viffe trés-fouvent malade, je ne m'étois jamais préparé à la perdre. Il eft vrai que c'eft parler peu epifcopalement & même peu chrétiennement, que de me fervir de

:

ce terme. Il n'y a que ceux qui meurent dans le peché que l'on perde. Pour les perfonnes qui font la fin de Madame vôtre Sœur, elles quittent feulement une prifon fort incommode pour entrer dans leur patrie C'eft la nôtre, & nous y devons vivre en efprit. Quoi-que nous la nommaffions une bonne Païenne, je fuis prefque affeuré qu'elle n'aura point été dans le Paradis des Païens. Son paganifme étoit une force chrétienne, & une étendue de cœur, une fidélité, une générofité digne des premiers fiécles de l'Eglife, auffi-bien que de ceux de la Republique Romaine. Voila comme toute la pure vertu fe retire du monde; voila comme Paris eft abandonné des perfonnes qui le peuvent rendre aimable. Il ne me refte plus que deux ou trois amies de ce poids, encore font-elles fur leur conchant. Cela me dégoûte de jour en jour de la vie préfente, & m'attache davantage à mon defert. J'y puis pleurer en liberté, & y prier en filence pour cette chere Sœur, Dieu veuille recevoir en odeur de fuavité, les Sacrifices que je lui offrirai pour le repos de fon ame. Pour vous, Monfeigneur, vous trouverez en vous-même des forces que je n'ai pas mais je crains bien que quoique le raifonnable Evêque foit maître du frere fenfible ce combat n'altere vôtre fanté; ayez-en foin, s'il vous plaît, pour

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