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fuffit, & j'eftime qu'il eft bon d'être humilié dans le tems que l'on eft élevé. Voici la troifiéme année qui court depuis que je refide, & par la grace de Dieu la mélancholie n'a point abbattu mon efprit. Je jouis d'une parfaite fanté, & vous fçavez que ce bien m'eft d'autant plus doux, que j'ai vécû 15. ou 16. ans dans de continuelles langueurs, auffi fâcheufes que les grandes maladies. Aprés avoir rendu mes devoirs à l'Autel, je confulte des morts fans crainte d'être accusé de magie. Je cherche dans les Livres de ces grands Evêques de la primitive Eglife, la pureté des mœurs dont à peine avons nous l'ombre dans notre fiècle. Je contemple ces admirables modeles de generofité, de prudence, de piété, de žele, de charité, & de toutes les autres qualitez neceffaires à ceux qui tenant le premier rang dans l'Etat du Fils de Dieu, doivent être plus élevez au deffus du peuple par leurs vertus que par leur caractere. C'eft une verité qui me confond, & me donne véritablement quelquefois des defirs affez violens d'être delivré d'une charge qui m'accable. Mais il ne m'eft jamais tombé dans l'efprit de faire cet échange dont on vous a parlé. Je crois avoir épousé une femme, & que ce mariage eft d'autant plus faint & plus grand en JesusChrift & fon Eglife, qu'il ne reprefente

pas le mariage de Jefus-Chrift avec l'Eglife, mais qu'en effet il eft ce mariage avec l'Eglife. Or fi la figure eft indiffoluble que ? fera la verité il eft vrai que ma Femme eft pauvre, dure comme des rochers, rude, incivile, & mélancholique; mais il la faut aimer puifque je l'ai prife, & croire même que l'époux a beaucoup plus de mauvaises qualitez que l'époufe. Un Evêque peut-il fe plaindre d'avoir affaire à des gens ingrats, confiderant que Jefus-Chrift a vécû parmi les Juifs, & qu'en voyant fes Apôtres dans le monde, il leur dit qu'il les envoïoit comme des brebis au milieu des loups, fi le Maître a trouvé des hommes qui le nommoient Samaritain, forcier, & yvrogne, qui le vouloient lapider, & qui enfin l'ont crucifié ; les ferviteurs doivent-ils trouver étrange, qu'on les charge d'injures, que l'on donne un mauvais fens à leurs actions les plus innocentes, qu'on leur dreffe des pieges, qu'on le mocque de leurs remon trances, & qu'on les perfecute. Tertullien dit la vie du Chrétien eft un appren que tiffage du martyre: mais cela eft plus véritable de la vie des bons Evêques, qui doivent fouhaitter de pouvoir effaïer tous les jours dansles petites perfecutions le courage dont ils ont befoin dans les grandes. Nos anciens Evêques ont pris laCroix Pectorale, afin que les Fideles qui fe mettoient autre

fois à genoux, les rencontrant dans les ruës, honoraffent les Reliques des Marenfermées dans ce figne de falur

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plutôt que leurs perfonnes ; & cette Croix d'or, fur nôtre eftomach ne nous enfeigne-t-elle pas, qu'il faut que nous foïons difpofez à en porter une de fer fur les épaules quand la gloire de nôtre Seigneur le voudra? Tous ceux qui font profeffion de la doctrine de Jesus-Chrift se font obligez au Baptême à participer à fa mort, & l'Apôtre dit qu'ils font morts & enfevelis avec lui. Outre cette obligation, nous en contractons une autre à nôtre Sacre, quand nous recevons l'Ordre Epifcopal qui eft la derniere perfection de la Hierarchie Ecclefiaftique, & où il fe fait une nouvelle generation interieure quand on y eft appellé de celui qui ne s'eft point élevé lui-même à l'honneur de la Prêtrife, mais qui a été nommé Prêtre felon l'Ordre de Melchifedech, par celui quf lui dit, vous êtes mon Fils , je vous ai engendré aujourd'hui. Auffi n'a-t-il reçû fon Sacerdoce fur la terre que dans les fouffrances, les travaux, & les ignominies; & enfin il s'eft offert en facrifice à la Croix, étant revêtu d'infirmité, & portant non feulement la fimilitude du peché ; mais toutes les peines dues au peché. Que l'Evêque le plus éloigné de la Patrie, le plus deftitué de tout

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fecours humain, & de toute confolation le plus méprisé, le plus perfecuté, confidere, attentivement ces veritez, il trouvera fa condition douce, & il loüera nôtre Seigneur de la grace qu'il lui fait d'être plus femblable à lui que les autres. Nôtre con dition étant réverée comme elle eft, quand les richeffles, l'eftime, la puiffance, l'approbation publique, les delices, les converfations des amis ou des parens, & les autres douceurs de la vie l'accompagnent, il eft bien à craindre que l'on ne s'enyvre aisément de vanité, & que l'on ne paffe pour le moins à une vie molle felon les inclinations de la nature lefquelles font bien contraires à la grace Epifcopale. Pour ce qui me touche, je reconnois que fi ma Mitre éroit accompagnée de toutes ces chofes, je ne vaudrois rien du tout, n'aïant pas fait d'affez bons fondemens en la vertu, pour demeurer ferme contre les attaques de ces vents d'Aquilon & de ces fleches du midi. Il ne tient qu'à moi que je ne paffe tous les jours à l'Oraifon, alant peu ou point d'affaires pour mon Diocéfe qui n'a que 16. Parriffes affez bien reglées, & n'étant jamais en peine de me cacher pour me fauver des vifites importunes. Quand je ne voudrois pas m'abftenir des dépenfes fuperflues par l'obligation de ma Charge, je m'en abftiendrois

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par la neceffité d'œconomie. Et enfin je me trouve en un état, où à chaque heure une occafion de devenir meilleur fe prefente à moi. Jugez donc fi je ne dois pas aimer mon defert, mes rochers, & mes épines. Il y a des rofes mêlées fi je les fçai bien cueillir, & je dois confeffer qu'un homme plus vain que moi auroit fujet d'être fatisfait des témoignages d'eftime, & d'honneur que toute la Province m'a rendus jufques ici. S'il y a quelques particuliers dans mon Diocéfe à qui je ne plaife pas, ferois-je affez fou de m'en mettre en peine, & de penfer que jamais il fe trouve quelqu'un qui plaife à tout le monde. Je cherche le falut de ceux que nôtre Seigneur m'a donnez en charge : je fuis leur pere, & quand ils me donneroient des coups de pieds, je les dois fouffrir, & avoir plus de pitié de leur ingratitude que de reffentiment; je leur dois rendre des benedictions pour leurs injures, & du fervice pour leurs perfecutions. Voilà quelles font mes pensées, & comme je fonge à permuter mon Evêche. Dieu feul m'a envoyé en Provence fans que j'y fongeaffe, ou que je le fouhaitaffe, & j'ajoûte fans que je le deuffe fouhaitter.Il m'y laiffera auffi long-tems qu'il plaira à fa fainte Providence, à laquelle je me foumets le plus aveuglement que je puis; car je fçai qu'elle eft acompagnée d'une

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