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LETTRE LI,

A Mademoiselle de Paulet. Utilité des croix; qu'il les fant aimer.

MADEMOISELLE,

Je commence ma repoffe par la fin de vôtre Lettre. Il y a peu d'amis, dites vous, dans les Croix. S'il y en avoit beaucoup. il n'y auroit plus de croix, ou elle feroit bien legere. Les nôtres pour être faintes doivent être taillées fur celles du Fils de Dieu. Car lui feul à levé l'opprobre de la malediction du bois ignominieux, parmi les Juifs, auffi-bien que parmi les Gentils. Ce n'eft pas affez d'être attaché, il faut l'être avec lui, comme faint Paul' s'en glo rifioit, encore dit-il qu'il y étoit enté: or vous fçavez que l'ente fait partie de l'arbre, & vit de la vie de fes racines. Sur le Calvairc il y avoit troisCroix,deux étoient des gibets & ceux qui y étoient pendus, y'expioient leurs méchancetez Confidercz ce qui fe paffe dans nôtre ficcle, il y a des Croix pour toutes conditions, pour tous âges, pour toutes perfonnes. Ceux qui les taillent aux autres, ont les leurs, & fi elles ne leur paroiffent pas fipefantes c'eft un effet de l'infenfibilité

malheureuse, où tombent les méchans рах la reprobation de Dieu. Dirons-nous neanmoins que toutes ces croix, foient Croix de Jefus-Chrift. Il ne faut que voir comment elles font fouffertes, & quel ufage on en fait. On les porte parce qu'on ne s'en peut décharger, & on ne s'avife gueres de benir la main qui les a faites. On cherche par tout quelque fecond, ou du moins veut-on en être crû indigne & recevoir des plaintes fi on ne peut recevoir de l'affiftance. C'eft la maniere d'agir du vieil homme, c'est la conduite de l'amour propre ; & en qui ma chere Fille, le vieil homme n'eft-il pas vivant qui fe déffend de ces fléches douces & empoisonnées, de l'amour propre ? Hélas! qu'il eft difficile d'être fur la Croix comme Jefus. Ses Apôtres ne s'y trouvent point pour le fecourir, ou pour le confoler. Un d'eux l'a renié quelques heures auparavant. Il eft vrai que fa Mere cft à fes pieds,mais cette affiftance perce fon cœur, & fi la Vierge meurt avec lui, fi elle fent toutes fes douleurs, il fent auffi toutes celles de la Vierge. Saint Jean s'y trouve pa-reillement, mais l'affliction lui ferme la bouche, il ne peut foulager fon bon Maî tre. Au contraire il l'afflige par fa trifteffe & augmente innocemment fes peines interieures. Si nous jettons les yeux dans le Ciel. C'eft de-là qu'il nous femble d'abordi

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les confolations doivent defcendre. De ja un Ange en eft venu pour le fortifier dans l'agonie du jardin des Olives; maintenant qu'il fouffre pour la gloire du Pere éternel, n'en recevra-t-il pas une affiftance toute particuliere. Celui qui a dit, le voïant dans les eaux du Jourdain, c'est mon Fils bienaimé, ne le viendra-t-il pas embraffer? Tant s'en faut, Mademoifelle, que ce Juge rigoureux fe gouverne ainfi, il ne répond point fa voix, il fe retire de lui & il l'abandonne fi fevérement, que Jefus, qui n'a point ouvert la bouche pour fe plaindre des foüets, des épines, & des cloux, crie à haute voix, Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaiffe. Et c'eft en ce délaiffement que confifte à proprement parler l'excés des peines du Fils de Dieu fur toutes les peines des Martyrs. Ce délaiffement qui étoit une impreffion fecrette & puiffante de la justice de Dieu fur l'ame de Jefus, & un effet inexplicable de la rigueur de fa fainteté, ne pouvoir être porté que par un Fils de Dieu. Nous n'en fçaurions parler dignement, mais il nous doit apprendre que l'effence de la Croix eft l'abandonnement des creatures, & celui de Dieu même felon le fentiment, quand il fait fentir au cœur les impreffions de fa grace, la Croix eft plus douce que toutes les voluptez de la terre, & il n'y a point de miel en Babylone qui vaille le fiel du Calvaire, détrempé par les mains de

Car

l'amour de notre Sauveur. Que fi nous devons nous refoudre à parter l'abandonne ment du Maître, nous fera-t-il permis de nous plaindre de fes ferviteurs devonsnous nous étonner, que ces amis, qui ne nous aimoient que pour leur plaifir, nous fuient quand il faut pleurer avec nous. Au tems que nous les divertiffons, ils quittent leurs affaires pour nous voir, & les jours ne font pas affez longs pour la converfation. Ce ne font que careffes, que confidences, que tendreffes que louanges. Le tems de l'orage vient-t-il, nôtre bonne humeur paffe-t-elle par la vehemence de l'affiction, on trouve mille excufes, & mille grandes raifons pour ne nous point voir & la feule honte fait bien fouvent que l'on ne nous laiffe pas tout-à-fair. La douleur eft une pefte, que chacun fuit, & peu entrent plus volontiers en la maison de deüil qu'en la maifon de joie. L'une est toutefois plus affurée que l'autre. On y trouve plus aisément Jefus Chrift qui a prononcé, Bienheureux ceux, qui pleureat, & ceux qui foùpirent, tandis que le mande fe réjouit que& quefois fe recque des larmes & des fouffrances de l'innocent. Afez donc bon courage, & ne dites pas, que vous foïez feule fur la Croix, puifque Jefus Chrift y eft avec vous. C'eft vôtre unique & parfait ami, & celui à fuffic

qui il ne

rien ne lui pas,

peut

fuffire.

Voila infenfiblement un Sermon dans une Lettre; mais je n'ay pû retenir ma plume. que mon cœur a conduit. Je fuis.

A Graffe ce 9. Juillet 1641.

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A Monfieur Renat Prêtre. Des merites du bon Prêtre Bernard.

MONSIEUR,

Je prie nôtre Seigneur de vous donner fa fainte benediction. Vous ne trouverez pas mauvais que je vous détourne pour un moment des fonctions de charité aufquelles Vous êtes continuellement occupé, pour vous demander un recit fidele & veritable des merveilles que Dieu, à ce que l'on m'a écrit, fait par le bon Monfieur Bernard. Je l'ai toûjours crû un grand ferviteur de Dieu, & fa conduite m'a paru tres-fainte, parce quelle choquoit en toutes chofes, ou au moins en la plufpart, la conduite de la prudence humaine. C'eft celle-ci que faint Paul nomme ennemie & inimitié de Dieu & dont il dit qu'elle ne lui peut être fujete. Cela nous fait bien voir fa malignité & les dangers où elle expofe ceux qui la fuivent.Cependant qui nela fuit dans la vie spirituelle

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