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LETTRE

LXXIV.

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A Monfieur de T*** Evêque de N*** Confolation à un Evêque, dont le Beaufrere étoit difgracié & peut-être condamné comme criminel.

MONSIEUR,

J'ai long-tems balancé fi je devois écrire aprés l'éffroïable calamité qui vient de tomber fur vôtre tête. Ce n'eft pas que je craigniffe d'avoir commerce avec le Beaufrere d'un criminel malheureux, & de me ruïner à la Cour, fi ma Lettre venoit à être furprife; car outre que je n'y ay aucunes efperances, je fçai qu'on ne pouvoit trouver mauvais, que je priffe part à vôtre afflic tion, perdant de cette forte une perfonne qui vous étoit fi chere. Ma principale confideration étoit, que je ferois peut-être un confolateur importun, qu'en voulant ef faïer de fermer vôtre plaïe je l'ouvrirois de nouveau, & que je vous détournerois de l'occupation interieure où vôtre cœur feroit avec Dieu, feul Medecin de femblables douleurs. Mais confiderant d'un autre côté, le caractere que j'ai l'honneur d'avoir commun avec vous, la nature de vôtre affliction & l'amitié particuliere dont nous

faifons profeffion, je n'ai pû me refoudre à demeurer muet, & j'ai crû même être obligé de vous témoigner que je pleurois vos pertes. Elles font telles en toutes leurs cir'conftances, qu'on ne peut s'en imaginer de plus grandes, & je vous confeffe que la feule pensée de leur cruauté, me fait fremir d'horreur. Vous pouvez dire que la main du Seigneur vous a touché, & même qu'elle s'eft appefantie fur vous, qu'elle a fait paffer fur vôtre tête tous les fots de fa colere, & vous a jetté en haute mer à la merci d'une redoutable tempête. Mais en difant que c'est la main du Seigneur qui vous a ainfi traité, c'eft vous confoler & faire une leçon de patience, car cette main eft & souveraine & paternelle ; comme fouveraine elle peut fraper qui bon lui femble, en quelle part il lui plaît, en quel tems & de quelle façon elle veut. Qui lui ofera demander pourquoi elle ufe de fes droirs fur les creatures Qui fera fi facrilege que de l'obliger à fuivre nos inclinations, à nous conferver ce qui nous eft cher, à ne nous priver que des chofes indifferentes, & à rendre nos pertes honorables & delicieuses? Comme paternelle,elle ne nous donne que des coups falutaires, quoi qu'ils foient rudes, elle guerit d'un côté fi elle bleffe de l'autre, elle nous approche de fon fein, quand il femble quelle nous repouffe en fureur, elle nous dé

Ele

tache de l'amour dangereux des objets, quoique legitimes, afin, comme dit faint Auguftin, que par les amertumes de la perte, nous n'aimions pas l'hôtellerie au lieu d'aimer la patrie où nous fommes obligez de tendre:il apelle ces amours où les plus juftes font fujets, des amours de Babylone, & veut que le citoyen de la celefte Jerufalem les retran che, s'il a envie de revoir fon païs. Il ajoûte en un autre endroit ces belles paroles: Multi flent fletu Babylonico, quia gaudent gaudio Babylonis. Vous n'êtes pas de ce nombre, car vos larmes font tellement pouffées hors de vos yeux par les legitimes fentimens de la nature que la grace conduit leur course, les empêchant de fe déborder. Vous fçavez bien facrifier les victimes précieu fes,que la mort vous a ravies, avec la tranquillité que demande la fainteté de ce facrifice, & accorder les mouvemens d'un bon pere & d'un fidele Beaufrere, avec la conftance d'un faint Evêque. Nôtre confecration, Monfeigneur, nous fait mourir une feconde fois au monde aprés la premiere mort du Batê. me, & celle-là eft plus generale que celle-ci, Car quand nous fommes baptifez nous renonçons à l'affection du monde, mais non pás abfolument à l'ufage de plufieurs chofes du monde ; la liberté nous demeure de nous marier, de nous mêler de plufieurs affaires, la grace Chrétienne ne retirant perfonne de

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fa condition, & n'en impofant aucune par neceffité; mais quand nous fommes confa crez Prêtres, & principalement Evêques, nous mourons à nous-mêmes car nous ne pouvons plus difpofer de nos corps: nous mourons à plufieurs divertiffemens licites aux autres; car nous ne les pouvons plus prendre nous mourons à nôtre païs, à nos parens & à nos amis; car il faut tout quitter pour fon Epoufe. Vous voïez même qu'en nos fignatures, nous ne mettons pas ou nous ne devons mettre le nom pas de nos Familles. Dans le mariage charnel, c'eft la femme qui prend celui de fon mari, mais en ce mariage fpirituel l'Epoux prend le nom de l'Epoufe, parce qu'elle eft plus fainte & plus digne que lui; c'eft avec elle qu'il fe doit confoler de toutes fes pertes, ou plutôt il doit croire ne pouvoir plus faire d'autres pertes que celles des ames qui lui font commifes. Un Romain fe confoloit des malheurs de fa maifon par les profperitez de la Republique, à plus forte raifon un Evêque fe doit-il confoler de fes douleurs domeftiques, par la paix & le bon ordre de fon Eglife. Ce n'eft pas qu'on nous doive obliger d'être infenfibles, mais nous fommes obligez de vaincre nos fentimens, & d'en ufer felon Dieu. C'est ce que vous faites à un point, qui vous fait meriter de grandes louanges, mais je fçai que vous vous con

tentez de les meriter & que vous ne les pouvez fouffrir. J'aime donc mieux vous donner des preuves de la part que je prens en vôtre affliction, que de vous écrire un Panegyrique. J'ai été plus long que je ne penfois à le faire, mais le plaifir de vous entretenir m'a emporté, & j'ai crû que vous ne trouveriez pas ma longueur ennuyeufe, ou du moins que vous la pardonneriez aisément à mon zele. Dieu veüille vous continuer l'efprit de force qu'il vous a donné jufqu'à cette heure, & à moi me donner de plus agreables occafions de vous témoigner que je fuis.

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A Mademoiselle de Humieres. Obligations à un Evêque de remplir fes devoirs auquel il eft obligé par fon Ordination, & aux Chrétiens de remplir ceux aufquels ils font obli gez par le Baptême.

MADEMOISELLE,

Je prie nôtre Seigneur de vous donner fa fainte benediction. J'ai fçû par Mademoiselle Paulet que fouvent vous vous informez de mes nouvelles. Je vous fuis obligé de ce fouvenir, qui me fait croire que vous l'avez devant nôtre Seigneur. Il eft

vrai

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