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pofitions. Si vous lui demandez confeil avec un efprit de fuffifance, & plein de l'opinion de vôtre propre force&de vôtre lumiere, il ne vous repondra point; vous croirez qu'il vous aura parlé, & ce n'aura été que vôtre amour propre. Les enfans charnels ne fongent pas à ce qu'ils difent, & ils fuivent l'impetuofité du premier mouvement, mais les enfans fpirituels doivent refifter à la violence de leur efprit & fe foumettre à la conduite de celui de Dieu avec tranquillité. Ils font doux, ils font faciles, ils n'ont rien d'af fecté, rien de diffimulé, rien de prefomptueux, rien d'aigre, rien de foupçonneux, rien de malin,rien de leger. Avec ces qualitez croïez ma chere Fille, que vous entendrez l'Enfant adorable qui habite parmi vous, & qu'il vous entendra. Demandez-le par une priere humble & affidûë, & croïez qu'il ne refufe rien à cette fainte importunité. Je fuis en lui.

A Vence le 11. Février 16 45.

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velles d'un côté, que celles de la continuation de vos maladies; mais de l'autre je ne puis apprendre rien de plus agreable, que celles de vôtre patience. Eftre malade, fouffrir la douleur, c'eft un effer de nôtre humanité,que le peché a renduë fujette aux infirmitez & à la mort; mais ne murmurer pas dans les douleurs de la goute & de la pierre, laiffer fouffrir au corps tout ce que la boue eft capable de fouffrir, & voir venir la diffolution fans fe troubler, conferver la tranquillité d'efprit, & compofer en Vers & en Profe des Ouvrages excellens, être agreable dans les converfations, & ce qui eft beaucoup plus confiderable benir la main de Dieu qui frappe fi rudement, la baifer & l'aimer avec tendreffe, être attaché à lui & non pas à fes maux; c'cft fans doute un effet admirable de la grace de celui qui a voulu fe faire homme, afin que nous ne fuffions plus hommes. C'est dans son Evangile feul que nous trouvons des Regles de la veritable fageffe, & la refolution de cette queftion fi agitée entre les Philofophes, en quoi confifte la felicité. Aristote l'a mife, comme vous fçavez, en l'action de l'ame felon les vertus, & a voulu que les biens de la fortune & du corps, les ri cheffes, les honneurs, les dignitez, & la fanté entraffent dans la compofition. Je lifois ce matin une Epître du grand faint

Gregoire à Philagrius, dans laquelle parlant de cette opinion, il l'accufe d'avoir parlé d'une façon fordide & abjecte d'une chose fi excellente, exclüant de la fecilité ceux qui font pauvres,malades & affligez. 11 préfere les Stoïciens qui renfermoient la beatitude dans l'ame de leurs fages, & vouloient que fans richeffes, fans charges publiques, fans reputation, fans plaifirs, fans force du corps, fans bonne fanté, il fût heureux. Mais à dire la verité, ces Philofophes parloient plus magnifiquement que fagement, & ils faifoient, comme vous avez dit fort agreablement, un Dieu ou une ftatuë de leur fage, plutôt qu'un homme; car ils ne vouloient pas feulement qu'il fouffrit la douleur, fans perdre la patience, mais qu'il n'avoüât pas qu'elle fût douleur. Or la fageffe a-t-elle quelque pouvoir de changer la nature des chofes, & d'empêcher que ce qui ruïne l'harmonie du corps humain, ce qui en divife les parties, ce qui eft contraire à leur conftitution ne foit trouvé rude par les fens, qui en cette rencontre doivent faire leurs fonctions naturelles. Epicure, felon faint Auguftin, cût Philofophé fur ce point plus raifonnablement que tous les autres, s'il eût reconu une Providence divine pour le gouvernement des choses du monde. En effet il établiffoit la felicité des chofes dans la paix parfaite du corps & de l'ame

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qui comprenoit une exemption des paffions & des maladies, qui alterent la constitution de l'un & empêchent les fonctions de l'autre ; c'eft ce qu'il appelle volupté, & c'eft ce qui aïant été fi mal expliqué par les Stoïciens au peuple, à fait paffer ce beuveur d'eau, & ce mangeur de racines pour un pourceau; vous fçavez le mot,

Epicuri de grege porcum.

Nôtre cher Monfieur Gaffendy l'a fort doctement deffendu de cette calomnie, mais elle eft trop vieille pour être diffipée dans les efprits populaires; & le plus abftinent des Philofophes paffe toûjours pour un Docteur de debauches & pour un débauché. Ne croïons donc, Monfieur, ni Ariftote, ni Zenon, ni Epicure; en effet ce ne font pas nos maîtres. Nous en avons un dont la doctrine ne nous peut être fufpecte, & dont l'autorité nous doit être facrée, c'est Jefus Chrift dans fon Evangile qui declare heureux ceux qui pleurent, & ceux qui souffrent; qui prononce des maledictions terribles contre ceux qui rient maintenant, & qui ont leur confolation dans leurs biens. Il eft certain que de tous les biens de la vie naturelle, le plus doux & le plus effentiel est la fanté du corps ; mais pour la vie chrétienne c'eft d'ordinaire un fort grand empêchement à la veritable pièté. Car cette fanté qui rend le corps vigoureux, le rend infolent

infolent; lui fait chercher tous les plaifirs dont il eft capable, & fecoüer toute forte de joug qui le veut foumettre. La chaleur du fang envoïe des vapeurs au cerveau quë l'obscurciffent & qui empêchent l'entendement de raisonner jufte. Les paffions font enflammées & ne peuvent endurer que la fageffe les arrête, la force prefente fait que l'on n'apprehende point les maux avenir. Mais quand le corps eft abbatu par les maladies; quand la douleur refroidit le fang; quand l'infirmité s'oppose à tout ce que l'on defire, quand on voit la mort plus proche qu'on ne l'avoit jamais vûë, on eft fans doute plus capable de regler fes paffions on voit mieux la verité des choses; on est plus en état de reconnoître leur vanité & leur menfonge; on fe détache plus aifément de l'amour de la vie prefente qui n'a plus rien d'agreable; enfin on eft plus propre à la Philofophie chrétienne. Zenon même avoit choifi fon Academie dans un lieu qui n'étoit pas fort fain, eftimant que la Philofophie qui eft une méditation de la mort, eft mieux apprife par ceux qui en font proches par leur mauvaise fanté, que par ceux qui en font éloignez par une conftitution de corps fort robufte. Nôtre faint Bernard a eu la même penfée, car il a bâti tous fes Monafteres dans des fituations humides, baffes & mal-faines. Et je penfe avoir lû une Epître

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