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LETTRE XCVI.

A Monfieur l'Abbé Thomaffin, fur le style des Prédications.

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Je demeure d'accord avec vous que le ftyle de Prédicateur de l'Evangile doit être éloigné de toute affêterie ; qu'il ne fouffre point les ornemens de l'éloquence du Barreau, & bien moins les defcriptions de la Poëfie & l'endroit du Sermon de Monfieur * ** est affurement fort fleuri, & ces fleurs vous ont piqué comme fi elles étoient des épines, parce que vous croïez qu'il les ait cueillies dans fon imagination; elles font d'un jardin plus noble, & que vous refpecterez fans doute quand vous fçaurez que c'eft dans une Homelie de faint Chryfoftome au peuple d'Antioche, qu'elles ont cru, & qu'il n'a fait que les tranfporter en nôtre langue, il eft vrai, qu'il y a mêlé quelque chofe du fien qui en altere un peu la beauté; mais on doit pardonner cela à un jeune homme qui a l'imagination vive & qui ne fçait pas. encore s'arrêter dans la carriere lorsqu'il. eft une fois échauffé. J'ai voulu revoir le eu de ce faint Docteur, & j'ai trouvé qu'il parloit ainfi. » Le feu fervoit aux trois «

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jeunes hommes comme une muraille; fa » flamme fut pour eux une robe, & la four»naife une fontaine. Elle les reçût liez & » elle les rendit libres, on les jetta dans fon » fein comme mortels, & elle s'abftint de "toucher à leurs corps, comme s'ils euffent » été immortels. Elle reconnût la nature » mais elle rendit du refpect à la pieté. Le Tyran attacha leurs pieds, & ces pieds at» tacherent la force du feu. Chofe admirable, la flâmme délie ceux qui font liez, & »elle eft liée elle même ! La religion des criminels changea la nature des chofes ; » que dis-je, elle ne changea pas la nature; » mais la laiffant en fon entier, elle en adoucit la violence; car elle n'éteignit

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le feu, mais elle rendit fon ardeur inutile, & ce qui eft de plus merveilleux, cela »ne fe fit pas feulement en leurs corps » mais en leurs habillemens & en leurs chauf »fures, comme il étoit arrivé dans les véte» mens de faint Paul, qui chaffoient les démons, & dans l'ombre de faint Pierre »qui faifoit faïr la mort. Je ne fçai com»ment m'expliquer parlant d'un miracle » qui eft au deffus des paroles; car la force du feu étoit éteinte, & n'étoit pas éteinte. » Elle étoit éteinte pour leurs corps qu'elle »n'offenfoit pas, & quand elle rompoit »leurs liens, elle n'étoit pas éteinte. Elle »rompit les liens de leurs pieds, & ne tou

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cha pas le talon. Voïez quelle étrange « proximité, le feu n'eft pas changé & privé de fa force, & il n'ofe agir par de-là « les liens. Le tyran lie & la famme déta- « che, afin que d'un côté la cruauté du bar- « bare paroiffe ; & de l'autre l'obéïffance de « F'Element. Et pour quelle raifon penfez-ce vous qu'avant que de les jetter dans le feu, « il les fit lier? La Providence le permit ain-ce fi, afin que le miracle fût plus grand, & « que l'on ne pût s'obfcurcir les yeux & fe« tromper. Car fi ce feu n'eût pas été un feu «e veritable, il n'eût pas rompu les liens, & ce qui eft de plus confiderable, il n'eût « pas brûlé ceux qui étoient proche de la c fournaife. Mais pour montrer la puiffance « de Dien il fit confumer ceux qui étoient e dehors, & obéït à ceux qui étoient dedans. «e S.Chryfoftome pourfuit cette Hiftoire prefque dans le même ftyle jufqu'à la fin de 'Homelic, vous voïez, Monfieur,comme if fe jouë & comme il jetre les fleurs à pleines mains. Si un Evêque prêchoir maintenant de cette maniere, on l'accuferoit fans doute & avec raifon de manquer à la gravité Epifcopale. Auffi quand faint Chryfoftome prêcha dans Conftantinople, ce fut fut ec moins d'ornemens encore que ce fût toûjours avec foin & avec des beautez que j'aime mieux appeller naturelles que recherchées. Mais les Homelies au peuple d'An

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tioche étoient fes premieres productions publiques, la plûpart avoient des fujets capables de recevoir beaucoup d'ornemens, & qui demandoient que l'on leur déploïât toutes les richeffes. Il faut encore confiderer que les oreilles des Auditeurs de cette Ville demandoient d'être chatoüillées agreablement & que les Medecins font obligez de condescendre un peu au goût de leurs malades. Vous voïez par là que l'éloquence peut être conduite fur la Chaire, & que le ftyle n'eft pas Apoftolique, parce qu'il eft barbare ou negligé, mais parce qu'il a l'air & qu'il eft animé de l'efprit de l'Evangile. L'Apôtre faint Paul parle aux Juges de l'Arcopage,& devant le Roi Aggripa,d'une autre façon qu'il ne parloit dans les communes Affemblées des fidelles: mais en quelque maniere qu'il parlât le S. Efprit parloit toûjours en lui, il ne faut donc pas blâmer tous les Prédicateurs qui s'expliquent agréablement, ni louer tous ceux qui font profeffion de fe negliger tout-à-fait. Il y a des perfonnes qui ne peuvent mal parler: & voudriez-vous que pour prêcher elles corrompiffent leur langage? Vous prononceriez contre vous-même un arrêt que vous ne pouvez executer. Il y en a qui ne peuvent s'expliquer que fort baffement; & feroit-il raifonnable de faire de leur défaut une vertu ? Ce qui fait la difference du Pré

dicateur Evangelique, & du Prédicateur du monde, eft la fin de l'un & de l'autre ; car fi cette fin eft celle qu'il doit avoir, je veux dire la gloire de Dieu & le falut des ames, il bannira de fon difcours tout ce qui lui eft contraire, & emploïera tout ce qui l'y peut faire arriver. Et certes les penfées curieufes, les fubtilitez de la fcience humaine, le fard de l'éloquence profane ne peuvent niglori fier Dieu, ni inftruire les Auditeurs. Ces chofes affoibliffent, comme dit l'Apôtre, la vertu de la Croix de Jefus-Chrift, & il n'eft non plus permis de les emploïer maintenant, qu'il l'étoit alors que cette Croix commençoit à être prêchée. Ce n'eft pas avec les belles paroles que le Prédicateur perfuadera aux hommes de l'embraffer. La nature l'abhorre, & fi elle n'ofe lui fermer les oreilles, elle lui ferme le cœur. Mais quand j'en parle de la forte, je ne prétends pas dire que le Prédicateur doive toûjours parler de la même forte. Comme les Auditeurs font differens de condition, d'humeur & d'efprit, il faut qu'il s'accommode à leur capacité, qu'il s'éleve avec ceux qui peuvent fuivre fon élevation, & qu'il s'abaiffe avec les fimples, qu'il bégaie avec ceux-ci & ne leur dife que ce qu'ils feront capables de comprendre; la charité fait un faint Protée de celui en qui elle fe trouve ; & elle lui donne toutes fortes de formes. Elle parle toutes fortes de

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